
De victime à bourreau. La situation de Jean Ping a changé par un tour de magie au parquet de la République, à Libreville, malgré les nombreux témoignages concordants et les aveux des auteurs mêmes du caillassage de son domicile. Il est vrai que le passage de ces jeunes gens par la case police judiciaire (PJ), qui n’a pas bonne presse chez les défenseurs des droits de l’homme, à cause de ses méthodes, peut y être pour quelque chose. La suite des événements, c’est que le ministère public, dont on connaît les relations incestueuses avec la tête de l’exécutif, s’est autosaisi, en vue d’une condamnation de l’ancien président de la Commission de l’Union africaine (UA) à une peine devant déboucher sur son inéligibilité à la prochaine présidentielle. Car dans la tête d’Ali Bongo et celle des tenants du pouvoir, et on le perçoit dans toutes leurs sorties et manœuvres, Jean Ping est le candidat unique que l’opposition entend présenter en 2016.
Jean Ping est le candidat unique que l’opposition entend présenter en 2016
Qualifié d’« épiphénomène » à sa démission du Parti démocratique gabonais (PDG), début février 2014, l’ancien ministre des Affaires étrangères est plutôt apparu comme un des hommes à abattre, à l’instar de Zacharie Myboto, André Mba Obame, Jean Eyeghe Ndong, Casimir Oye Mba, Paulette Missambo et, par la suite, Jacques Adiahenot, Pierre-André Kombila, Luc Bengono Nsi, Pierre Amoughe Mba, Didjob Divungi Di Ndinge, Benoît Mouity Nzamba, Jean de Dieu Moukagny Iwangou… Il a d’abord été question de déstabiliser Jean Ping, sur la base de son ascendance chinoise, en le déclarant par conséquent inéligible à une présidentielle au Gabon, par une lecture erronée, si ce n’est volontairement approximative, de la Constitution. L’emballement médiatique qui a suivi a montré que l’argument s’est retourné contre Ali Bongo. Au point que le Conseil national de la communication (CNC) avait menacé de suspension toute publication qui aborderait encore la question des origines des personnalités politiques.
Mais le dernier livre du journaliste d’investigation français Pierre Péan, ami et fin connaisseur du Gabon, est venu rendre caduques les injonctions de l’organe de régulation des médias aux décisions souvent suspectes et controversées, prompt à voler à la rescousse du pouvoir.« Nouvelles Affaires africaines. Mensonges et pillages au Gabon » remet en cause les origines gabonaises d’Ali Bongo. Aujourd’hui, le débat est sur toutes les lèvres et alimente les joutes sur les réseaux sociaux. L’opposition s’en est saisie, en plus du faux acte de naissance produit à la présidentielle de 2009, pour réclamer la démission du non moins « faussaire » chef de l’exécutif. Les actions en justice dans ce sens promettent. De son côté, le pouvoir n’en finit pas de menacer de poursuites judiciaires l’auteur de l’ouvrage, qui a « tendance à considérer cela comme une bonne chose », faisant preuve d’une sérénité peu courante.
Au cours des derniers mois du premier semestre 2014, la stratégie du PDG consistait à discréditer Ping aux yeux de ses compatriotes, en le présentant comme un agent des puissances extérieures décidées à déstabiliser le Gabon.On l’a accusé d’inciter la compagnie pétrolière Total à ne pas payer les taxes, afin de priver le pays d’une bonne partie de ses revenus et ainsi causer une cessation de paiement susceptible de provoquer un soulèvement des fonctionnaires. Jean Ping a été ministre du Pétrole en 1993 et a eu, entre-temps, deux enfants avec Pascaline Mferri Bongo, longtemps président du conseil d’administration de Total Gabon. Cette dernière, dont les relations n’ont jamais été cordiales avec le cadet Ali Bongo, surtout depuis qu’ils se disputent l’immense héritage paternel, était de soutenir l’ancien ministre dans cette « stratégie du chaos ».
Voulant redorer son blason auprès du chef du parti, le « distingué camarade », le secrétaire général du PDG était le principal propagateur de la thèse d’un Ping ennemi de son propre pays. Faustin Boukoubi l’avait amplement développée, lors d’une réunion des cadres au cours de laquelle Ali Bongo s’était ouvertement plaint de son manque d’engagement. L’accusation portant sur« la stratégie du chaos » a été remise au goût du jour, en novembre dernier, lorsque la grogne des syndicats a atteint des sommets critiques.Cette fois, le quotidien « L’Union », dirigé depuis le palais présidentiel, a dénoncé la complicité du président de l’Assemblée nationale, dont les syndicats avaient sollicité la médiation. De quoi susciter des supputations sur une paranoïa qui aurait gagné le chef de l’exécutif ou encore son directeur de cabinet, Maixent Accrombessi, ennemi juré de Guy Nzouba Ndama.
Dans Gabon multiethnique, le pouvoir croit bâtir sa longévité en faisant vibrer la corde du repli identitaire et des lointaines chamailleries entre certaines communautés. C’est ainsi que Jean Ping ne saurait être un bon dirigeant, parce qu’il appartient à l’ethnie myene, présentée comme condescendante à l’égard des autres ethnies, les « Anongoma ». Après le « tout sauf un Fang » en 2009, le nouveau fonds de commerce c’est « tout saut un Myene » en 2016.
On a aussi tenté de soulever le problème de l’âge du capitaine qui doit tenir le gouvernail du Gabon. Ping aura 73 ans à la prochaine présidentielle. Mais c’est un couteau à double tranchant, car l’argument a déjà fait trop de dégâts au sein même du camp qui gouverne, les aînés ayant été quasiment exclus des affaires, malgré les bons et loyaux services pour la pérennité du système. Il paraît qu’ils entendent le faire payer aux turbulents et irrévérencieux émergents le moment venu. L’année prochaine ?
Il reste encore les intimidations et les menaces de mort. Au même titre que ses pairs du Front uni de l’opposition pour l’alternance, Jean Ping est arbitrairement interdit de sortie du territoire national, après avoir été convoqué avec les autres leaders à la PJ. Frère cadet de Joseph Rendjambe Issani, un opposant retrouvé mort dans un hôtel en 1990, et de Pierre Louis Agondjo Okawe, membre fondateur du redoutable Parti gabonais du progrès (PGP) dans la même décennie, deux fortes têtes qui combattaient la dictature d’Omar Bongo, l’ancien ministre a récemment déclaré qu’il est « prêt jusqu’au sacrifice suprême ».
Mihindou Bissielou