Constitution de la Haute Cour de justice
Daniel Ona Ondo s’y oppose sur la base d’une loi abrogée
Le magistrat Jean de Dieu Moukagni Iwangou, membre du Front uni de l’opposition pour l’alternance, vient de servir un cours de droit au professeur Daniel Ona Ondo. En réponse à son refus de convoquer le Parlement en session extraordinaire pour constituer la Haute Cour de justice, il a fait la démonstration que le Premier ministre ignorait tout simplement la loi en vigueur sur cette matière et les dispositions constitutionnelles y relatives.
C’est un Moukagni Iwangou très en verve qui s’est exprimé, samedi en fin de matinée, à son bureau du quartier Glass, à Libreville. Sa colère était à peine dissimilée par son souci de ne pas « manquer d’élégance… » envers le Premier ministre. Malgré ces précautions de bienséance, l’ancien directeur général de l’Ecole nationale de la magistrature (ENM) va revendiquer « un devoir d’ingratitude… » au Premier ministre afin de se prononcer sur la suite qu’il a donnée à sa requête.
Pour Moukagni Iwangou, Daniel Ona Ondo s’est tout simplement trompé.
Cela est d’autant plus étonnant qu’il est « …dépositaire des Publications officielles et des Archives nationales… » Mieux que quiconque, Daniel Ona Ondo ne pouvait ignorer que « …la loi n°11/83 du 31 décembre 1983 est abrogée depuis le 25 septembre 2011 ». Or, c’est sur la base de cette loi que le PM a refusé de donner suite à la requête du magistrat. Cette loi abrogée à raison, était devenue incongrue dans le contexte d’un Gabon multipartite. On se demande même pourquoi elle ne l’avait pas été depuis 1990.
En effet, les dispositions contenues dans cette « loi préférée par le Premier ministre » sont tout simplement « d’une autre époque », assure le magistrat. A titre d’exemple, l’article 1er de cette loi dispose que « la Haute cour de justice se compose d’un président et de six juges titulaires. Elle comprend en outre quatre juges suppléants. Les juges titulaires et les juges suppléants sont élus à parts égales en leur sein par le comité central du Parti Démocratique Gabonais et l’assemblée nationale (…) ». L’article 2, lui, dispose que « le président de la Haute cour de justice est nommé par décret du Président de la République.
Il est choisi soit parmi les députés, soit parmi les membres du comité central, soit parmi les magistrats de l’ordre judiciaire, soit indépendamment de toute appartenance en raison de sa compétence et de son dévouement aux intérêts supérieurs de l’Etat. Le président de la Haute cour de justice est assisté d’un vice-président nommé dans les mêmes formes et conditions. » Comment en 2015, Daniel Ona Ondo a-t-il pu penser qu’un tribunal du Gabon puisse avoir comme membre des personnalités choisies pour leur qualité exclusive d’appartenance au comité central du PDG ? Surtout que ce comité central a lui-même été déclassé depuis longtemps au sein du PDG par le conseil national, le bureau politique et le comité permanent.
Si par extraordinaire une telle pratique était de mise, au sein de ces instances que le choix devait se faire. Dès la lecture du texte que ses conseillers avaient rédigé et soumis à sa signature, le PM aurait dû consulter ses archives. Il aurait dû se rendre compte que quelque chose ne tournait pas rond. Cela lui aurait permis de constater que la loi 11/83 était abrogée au profit de la loi organique n°49/2010 du 25 septembre 2011. Son article 51 est on ne peut plus clair : « la présente loi, qui abroge toutes les dispositions antérieures, notamment la loi n°11/83 du 31 décembre 1983 déterminant la composition et le fonctionnement de la Haute cour de justice ainsi que la procédure applicable devant elle, sera enregistrée, publiée selon la procédure d’urgence et exécutée comme loi de l’Etat ».
Pour Moukagni Iwangou, à ce premier couac, Daniel Ona Ondo va ajouter deux autres. Prouvant ainsi qu’il ignore tout du fonctionnement de la justice et de la Constitution. Un comble pour un Premier ministre, parlementaire de longue date et à un très haut niveau. Lorsque Ona Ondo écrit à Moukagni Iwngou ceci: «… En réponse, j’observe d’emblée que ni les dispositions de la Constitution, ni celles de la loi n°11/83 du 31 décembre 1983 déterminant la composition et le fonctionnement de la Haute Cour de Justice, ainsi que la procédure applicable devant elle, n’habilite le plaideur et requérant que vous êtes à me saisir d’une telle demande qui, faut-il l’indiquer, si elle prospérait à mon niveau, vous installerait à tort dans le rôle dévolu au Ministère Public », il se trompe sur toute la ligne. L’article 78 de la Constitution est clair : « La Haute Cour de justice est une juridiction d’exception non permanente.
Elle juge le Président de la République en cas de violation du serment ou de haute trahison. Le Président de la République est mis en accusation par le Parlement statuant à la majorité des deux tiers de ses membres, au scrutin public. Pendant l’intersession, le décret de convocation du Parlement sera exceptionnellement pris par le Premier Ministre…. ». En outre, l’alinéa 6 de cet article autorise « toute personne intéressée » à saisir la Haute cour de justice. Que fallait-il de plus à Ona Ondo ? Surtout que le Parlement est en intersession? Ona Ondo fonde son refus d’agir aussi sur le fait que cette action risquerait d’installer le requérant « à tort dans le rôle dévolu au ministère public… ». Ce que contredit les réponses faites à ce sujet à Moukagni Iwangou par Marie Mbanza Bagny, procureur général près la Cour de cassation, et maître Okandji, greffier en chef à ladite cour. Ces derniers assurent, en leurs grades et qualités respectives, la mission de représenter le ministère public et de tenir le greffe devant la Haute cour de justice. Pour eux, selon le requérant, «…les diligences institutionnelles qui participent à la convocation dudit Parlement n’entrent pas dans leurs prérogatives ».
En réalité, Daniel Ona Ondo s’est inscrit dans une logique de lecture de la loi par le blocage, comme l’a rappelé Moukagni Iwangou en début d’intervention. A l’instar de la Cour constitutionnelle qui a rejeté la requête liée à la contestation de la nationalité d’origine d’Ali Bongo Ondimba, faute de preuves suffisantes.
Pourtant, elle aurait dû tout simplement « … surseoir à statuer sur le contentieux électoral qui relève de ses compétences, de renvoyer les parties devant le juge judiciaire qui a seul mission et charge de trancher le contentieux de la nationalité, d’attendre la décision du juge naturel, et en toute logique, de tirer simplement les conséquences de droit qui s’imposaient ».
C’est également ce que fit le tribunal de première instance de Libreville, qui, « saisi d’une inscription de faux, s’est déclaré d’office incompétent pour juger le Chef de l’Etat, du fait de son statut pénal(…) alors que dans l’intérêt de la loi, le droit de la procédure commandait au Ministère public de provoquer le procès pénal, et à cette occasion, d’y évoquer cet incident de procédure, d’y requérir les arguments des parties au nom du respect du principe du contradictoire, et pour rendre justice, d’obtenir du Tribunal le renvoi de la cause et des parties devant la Haute cour de justice, le juge naturel du chef de l’Etat », a rappelé Moukagni Iwangou. C’est cette même logique qui a guidé Ona Ondo, en ayant recours à une loi abrogée et des dispositions constitutionnelles connues de lui seul.