LETTRE AU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

Jonas MOULENDA

Monsieur le Président,

Je ne nourris aucunement la prétention de vous supplanter à la magistrature suprême. Je fais ce que je crois être mon devoir auprès des gens. Je ne fais aucune politique politicienne. J’essaie toujours, en collaboration avec mes frères et sœurs patriotes, d’orienter les uns et les autres dans ce que je crois être le chemin du bien. « Ce n’est pas parce que le coq chante chaque matin qu’on dira qu’il prépare un concours de chants », disait d’ailleurs mon grand-père.

Vous devez donc accepter d’un seul front les critiques constructives formulées par vos concitoyens mus par la volonté de faire avancer notre pays. S’ils tirent à boulets rouges sur vous, ne montez pas sur vos ergots, tel un coq dans la basse-cour. Profitez-en plutôt pour rectifier le tir. Ne cherchez pas à intimider les gens à travers des arrestations arbitraires ou des poursuites judiciaires dignes d’un véritable règlement de comptes. Cela ne marchera pas. «  On n’effraie pas un cadavre avec un drap blanc », aimait à dire mon aïeul.

Personnellement, je vous dirai toujours ce que vous devez entendre et non ce que vous voulez entendre. Quand d’autres vous diront que vous êtes beau (si tant est que vous l’êtes) et que vous avez un beau costume, moi j’ajouterai que votre costume est plissé et qu’il va falloir le repasser. N’attendez pas de moi que je devienne le chantre de votre régime. Je n’en ai ni le talent, ni les qualités requises. Je continuerai donc à vous talocher pour que vous vous amélioriez. « L’or a besoin d’être frappé pour avoir sa saveur », disait mon papy, grand orpailleur de son époque.

Aujourd’hui, je vais encore vous prendre à rebrousse-poil, en vous montrant une nouvelle bourde de votre part : la manipulation des armoiries de la République. C’est un dérapage grave ! Il faut que vous demandiez pardon au peuple gabonais que vous avez offensé ipso facto. Si vous ne le faites pas, cela se retournera contre vous, tôt ou tard. « Quand tu pisses sur le mur de quelqu’un, la dernière goutte est pour tes chaussures », m’expliquait mon papy.

Comme votre sœur aînée, vous liez les symboles de la République à votre famille. Ce n’est pas sérieux, ça ! Ce n’est pas digne d’un président de la République légaliste. Retenez ceci : les armoiries du Gabon ne sont pas les symboles de votre famille. Elles furent dessinées en 1963 par l’héraldiste et vexillologue suisse Louis Mühlemann. Pourquoi les manipulez-vous? Vous mettez cette pagaille parce que les sages qui tenaient solidement les rênes de notre pays ne sont plus là. Finalement, mon grand-père avait raison de dire : « Seule la mort permet à la souris de danser sur la peau du chat. »
Les deux panthères noires qui tiennent l’écu symbolisent la vigilance et la valeur du président qui protège la nation

Si elles étaient la représentation de votre sœur et vous, le concepteur y aurait mis vos visages. Comme vous l’avez dit dans le journal français « Le Figaro », vous prenez le Gabon pour votre héritage familial. La conception que vous vous faites des armoiries du Gabon en est la parfaite illustration. Si vous n’aimez pas ce pays, laisse-le entre les mains des patriotes. « Si tu n’aimes pas le sculpteur, ne mange pas avec sa cuiller en bois », disait d’ailleurs mon aïeul.

Pour une fois dans votre vie, faites preuve de courage. Je ne dis pas « bravoure ». La bravoure s’apparente à un coup de folie momentané. Le courage s’assume sur le long terme. Faites preuve de courage ! Passez à la télévision et prononcez ces mots essentiels, ces mots primordiaux, ces mots difficiles, pour demander pardon au peuple gabonais, auquel vous faites du mal. Dramatiquement, nul ne peut le faire pour vous. Même votre perroquet qui chante mieux en cage ne peut le faire. Repentez-vous, avant que la colère de nos ancêtres ne s’abatte sur vous. Mon papy disait : « Si tu savais ce qui te guette, tu laisserais ce que tu guettes et te sauverais. »

Monsieur le Président, je considère mon devoir rempli. Quand vous aurez terminé de régler le problème de la confusion des symboles de la République, sortez des ambiguïtés. Ce n’est pas une requête, je n’ai rien à quémander. Ce n’est pas un ordre, un petit comme moi ne peut se le permettre. Ce n’est pas un conseil, vous payez grassement des gens pour ce travail consistant en murmures et frôlements, sous-entendus et non-dits. «Transporter de l’eau n’est pas le rôle du panier », aimait à dire mon grand-père à la sagesse incontestée.

Jonas MOULENDA