Gabon, une dictature émergente

À son arrivée au pouvoir en 2009, Ali Bongo Ondimba était un chef d’État incarnant une promesse de changement. Mais depuis le déclenchement de la contestation, il s’est mué en dictateur impitoyable, mimant à la perfection les despotes les plus populaires de la planète. Analyse psychologique inédite de celui qui gouverne désormais le pays d’une main de fer.

C’EST l’homme de l’année 2014. Du moins si l’on retient comme critères le cynisme et la cruauté. Et même s’il ne survit pas politiquement à 2015, on se souviendra de lui longtemps. Le Gabon ne s’attend pas à ce qu’un autre dépasse ce record de despotisme.
Ali Bongo Ondimba fait assurément pire que son père, sans éteindre pour autant l’incendie qui vient désormais lécher les murs de la présidence de la République. Il n’est pas seulement cynique, mais il a aussi inventé un style inédit de dictature. Rarement on aura vu un tel détachement dans la cruauté, un tel repli dans la férocité.
Même s’il a espacé ses apparitions publiques et télévisées, déjà rares, Ali Bongo Ondimba ne s’est jamais départi de son calme un peu sentencieux. Il continue de parler du Gabon comme s’il s’agissait d’une contrée exotique. Et de l’exercice du pouvoir, comme si c’était une dissertation. Comme s’il n’y était pas impliqué, comme s’il s’agissait d’un autre.
Le pouvoir, il n’y était pas destiné, mais il en avait l’appétit et le goût. Il a obéi à l’injonction clanique. Tiraillé constamment entre le désir d’être aimé pour ce qu’il croit être et la peur de passer pour un matamore, il a toujours soufflé le chaud puis le froid.
DESPOTE IMPITOYABLE. Le printemps du Gabon prend un tournant décisif. L’inexpérience d’Ali Bongo Ondimba va ramener les anciens collaborateurs de son père aux affaires. Ses proches s’enrichissent outrageusement en s’octroyant le monopole commercial de ces lucarnes de liberté dont les Gabonais sont friands
Tel un chien qui craint qu’on lui arrache son gibier, Ali Bongo Ondimba, qu’on disait pourtant timoré, ouvert et influençable, est devenu paranoïaque et inflexible. Beaucoup de Gabonais disent aujourd’hui s’être laissé tromper par son accès privilégié au cœur du pouvoir. Il se métamorphose en despote impitoyable, châtiant ses opposants, les journalistes et activistes qui refusent d’aller à Canossa.
En quelques années pourtant, il ajoute à son image de satrape subsaharien l’étiquette de méchant dirigent. Le 20 décembre dernier, son pouvoir a réprimé dans le sang une manifestation interdite, mais pacifique, de l’opposition. Menacé de changement de régime par les plus résolus des patriotes, Ali Bongo Ondimba joue serré.
Chaque fois, le raïs joue ses cartes crânement, mesurant les risques, soufflant le chaud et le froid. Mais son cynisme se heurte au vent de la révolution qui souffle à travers le monde. Au début, il ne croyait pas que son régime était menacé. Depuis la sortie du livre du journaliste français Pierre Péan et le début de la contestation, il se montre prudent, commandant à ses conseillers de la sécurité nationale les évaluations indépendantes sur le risque de contagion révolutionnaire.
Dans les milieux du pouvoir, il se susurre qu’il a organisé, la semaine dernière, un brainstorming avec les officiers supérieurs des forces de sécurité et de défense dans une forêt du pays. Ses proches claironnent un message apaisant, un brin narquois : les soulèvements de ces derniers temps sont l’œuvre d’une manipulation extérieure. Ce biais de lecture géostratégique trahit la propension du régime à faire de ses faiblesses internes (économiques et sociales) un alibi pour projeter hors de ses frontières l’origine de ses malheurs.P8-1
BOUTON DE LA REPRESSION. Pourtant, le désenchantement de la jeunesse gabonaise s’est bâti sur les conditions socioéconomiques que l’on retrouve dans tous les espaces du pays : chômage, désillusion politique, insécurité, répression policière. En réalité, les antécédents du pouvoir Bongo ne lui offrent pas beaucoup de solutions en pareille situation. La violence avec laquelle les premières manifestations ont été accueillies a contribué à amorcer la spirale infernale en cours. Il y a une pente naturelle, un atavisme de la violence d’État dans le régime gabonais. Quand le pouvoir juge la contestation dangereuse pour sa stabilité, il appuie sur le bouton de la répression.
Trois mois après les premières manifestations réclamant la chute d’Ali Bongo Ondimba, le dernier domino tarde à tomber. Son régime tient bon. Du moins, pour le moment. Il réussit un tant soit peu à cacher les signes de découragement. Pour la frange jusqu’au-boutiste de l’opposition gabonaise, une fin à la Ceausescu ou à la Compaoré paraît aujourd’hui inévitable.
De son côté, Ali Bongo Ondimba tente d’assurer sa survie, celle de son clan, qu’il lie de plus en plus à ses confessions philosophico-religieuses et aux autres minorités, qu’il présente favorablement comme des victimes d’une insurrection fanatique emmenée par des salafistes et appuyée par des puissances étrangères. Si l’on assiste à la chute de la dynastie Bongo, c’est en tout cas un effondrement long et douloureux dans lequel le pouvoir se réduit au fil des jours à celui d’une meute combattue, entraînant l’ensemble des moyens d’État dans sa lutte pour la survie.

 

Jonas MOULENDA