
Le Gabon peut y faire face, après Ali Bongo

Casimir Oye Mba vient de faire, samedi 28 février dernier, au nom de l’Union nationale (UN) dont il est le vice-président en charge des questions économiques, une analyse très pertinente sur la situation financière actuelle du Gabon. Elle a sans doute choqué beaucoup de personnes tant elle décrit une situation financière catastrophique. Le pire est que le pouvoir ne semble pas s’en rendre compte. En homme d’Etat, Casimir Oye Mba a conclu sur une note plutôt optimiste. Cet optimisme reste cependant conditionné par la mise en œuvre immédiate de « mesures urgentes » d’une part, et de « réformes structurelles » d’autre part.
Le gouvernement, un mois après le séminaire mondain de la Pointe Denis sur « la crise financière », peine à dévoiler sa stratégie pour endiguer les effets de cette crise financière. Toute chose qui sonne comme un démenti de la propagande émergente qui voudrait faire croire à tous que « … l’opposition radicale n’a ni programme, ni idées », comme vient de le relayer le magazine « Jeune Afrique » dans sa dernière livraison.
Pour faire face à la situation budgétaire difficile que traverse le Gabon, l’ancien Premier ministre propose quatre pistes : la cession de certains actifs dont le caractère stratégique pour le Gabon n’est pas démontré ; la réduction drastique de plusieurs postes budgétaires dont les enveloppes ont connu une croissance parfois de 400% depuis 2009 ; l’abandon pur et simple des projets qui relèvent du caprice voire de l’extravagance ; et la réforme en profondeur de certains services de l’Etat.
Dans ses propositions, Casimir Oye Mba a écarté d’emblée l’idée de considérer comme variable d’ajustement la masse salariale actuelle de la fonction publique que les émergents ont évalué, à tort, à 732 milliards de FCFA, en 2015, alors qu’elle sera en réalité de 837 milliards de FCFA, en y intégrant le coût de la Prime d’incitation à la performance (PIP) sur une année pleine. On peut percevoir dans ce choix, le souci de ne pas faire porter sur les plus faibles – les fonctionnaires n’étant pas les personnes les mieux payées du Gabon -, le poids de cette mauvaise conjoncture. Casimir Oye Mba a également écarté l’idée que le Gabon puisse faire défaut sur sa dette. Aussi a-t-il sanctuarisé ces deux postes en les qualifiant de « dépenses obligatoires ».
L’ancien Premier ministre ne croit pas non plus sur le levier de l’endettement pour combler un déficit budgétaire estimé en 2015 à 1334 milliards de FCFA. Surtout que pour lui, le poids de la dette extérieure actuelle, soit 32% du PIB, est excessif. Un service de la dette qui va représenter cette année près de 933 milliards de FCFA.
En revanche, la préférence du vice-président de l’UN va vers la cession des actifs non stratégiques.
Aussi propose-t-il à l’exécutif de vendre « … tous les biens immobiliers acquis avec l’argent du contribuable à l’étranger depuis 2009, notamment en France, en Angleterre et aux Etats-Unis. La vente du Boeing 777 présidentiel, dont l’entretien grève lourdement les finances de l’Etat, ainsi que la limitation des voyages présidentiels aux obligations internationales du Gabon ». Cette seule mesure peut rapporter entre 400 et 500 milliards de FCFA à l’Etat, selon plusieurs analystes financiers. Ce qui représente près de 45% du gap budgétaire de l’année 2015.
Casimir Oye Mba préconise aussi « la diminution drastique du train de vie de l’Etat, notamment à travers : la suppression des agences créées depuis 2009 et qui grèvent lourdement le budget de l’Etat sans effet positif sur la mise en œuvre des politiques publiques ; la suppression du système parallèle de rémunération forfaitaire dont bénéficient les agents des cabinets ministériels et politiques ; la suppression de tous les contrats de contractuels hors statut et leur mutation, si besoin, en contrat statutaires ; la suppression des contrats de consultants nationaux ou internationaux identifiés sous la dénomination SPI ou SGP, qui participent à servir des rémunérations extravagantes, lorsque ce ne sont pas des services spécieux très éloignés de l’intérêt public, à la Présidence de la République et à l’Agence nationale des infrastructures et des fréquences (Aninf), pour un montant de plus de 9 milliards de FCFA en 2014 ; la diminution des budgets des institutions, particulièrement les budgets de la Présidence de la République, de la Cour constitutionnelle, du Sénat, de l’Assemblée nationale, du Conseil économique et social, du CNC, de la Cenap et de la Commission nationale de lutte contre l’enrichissement illicite ; la réduction des coûts de fonctionnement des palais de Libreville et de l’intérieur du pays ».
En effet, comment comprendre que le budget de la Cour constitutionnelle soit passé de 1,2 milliards en 2008 à 6 milliards FCFA en 2014 ? Pourquoi le budget de la Présidence bondit-il de 8,7 milliards en 2008 à 22,5 milliards en 2014 ? Tout comme on peut se poser la question de l’efficacité de l’Agence nationale des grands travaux (ANGT), surtout qu’elle a englouti 136 milliards pour son seul fonctionnement entre 2010 et 2014. Il y a sans doute des économies à faire à ce niveau.
L’ancien Premier ministre veut aussi que l’Etat abandonne tout simplement des projets qui relèvent des caprices du prince et de « l’extravagance ». C’est le cas de la Marina du Port-môle et la construction d’un terrain de golf, d’un zoo et d’un autre palais, entreprise à la Cité de la démocratie.
Pour finir, Casimir Oye Mba appelle à la mise en place du principe de l’unicité des caisses afin de permettre au Trésor public, dès cette année, de disposer des 315 milliards de FCFA du Fonds souverain du Gabon, et des 450 milliards de FCFA issus de l’emprunt obligataire du Gabon sur les marchés internationaux.
Le plan de sauvetage de l’économie du Gabon se referme par des mesures de soutien à l’activité, notamment en réhabilitant la direction générale des marchés publics et en procédant aux règlements des dettes dues par l’Etat aux entreprises. Dans ce cadre, Oye Mba pense qu’il est possible de demander aux entreprises privées, qui licencient à tout va en ce moment, un moratoire sur certains plans sociaux, en contrepartie de l’apurement de la dette de l’Etat envers elles.
L’ancien gouverneur de la BEAC croit aussi qu’il faut profiter de cette crise pour engager plusieurs réformes structurelles, surtout dans le secteur de la santé, le rétablissement du Fonds d’entretien routier (Fer), victime d’un vrai « braquage » de la part de l’ANGT, mettant ainsi la main sur les 57 milliards que rapportent les taxes qui ont été mises en place pour assurer son fonctionnement. Soit 100% de la Redevance d’usure de la route (RUR) qui est prélevée sur les achats de carburant ; 80% de la taxe sur les assurances et 50% de la taxe complémentaire sur les salaires (TCS).
Ce sont là des mesures cohérentes qui peuvent relancer durablement la machine économique du Gabon. N’en déplaisent à Jeune Afrique et à tous les thuriféraires qui viennent « à la soupe » actuellement au Gabon.
JMS