POUR CONSERVER LE POUVOIR
LES BONGO NE DIALOGUENT PAS, ON LES CONNAÎT
Désiré Ename, dans son édito du 2 février dernier, soulignait avec justesse que le déclenchement récent par Ali Bongo d’une lutte contre la xénophobie et le tribalisme n’est qu’un prétexte juridique pour toucher à la Constitution gabonaise et permettre une continuité familiale au pouvoir. Il espère par la même occasion se rabibocher avec Paris en tentant de convaincre les autorités françaises qu’il fait l’objet de soi-disant attaques « nauséabondes », « haineuses de l’étranger et de l’autre » de la part du Front uni de l’opposition pour l’alternance. Au centre de cette nervosité, sa volonté manifeste de « désarmer » l’article 10 de la Constitution qui, passant au crible l’élection présidentielle de 2009, non seulement ne peut que le charger de forfaiture, d’imposture et de parjure mais également l’empêcher de se représenter à une prochaine élection.
La communauté internationale (CI) vient, suite aux événements du 20 décembre, de pousser le pouvoir à réhabiliter l’Union Nationale et le concert des voix favorables au dialogue ne fait que s’amplifier ; il fallait bien s’attendre à ce que sa petite majesté et sa fine équipe réagissent. D’autant qu’en matière de communication, ces derniers mois, ce n’était pas le top. Des tribulations d’Alain Claude Billie by Nze chez Pierre Péan à l’interview d’ABO chez Foka sur RFI où il se reconnaît détenteur de « documents…faux », en passant par le squattage des pages du quotidien « Le Monde » pour y publier un énième faux acte de naissance, ça fait, pour reprendre le brocard du Front, « amateur et incompétent ».
Dans ces conditions, comment penser remonter dans les sondages sans présenter l’opposition gabonaise comme restauratrice, revancharde, anti-française, xénophobe, tribaliste et sans programme ? But de l’opération face à une CI réfractaire aux réécritures sur mesure des constitutions : justifier la retouche de l’article 10 de la Constitution. Cet article, rappelons-le, interdit à tout Gabonais de mère et de père étrangers de se présenter à la présidence de la République. Or, en 2009, Ali Bongo Ondimba n’est pas passé sous les fourches caudines dudit article. Pourtant, il se trouvait en possession, dans son dossier de candidature, d’un acte de naissance déjà dénoncé devant la Cour constitutionnelle par Luc Bengono Nsi et, finalement, reconnu aujourd’hui par ABO lui-même comme « document faux ».
En déphasage avec les aveux du concerné, le silence de la justice gabonaise sur la conformité ou non de l’acte de naissance en question depuis la plainte déposée par l’opposition, le 13 novembre 2014, n’est qu’un aveu de sa soumission à l’exécutif en place mais ne signifie nullement une absence de dispositions juridiques en la matière au Gabon. Vendredi dernier, un certain Rigobert Akone Nze Ndong, arbitre international présent à la CAN, s’est retrouvé entre les mains de « la justice » gabonaise pour… faux et usage de faux. Les faits : « S’étant entourée de toutes les preuves nécessaires, nous indique l’Union du 12/02/2015, et, surtout, des aveux du prévenu (tiens…tiens !) qui a reconnu les faits à lui reprochés, la Direction du Contrôle de l’Immigration s’est appuyée sur les articles 121 du code de procédure pénale, qui condamne le faux et l’usage de faux, et 125 du même code, relatif aux fausses déclarations… pour le conduire devant la justice, qui l’a placé sous mandat de dépôt… » Et il aura fallu moins de 20 jours pour qu’Akone Nze soit placé sous mandat de dépôt.
Une célérité de justice qui, au Gabon, si elle tranche avec la pétrification constatée des juges dans le traitement du cas de l’acte de naissance d’Ali Bongo, a le mérite, en revanche, de montrer qu’une législation, il est vrai, même à tête chercheuse, existe bien au Gabon. Et les magistrats au service de sa petite majesté sont conscients qu’en déclenchant le droit, les doigts signataires d’Akassaga risqueraient d’être prisonniers d’un engrenage judiciaire qui finirait par broyer ABO tout entier et l’Etat-Bongo avec. Et avant 2016.
Le contenu de l’article 10 lui interdisait, déjà en 2009, de proposer sa candidature à la présidentielle gabonaise. Il lui défend aujourd’hui non seulement de se maintenir à la tête de l’Etat mais également de penser y perdurer en se représentant à une nouvelle élection présidentielle. A elle toute seule, cette disposition est une véritable mine anti-personnelle sous le pied tremblant d’ABO. D’où l’impérieuse nécessité pour lui de retouiller la Constitution à la mesure de ses ambitions étatistes. Pour désarmer l’article 10 en vue d’une participation à la prochaine élection présidentielle, la majorité dont il dispose dans les deux chambres du Parlement lui facilite théoriquement les choses. Mais le retour, appuyé par la CI, de l’UN sur la scène politique gabonaise est venu corser l’équation politique de sa petite majesté. En d’autres termes, si la CI a bataillé pour cette réhabilitation, c’est pour qu’un véritable dialogue s’instaure entre les véritables forces qui, véritablement, s’opposent et s’affrontent. Et sortir de ces échanges de politesses, pompeusement qualifiés de « dialogues » de la classe politique, entre Ali Bongo et, pour ainsi dire, ceux qui n’ont rien à lui reprocher : les Assele, Mba Abessole, Mayila, Ndaot et autres.
Lors de retrouvailles sans lendemain, ponctuées de régulières cérémonies huppées où fusent et giclent de pétillants hommages à la clairvoyance de sa petite majesté. Bien sûr, largement diffusées sur le petit écran et publiées dans les pages de « l’Union » (cf. l’Union du 5 février 2015). Véritables tsointsoin hyper médiatisé et flonflons dont le seul but est de répandre, ici, mais surtout ailleurs, le sentiment selon lequel ABO est « un homme d’ouverture.» Les Gabonais qui en ont plutôt une expérience sensiblement différente, savent que sa petite majesté fait mine de vouloir dialoguer. Et au théâtre de son altesse, les Gabonais sont repus du jeu stérile d’acteurs politiques qui dialoguent pour ne rien dire sur la crise gabonaise, tolèrent son statut illégal et contesté de Chef d’Etat et lui fichent, pour ainsi dire, une paix…royale. Ce sont ce dialogue-là, cette tolérance-là, et cette paix-là dont OBO a eu besoin pour réaliser ses 22 ans de monopartisme et ses 42 ans de présidence à vie, et qui figuraient au fronton du Parti démocratique gabonais : Dialogue, Tolérance, Paix.
La CI, préoccupée par le maintien de la stabilité dans le Golfe de Guinée, est bien consciente que, sans l’UN et le Front dans la danse, non seulement il n’y aura pas dialogue réel, mais également que l’impasse est au bout du chemin. Tout le monde a à l’esprit que la conséquence logique de ce dialogue, inclusif de l’UN et du Front, est le débat sur la question du faux acte de naissance d’Ali Bongo qui gêne ce dernier.
Sauf à penser que la CI pourrait peser de tout son poids pour que l’on parle de tout sauf du statut légal d’Ali Bongo Ondimba.
Hypothèse d’école : on n’en parle pas. Question : en échange de quoi ?
De quelques postes dans un gouvernement de plus qui serait, comme le laisse entendre l’hebdomadaire La Loupe, en préparation ? De la présidence du CND ? De la Conférence nationale souveraine ? D’un arbitrage statutaire de la CI lors de ce dialogue ? De la non-candidature d’ABO en 2006 ?
La balle est dans le camp de la CI qui, elle, pousse ouvertement et vigoureusement au dialogue.