Et si le « roi » abdiquait ?

Posté le 02 Mar 2015
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Ali Bongo

Ali Bongo

Naturellement, parce qu’il considère le Gabon comme un héritage, Ali Bongo a du mal à concevoir une vie en dehors du pouvoir. Et pourtant, il devrait s’y résoudre, car, avec la vague des démissions d’éléphants du Parti démocratique gabonais (PDG) et de personnalités de la majorité, sa victoire à la présidentielle est inenvisageable. Si tant est que, du point de vue de la morale et du droit, il puisse s’y présenter, après s’être rendu coupable de faux et usage de faux à l’élection anticipée de 2009.

Comment Ali Bongo, dont on sait depuis le 30 août 2009, jour du scrutin, qu’il avait perdu la présidentielle, peut-il gagner en 2016, si la démission de René Ndemezo’o Obiang lui fait perdre le département du Ntem et la commune de Bitam. Ces deux circonscriptions sont les seules réserves de voix sur lesquelles il pouvait encore compter dans le Woleu-Ntem. A la dernière présidentielle, la province septentrionale lui avait tourné le dos, au profit de l’indépendant André Mba Obame (AMO), plusieurs fois ministre et figure de proue du PDG sous Omar Bongo. Les locales de décembre 2013, remportées à Oyem, Mitzic et Medouneu par des militants de l’Union nationale (UN), parti dont AMO est le secrétaire exécutif, montrent que ce ne sont pas les Daniel Ona Ondo (Premier ministre), Paulette Mengue m’Owono (ministre des Transports), Françoise Assengone Obame (ancien ministre délégué) et Pastor Ngoua Nneme (ministre de l’Economie numérique) qui réussiront à promouvoir Ali Bongo face au candidat unique du Front uni de l’opposition pour l’alternance. Sitôt après sa démission, René Ndemezo’o Obiang a adhéré à cette coalition où l’on compte déjà, outre AMO, Vincent Essono Mengue (maire d’Oyem) et Jean-Christophe Owono Nguema (sénateur d’Oyem), membres de l’UN. La démission imminente du PDG de l’ancien Premier ministre Raymond Ndong Sima, lui aussi originaire du chef-lieu du Woleu-Ntem (Oyem), va davantage compliquer les choses dans cette province.

L’adhésion au Front de Didjob Divungi Di Ndinge, en quittant la majorité, rend difficile la conquête du sud du Gabon à laquelle Ali Bongo s’est lancé depuis le décès en octobre 2011, dans des circonstances non encore élucidées, de Pierre Mamboundou. L’ancien vice-président de la République et président de l’Alliance démocratique et républicaine (Adere) reste une personnalité de premier plan dans la Ngounié. Il fut député-maire de Mouila, le chef-lieu de la province, dont sont aussi originaires Pierre-Claver Maganga Moussavou et Louis Gaston Mayila. Ces deux figures de l’opposition ont salué la démission de René Ndemezo’o Obiang du PDG et son adhésion au Front. Une manière, peut-être, de démentir les rumeurs qui les accusent souvent de jouer le jeu du pouvoir.

Avec le retour en force de Benoît Mouity Nzamba, membre du Front, en même temps que Pierre-André Kombila, la conquête du Sud s’avère utopique. Les deux opposants, qui figurent parmi les premiers intellectuels de la Nyanga, continuent d’exercer une influence sur cette province qui a acquis sa réputation de frondeuse depuis 1958, pour avoir réclamé l’indépendance du Gabon lors du référendum. L’élection à la questure du Conseil national de la démocratie (CND) de Noël Borobo Epembia n’y pourra rien. L’ancien député de Tchibanga, chef-lieu de la Nyanga, a été vomi (certains sages nynois disent plutôt « maudit ») le jour où il a accepté d’entrer dans un gouvernement sous Omar Bongo, sans l’avis du Parti gabonais du progrès (PGP), sous la bannière duquel il avait été plébiscité en septembre 1990. L’entrée en scène de Jean de Dieu Moukagni Iwangou, véritable révélation, ruine les chances d’Ali Bongo de grappiller des voix au Sud. Il a acquis l’étoffe de successeur naturel de Pierre Mamboundou. Le brillant magistrat a été le souffleur du charismatique leader de l’Union du peuple gabonais (UPG).

L’élection de Séraphin Ndaot Rembogo à la tête du CND rénové ne pourra pas réaliser ce à quoi les très discrets Michel Essonghe et Honorine Dossou Naki ont échoué : contenir la vague Jean Ping dans l’Ogooué-Maritime. Faire un tel calcul, c’est oublier que cette province, qui a longtemps fourni l’essentiel des revenus de l’Etat, a trois contentieux au minimum avec le pouvoir. Son niveau de « développement » contraste avec sa contribution aux finances publiques, malgré les nombreuses promesses de transformer Port-Gentil, chef-lieu et capitale économique, en « petit Dubaï ». Au moins deux fils de la province, Joseph Rendjambe Issani et Pierre-Louis Agondjo Okawe, ont payé un lourd tribut pour le retour au multipartisme. La contestation de la victoire d’Ali Bongo en 2009 a été réprimée dans le sang. Ce ne sont pas les entrées au gouvernement de Désiré Guedon (Gamba), Basile Mboumba (Port-Gentil) et Marcelin Agaya (Omboué) qui peuvent retourner la rebelle province pétrolifère.

L’Estuaire non plus n’avait pas accordé la majorité de ses suffrages à Ali Bongo, en dépit de l’engagement du Premier ministre d’alors, Paul Biyoghe Mba. Même si celui-ci a été nommé président du Conseil économique et social (CES), il n’est plus en bons termes avec le chef de l’exécutif, qui le soupçonne de nourrir des ambitions nationales. La démission de Jacques Adiahenot du PDG (ancien secrétaire général et plusieurs fois ministre) et celle de l’ex-ministre Pierre Amoughe Mba de la majorité, après l’ancien Premier ministre Jean Eyeghe Ndong, compliquent l’équation au pouvoir à Libreville. Le ministre Christophe Akagha Mba aura du mal à lever plus de voix que son aîné Casimir Oye Mba, membre du Front.

Jadis fiefs du PDG, le Haut-Ogooué et l’Ogooué-Lolo ne sont plus des valeurs sûres. Trop de frustrations ont amené plein de cadres et simples militants à s’interroger sur le sens de leur engagement en faveur du régime. Il y a bientôt un an, le secrétaire général du PDG, Faustin Boukoubi, s’en ouvrait à ses frères de Pana (Ogooué-Lolo) dans une correspondance qui a même circulé sur les réseaux sociaux. Le silence de personnalités du Haut-Ogooué comme Antoine Dangouali Yalanzele, Marcel Abeke et Paul Toungui ne s’explique pas autrement. Philibert Anzembe, ancien gouverneur de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (BEAC), et Michel Mpega, longtemps directeur général des impôts, ont clairement choisi le camp de l’opposition.
Des figures du Moyen-Ogooué aussi mâchent leurs frustrations. La dernière en date est la perte de la présidence du Sénat, Rose Francine Rogombe, héritière du premier président, Georges Rawiri, ayant été débarquée vendredi. Ali Bongo compte peut-être sur l’Ogooué-Ivindo, réputée docile, à laquelle il promet la Primature, par le biais de l’actuel ministre des Affaires étrangères, Emmanuel Issoze Ngondet.

Mais, s’il reste un chouia de lucidité au chef de l’exécutif, qu’il regarde la réalité en face. La terre se dérobe sous ses pieds. Il peut encore sortir par la grande porte. C’est cette issue que lui indiquent la communauté internationale et tous ceux qui lui proposent le dialogue en dehors de son CND rénové.
Les chances pour Ali Bongo de remporter la prochaine présidentielle, même par la fraude et la bienveillance de la Cour constitutionnelle, sont aussi minces que pour le candidat de rechange du PDG.

Mihindou Bissielou

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