Le Parlement vote une loi anticonstitutionnelle pour réguler la profession d’avocat
Sauf que celle-ci foule aux pieds plusieurs articles de la Constitution. Pourquoi la Cour constitutionnelle a-t-elle validé ce projet ?
La loi qui régit la profession d’avocat au Gabon que vient de voter le Parlement est un scandale. Elle est tout simplement anticonstitutionnelle. On se demande comment Marie-Madeleine Mborantsuo et ses pairs ont pu valider une telle forfaiture. Car toute loi votée par le Parlement se doit de respecter entièrement la Constitution. Et le rôle de la Cour, entre autres, est de veiller à ce que les lois soient conformes à la Constitution. Or, pour ce qui est de la nouvelle loi sur la profession d’avocat, la Cour constitutionnelle a failli à sa mission. Le fait que l’inamovible bâtonnier du barreau du Gabon depuis 2004, maître Jean-Pierre Akumbu M’Oluna soit dans les bonnes grâces de Marie-Madeleine Mborantsuo est sans doute ce qui a poussé la Cour à la faute. Il fallait maintenir le barreau dans le giron du système. Quoi de plus naturel que de voter en urgence une loi qui donne au bâtonnier le droit de vie ou de mort sur les avocats. Et que ce barreau soit tenu de main de maître par un membre du clan.
En effet, la nouvelle loi qui régit l’exercice de la profession d’avocat au Gabon, adoptée dernièrement par l’Assemblée nationale, six ans après l’ancienne, est en totale contradiction avec le texte onusien appelé « Principes de base relatifs au rôle du barreau » adopté à l’unanimité par tous les Etats membres des Nations unies, dont le Gabon, en septembre 1990. Or, ce texte onusien comporte des dispositions de base que l’on doit trouver dans tous les textes relatifs aux barreaux de tous les pays membres de l’Onu. Autrement dit, ce texte fixe la norme en deçà de laquelle aucun barreau d’un pays membre de l’Onu ne peut descendre.
Les articles 74 à 76 de la nouvelle loi sur les avocats du Gabon illustrent à merveille cette contradiction. Car, en disposant respectivement que « un avocat ne peut engager une action en Justice à titre personnel contre un confrère sans l’autorisation du Bâtonnier, de son représentant ou, à défaut, du membre le plus ancien du conseil de l’Ordre ou, en cas d’ancienneté égale, du membre le plus âgé »;« Un avocat ne peut engager une action en justice contre un confrère, au nom et pour le compte d’un client, sans en avoir informé au préalable le Bâtonnier » ;« Un avocat ne peut engager une action en justice contre un magistrat sans avoir informé au préalable le Bâtonnier et avant que ce dernier n’ait à son tour préalablement informé le supérieur hiérarchique du magistrat concerné. » Ceci est en total déphasage avec l’article 27 desdits principes. Pour eux, « les accusations ou plaintes portées contre des avocats dans l’exercice de leurs fonctions sont examinées avec diligence et équité selon les procédures appropriées. Tout avocat a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et peut être assisté par un avocat de son choix ». Faut-il rappeler que cet article est conforme à l’article 1er de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui oblige l’Etat gabonais à prendre les mesures qui dispose : « Les Etats membres de l’Organisation de l’unité africaine, partie à la présente Charte, reconnaissent les droits, devoirs et libertés énoncés dans cette Charte et s’engagent à adopter des mesures législatives ou autres pour les appliquer ». Tout le contraire de cette loi, qui fait de Jean-Pierre Akumbu M’Oluna, selon un ténor du barreau qui a requis l’anonymat, « …la personne qui autorise ou non l’exercice par l’avocat de ses droits fondamentaux à saisir la justice, qui sont pourtant des droits de l’homme inaliénables, imprescriptibles, de tout être humain, et que toute personne doit exercer sans aucune autorisation préalable de qui que ce soit. Il n’appartient donc pas à Akumbu d’autoriser ou non aux avocats l’exercice de ces droits qui sont universels.
C’est tout simplement inadmissible ». Un autre très jeune avocat ira également de son commentaire acerbe : « …On se demande finalement si les avocats gabonais sont des êtres humains ou pas, car s’ils étaient des êtres humains, ils entreraient en résistance pour que leurs droits de l’homme soient respectés, au lieu de se faire écraser par Akumbu qui décide quel avocat doit ou non bénéficier de ses propres droits fondamentaux. Cela revient à dire qu’au Gabon, il y a d’une part des êtres humains et il y a d’autre part des avocats. Tout être humain vivant au Gabon peut exercer librement ses droits fondamentaux que nous avons énumérés, mais pas les avocats. Pour que les avocats puissent exercer lesdits droits fondamentaux qui leur sont pourtant consubstantiels, il leur faut l’autorisation d’Akumbu… ». Assisterait-on à la naissance d’une certaine conscience au sein de la profession pour s’opposer à ce nouvel environnement juridique restrictif pour les hommes en robes noires.
Par SYA