LETTRE AUX MINISTRES DE L’INTÉRIEUR ET DE LA DÉFENSE NATIONALE

Jonas MOULENDA

Messieurs les Ministres,

Cela fait deux mois que je suis à l’étranger et cela n’empêche pas que je continue de prendre des nouvelles de notre pays à travers les médias et mon vaste réseau d’informateurs. « L’hirondelle vole très haut, mais ses pensées sont à terre », disait d’ailleurs mon grand-père.

Les nouvelles que je reçois ces derniers temps ne sont pas des plus rassurantes. Permettez-moi d’en être inquiet. Mon aïeul me faisait observer que « quand on égorge le coq, le canard ne doit pas rigoler ». J’ai appris que vous faites partie de la task force qui se réunit quotidiennement et décide des grandes lignes dans la crise sociale que connaît notre pays. C’est cette task force qui décide de l’utilisation ou non des forces qui sèment la désolation parmi la population.

Je voudrais ex abrupto vous dire que les forces publiques placées sous votre tutelle détruisent à petit feu notre paix sociale et vous ridiculisent davantage aux yeux du monde. De forces publiques, elles sont devenues les bourreaux de la population qu’elles sont censées protéger. Il faut stopper ça ! Si vous ne le faites pas, vous ne resterez pas au Gabon quand Ali Bongo sera traduit devant la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité. « Qui puisent l’eau dans le même puits entremêlent leurs cordes », relevait mon papy.

J’ai des doutes sur la nature de votre combat. Il me faut certainement affiner ma conception de la force publique, mais je doute que ce soit se ranger du coté des plus forts. Vous devez tout faire pour ne pas porter la responsabilité des escadrons de la mort, au risque d’avoir à rendre des comptes lorsque le pouvoir obsolète et corrompu que vous défendez tombera. « Quand la poule est attachée, le cafard lui demande des explications », disait mon grand-père.
Vous devez veiller à ce que policiers, militaires et gendarmes protègent la population et ne la violentent pas. Cela vous grandirait et vous ferait entrer dans l’histoire. Ne servez pas vos intérêts personnels face au peuple qui subit au quotidien les affres de la vie. A moins de me tromper, c’est cela la conception du patriotisme pour moi. Faites-nous l’économie des actes de barbarie qu’on voit ces derniers temps sur les réseaux sociaux. Cela risque de vous porter préjudice. Mon aïeul me rappelait que « la pipe qui consume le tabac se laisse aussi consumer par le tabac ».

Comme nous sommes dans un petit pays où tout le monde se connaît, il faut éviter de poser certains actes. Les Gabonais ne sont pas des guerriers. Ils aspirent simplement à vivre dans la paix et l’amour du prochain. Ils se battent tout naturellement pour que leurs droits soient respectés. Pourquoi envoyez-vous des agents les molester et tirer sur eux ? Arrêtez ça ! Vous vous servez mal de votre autorité. Finalement, Al Mutanabbi n’avait pas tort de dire : « Chaque fois que le temps a fait croître un bâton, au bout du bâton, l’homme a mis la lance. »

Les Gabonais demandent le départ d’Ali Bongo parce qu’il n’a pas su gérer le pays. Il a préféré s’entourer d’une bande de métèques profito-situationnistes, au détriment des compétences nationales. Un démocrate ne discute pas le choix du peuple. Qu’il se trompe ou pas, cela fait partie du jeu démocratique. Cessez donc de le maintenir par la force. Il ne fera rien de beau. « Le chien qu’on emmène de force en chasse n’attrape pas le gibier », m’expliquait mon papy, grand chasseur de son époque.
Ça c’est une bataille perdue d’avance. Un vent de liberté n’en finit plus de souffler sur le Gabon ! Le peuple finira par avoir raison du pouvoir vacillant que vous défendez aujourd’hui. « Même si le mouton mange l’herbe, elle continue de pousser », me faisait remarquer mon grand-père. Au fait, quel sentiment avez-vous quand vous revoyez les images de l’assassinat de l’étudiant Mboulou Beka par les escadrons de la mort à la solde du régime que vous protégez ?

L’injustice doit céder le pas à la raison. Est-ce un crime de lèse-majesté que de demander le départ d’un président réfractaire aux aspirations du peuple ? Est-ce juste d’être victime d’exactions barbares du seul fait qu’on manifeste son mécontentement dans la rue ? J’en viens à conclure que c’est le dernier instinct de survie politique qui amène votre Ali Bongo à user de la force publique. Finalement, je donne raison à mon aïeul, qui disait : « L’homme qui se noie s’accroche à tout, même à un serpent. »

Vous devez penser à l’avenir de notre Gabon et à votre paix intérieure après le départ d’Ali Bongo. Vous devez mener un combat non pas pour un individu, mais un combat empreint d’humanité, afin de sauver notre pays du chaos qui le guette et d’offrir aux générations futures un pays où il fait bon vivre. Le contraire vous exposera à de sérieux problèmes après la chute de votre mentor politique. « Quand l’eau monte, les poissons mangent les fourmis. Quand l’eau baisse, les fourmis mangent les poissons », aimait à dire mon grand-père.

Jonas MOULENDA