« Jeune Afrique » se trompe
C’est désormais une formule à « Jeune Afrique » (JA) : refuser de voir les réalités politiques gabonaises, pour amplifier les clichés que lui sert le parti au pouvoir. La réhabilitation de l’Union nationale (UN) est présentée par son analyste sur le Gabon, Georges Dougueli, comme une entrave à la candidature unique du Front uni de l’opposition pour l’alternance (Front).
Pour peu que Paul-Marie Gondjout, secrétaire exécutif adjoint de l’UN, à une période de la lutte de ce parti dans la clandestinité, fonde le mouvement « Article 10, Ali Bongo dégage » pour expliquer aux Gabonais que les documents de naissance de sa petite majesté présentent des zones d’ombre, à la lumière de la Loi fondamentale gabonaise, Georges Dougueli le perçoit comme une tentative de Zacharie Myboto de pousser son gendre dans la bataille pour la candidature du Front. Quitte à infantiliser Paul-Marie Gondjout qui, dans l’esprit de l’analyste de JA, ne peut exprimer ses ambitions en politique que si son beau-père le commande. De même, l’analyste en charge du dossier Gabon tente, avec subtilité, de montrer une confrontation entre André Mba Obame et Jean Ping, à travers le ton qu’il donne aux propos de Mike Jocktane.
Par ailleurs, avec la même subtilité, il présente les souverainistes comme une « force » autour de Jean Ping. Erreur de lecture ! Car tout initié et observateur attentif des évolutions politiques dans l’opposition gabonaise sait qu’il ne s’agit que d’un groupuscule au sein de l’UN, sans capacité de mobilisation ; encore moins celle de construire un socle idéologique solide en dehors de ce bloc. Mais comme la manœuvre de JA, inféodé au pouvoir d’Ali Bongo, est de montrer l’opposition gabonaise sous son plus mauvais jour, l’analyste de JA peut se permettre d’inventer ou d’édulcorer la réalité.
Passons l’éternelle ligne de démarcation qui fait l’exclusivité de JA sur sa perception des oppositions africaines, à savoir que la multiplicité des partis politique est un facteur absolu de discorde, quand bien même il aurait sous les yeux le cas sénégalais du M23. Et qu’au Gabon, pour ce qui est de la candidature unique du Front, et non de toute l’opposition, c’est lors de sa constitution, le 19 juillet 2014, autour de partis politiques et de personnalités politiques gabonaises, que leur engagement à ladite candidature unique a été scellé. Engagement conforté par la déclaration de Zacharie Myboto sur RFI, le 5 février dernier, en déclarant qu’étant membre du Front, l’UN respectera l’engagement du 19 juillet. Cela ne veut pas dire que des ambitions ne doivent pas se manifester. Dans ce processus, il y aura des candidats à la candidature. Ce qui est normal.
Peu importe qu’il y ait une candidature de l’Union des forces pour l’alternance (UFA) ou de l’Union des forces pour le changement (UFC) ? D’ailleurs, Pierre-Claver Maganga Moussavou ne fait pas mystère de son éventuelle candidature, s’il y a élection en 2016. Et que Séraphin Ndaot ou Louis Gaston Mayila peuvent, s’ils le souhaitent, présenter les leur. Tout se jouera dans la représentativité des différents blocs. Et rien ne dit que le choix des autres blocs vers plus d’unité est à exclure. La réponse des autres blocs de l’opposition à la récente sortie de René Ndemezo’o Obiang du Parti démocratique gabonais (PDG) qu’il a servi pendant plus de 30 ans est à suivre avec attention. Dès lors, il est regrettable de constater que Georges Dougueli – en mission commandée ( ?)- refuse de regarder les faits.
Georges Dougueli, spécialiste du Gabon à JA, peut s’enferrer dans ses hypothèses et certitudes. C’est sa liberté. Cependant, ne réalise-t-il pas que, depuis 2009, le PDG vit au rythme des défections, et pas des moindres ? A ces défections s’ajoutent des crises profondes en son sein, qu’il n’a pas réussi à surmonter à ce jour. Notamment entre les « caciques » et les « émergents ». Les jeunes loups et les « vieux » avec qui « on ne peut pas faire du neuf », etc.
En moins d’un an, trois ténors du PDG ont claqué la porte : Jean Ping, Jacques Adiahenot et samedi dernier René Ndemezo’o Obiang, une des plus brillantes figures que cette formation politique ait eues et qui a maintenu dans ce camp le gros des populations de l’extrême nord. La mobilisation spontanée de plus de 2500 personnes lors de sa sortie montre à suffisance que le rapport de force est en sa faveur. L’affaiblissement certain dans le Moyen-Ogooué, avec l’éviction de Rose Francine Rogombé, qui avait l’ambition de revenir au perchoir, fera des remous.
Sans compter ceux qui ont choisi de s’effacer de la scène comme Paul Toungui ou Simplice Guedet Manzela. Ajoutons à tout cela les messes, pour le moment basses, sur les ambitions qui se dessinent au sein de cette formation pour 2016, notamment Guy Nzouba Ndama et quelques cadres du Haut-Ogooué. Comment un parti aussi divisé peut-il sereinement affronter des élections à venir, même avec une présence sur l’étendue du territoire ? Quant à la réalité de celle-ci, ce n’est pas exagérer que de dire qu’elle s’est amenuisée. Entre-temps, et c’est vérifiable, l’opposition, et particulièrement le Front, se consolide substantiellement.
En plus de cela, le Front a bouleversé la réalité géopolique du Gabon. Si hier, le pays était divisé entre le Nord et le Sud, aujourd’hui cette donne a changé. La coalition au sein du Front est un rassemblement multiethnique. Ce qui fait que, dans les faits, le maillage de l’opposition est désormais national, avec une représentativité certaine.
Si le sieur Dougueli veut approcher l’exactitude et la véracité des faits, c’est vers ces quelques pistes qu’il devrait s’orienter.