Mesures gouvernementales contre la crise

Conseil des ministres

Les pauvres et la compétitivité de l’économie payeront

 

Le gouvernement vient de rendre publiques les mesures d’économie pour faire face à la baisse du prix du pétrole. Comme il fallait s’y attendre, le fardeau sera essentiellement supporté par les couches les plus pauvres. La compétitivité de l’économie sera profondément affectée. Récit d’un naufrage annoncé par l’agence Fith rating’s, il y a quelques semaines.

Conseil des ministres Les mesures annoncées par le gouvernement lors du dernier Conseil des ministres du jeudi 29 janvier 2015 sont ce qui pouvait arriver de pire pour l’économie gabonaise et les couches sociales les plus défavorisées du pays. Le gouvernement ayant fait le choix d’agir exclusivement sur les dépenses sans en rechercher les nouvelles sources de recettes. Car toute politique d’ajustement repose en général sur ces deux piliers. Accroître les recettes et réduire les dépenses. Le Fonds monétaire international (FMI), lorsqu’il a recommandé ce type de mesure dans les années 80 aux Etats en difficulté, a agi ainsi. Aux coupes dans la dépense s’accompagnaient généralement de nouvelles sources de recettes.

Dans le plan non chiffré d’ailleurs du gouvernement présenté en Conseil des ministres, Ona Ondo n’annonce que des mesures d’économie. Lesquelles semblent favorables à une seule couche sociale. En optant pour la suppression de la subvention sur les hydrocarbures, la libéralisation des importations dans ce secteur et la réduction plus anecdotique des hauts salaires- car irréalisable dans un Etat corrompu comme le Gabon-, le pouvoir a fait le choix d’épargner le pouvoir d’achat des 10 % des Gabonais les plus aisés, au détriment des autres et de l’efficacité économique.

La suppression des subventions sur les hydrocarbures, dont le financement certes consomme une large partie des 300 milliards de FCFA que le Gabon consacre chaque année au poste « subvention » dans son budget, va se traduire par une explosion du prix desdits produits à la pompe. Toutes les industries et tous les services qui ont comme input le gasoil ou l’essence vont voir mécaniquement leurs prix de revient augmenter. Naturellement en économie, cette augmentation va se retrouver sur les prix finaux des produits ou des services concernés. C’est-à-dire à la charge du consommateur final. C’est ainsi qu’il faut d’ores et déjà s’attendre à l’augmentation des prix des transports urbain, suburbain et national. Celle du prix des loyers. Car il va falloir payer le transport plus cher pour acheminer les matériaux sur les chantiers. L’augmentation du prix du bois. Car la première transformation à laquelle se livrent les industriels du secteur au Gabon est grande consommatrice du gasoil. L’augmentation du prix de l’électricité produite à base du gasoil. A moins que la SEEG décide de rogner sur ses marges, pour encaisser cette augmentation. L’augmentation des prix des produits de première nécessité dont l’écoulement est grand consommateur des transports… bref, l’augmentation des coûts des produits de base, dont la consommation absorbe la totalité des revenus des personnes modestes.

Cette hausse future des prix va impacter négativement la compétitivité de l’économie du Gabon et son attractivité. Car elle va accentuer la tension sociale. Les salariés exigeant de leurs employeurs de meilleurs salaires pour faire face au surcroît du coût de la vie. Ce qui en toute logique va augmenter le coût du travail au Gabon. Autant dire que dans un tel contexte, les investisseurs potentiels éviteront la destination Gabon.
La deuxième absurdité des choix gouvernementaux est la libéralisation des importations des hydrocarbures, sans avoir au préalable mis la Société gabonaise de raffinage (Sogara) sur les rails. Cela veut dire qu’il fait le choix de la liquidation de cette entreprise nationale. Tant pis pour les centaines de Gabonais qui y travaillent et qui à coup sûr vont grossir les rangs des nombreux chômeurs. Sans oublier qu’au regard du caractère stratégique que revêt la maîtrise de la production des hydrocarbures, l’Etat gabonais fait le choix délibéré de remettre entre les mains des tiers sa sécurité. Naturellement le gouvernement s’en défend. Il parle dans le communiqué final du Conseil des ministres évoqué plus haut, de manière désinvolte de « la mise en place des mesures d’atténuation et d’accompagnement pour les opérateurs, les ménages et les réaffectations budgétaires stratégiques… ». Pures affabulations. Car aucun chiffre n’est indiqué pour montrer le caractère sérieux de cette annonce. En outre, rien n’est précis dans cette déclaration gouvernementale. Ni la nature des opérateurs concernés, ni le type de ménage visé. Un vrai fourre-tout pour se donner bonne conscience.

Pourtant un autre choix était possible. Celui-ci alliait économie budgétaire et recettes nouvelles. Sans défavoriser les couches les plus défavorisées. Tout en préservant la compétitivité. Il s’agit de s’attaquer à cette formidable incohérence qui a vu la masse salariale des fonctionnaires gabonais passer de près 329 milliards en 2009 à 732 milliards 5 ans plus tard. Dans le même temps, les effectifs n’ont cru que d’un 1/3 et aucune augmentation de salaire dans la fonction publique n’a été constatée. Cela représente presque 400 milliards de nouvelles charges salariales qu’Ali Bongo Ondimba et ses ouilles ont créées, d’un coût équivalent à la perte des recettes attendues cette année, comme l’a affirmé le PM dans le quotidien « L’Union ». Cette hausse de la masse salariale, qui a fait que cet agrégat correspond aujourd’hui à « 55 % des recettes fiscales et 35 % des dépenses totales » comme vient de l’indiquer le Premier ministre chez le même confrère, la semaine dernière, est d’autant plus incompréhensible et surprenante que la très large majorité des fonctionnaires sont dans la catégorie B. C’est-à-dire payés à peine au salaire minimum. Cela indique clairement que seuls quelques privilégiés du système ont bénéficié du surcroît de la masse salariale. Il était donc tout à fait possible de demander à ces privilégiés de se serrer la ceinture, au nom de la crise.

Le Premier ministre aurait pu aussi profiter de cette situation pour initier une réforme fiscale. Notamment en modernisant l’impôt foncier au Gabon. Cela aurait permis d’engranger de recettes nouvelles, sans que cela ne conduise à la détérioration de la compétitivité globale de l’économie, comme va l’induire son plan. C’est une voie qui se heurte malheureusement à la réalité. Les 95 % propriétaires fonciers du Gabon sont d’abord à rechercher dans les 10 % de la population la plus aisée. Dont les Bongo père et fils. Il ne faut pas leur demander de faire un effort le plus minime soit-il, pour le bien du Gabon. Tant pis s’il faut accroître l’inflation, augmenter le chômage et le taux pauvreté.

Le Premier ministre aurait enfin pu choisir, pour générer aussi des recettes nouvelles, de mettre en vente la très encombrante collection de voitures de luxe de la présidence de la République d’un montant de 65 milliards de FCFA. Presque autant que le montant de l’emprunt que l’Etat sollicite auprès de la Banque mondiale – 13 millions d’euros-, selon le communiqué du dernier Conseil des ministres. Dans la même logique, il aurait pu aussi mettre en vente la Kennedy House au Etats-Unis et l’hôtel particulier Pozzo di Borgo. Cela aurait renfloué les caisses de l’Etat à hauteur de plusieurs centaines de milliards de FCFA.

Daniel Ona Ondo rate là une occasion d’inscrire son nom dans le registre encore très peu fourni des Premiers ministres réformateurs au Gabon. Il a choisi de préserver le train de vie dispendieux d’Ali Bongo Ondimba et compagnie au détriment des couches sociales défavorisées. Ce choix ne peut conduire le Gabon qu’à une catastrophe certaine, comme l’a prédit il y a quelques semaines Fitch raiting’s.

 

Jean Michel Sylvain