« Poursuivre une soi-disant lutte à l’intérieur du PDG pour y promouvoir des réformes est devenu totalement illusoire », déclare René Ndemezo’o Obiang.
Peut-on analyser les 30 années passées de René Ndemezo’o Obiang(RNO) au sein du Parti démocratique gabonais(PDG) et aux côtés d’Omar Bongo comme une sorte de « pragmatisme politique» dont, pour paraphraser Althusser, la philosophie silencieuse parlerait à haute voix dans l’engagement politique socialisant de RNO dans sa jeunesse ? Le fait, au cours de cette déclaration du 28 février 2015, d’avoir insisté pour parler de lui-même, notamment de ses états de service au sein du mouvement étudiant gabonais (Association Générale des Etudiants du Gabon/AGEG) et africain (Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France/FEANF) n’est-il pas un rappel pour nous dire que si en ce jeune – de 1967 à 1989 – « parlait la vérité », elle a continué « à s’exprimer de façon muette, accompagnant de son assourdissant silence » son action politique manifeste au sein du PDG et auprès d’OBO ? Comme pour dire que ce long passage de RNO au pouvoir, après l’avoir combattu, 20 ans durant, n’est que l’humus d’une roche-mère peu ou pas du tout altérée. Pourquoi pas ?
En tous cas, le jeune René Ndemezo’o Obiang n’est pas une fiction, il a bel et bien existé. Son influence dans les débats politiques et syndicaux tant au sein de l’AGEG, de la FEANF, et ailleurs est avérée au cours des années 70/80. Influence que peuvent corroborer ses compagnons, non moins influents, de ce temps-là : Paul Toungui, Pierre Amoughe Mba, Simplice Guedet Manzela, Jean-Paul Neyer Anguile, Blaise Ivanga, Levy Ntem, Barnabé Indoumou, Guillaume Moutou, et bien d’autres vivants et partis, ou des grands frères de l’époque comme Pierre-André Kombila Koumba et, même, un certain…Jean Ping qu’il rencontra dans le Paris de mai 68.
Au plan africain, le jeune RNO fut le vice-président d’Alpha Condé de Guinée Conakry, alors patron de la FEANF. Amoussou et Quénum du Bénin, Youssoufou du Niger, Me Mbemba du Congo, Goupande et Ki-Zerbo de la Centrafrique côtoyèrent ce jeune Gabonais qui marqua, dans les années 70/80, le débat patriotique africain en milieu estudiantin. Les débats furent nombreux. Certains provoquèrent le départ des Gabonais de la FEANF de plus en radicalisés par une approche marxisante de l’analyse de la situation politique dans le monde, en Afrique et notamment chez eux, au Gabon.
Pour l’AGEG, son pays, véritable néo-colonie, était dirigé par une bourgeoisie politico-bureaucratique et compradore (BPBC), les Bongo et le PDG, à la solde de l’impérialisme, notamment français. Et, pour sortir de cette situation, l’association, comme on l’appelait, ne prônait qu’une seule solution : la révolution de démocratie nouvelle. S’inspirant de la plus pure tradition de l’expérience révolutionnaire chinoise, le mouvement patriotique estudiantin gabonais en retint que le peuple, notion historique et dialectique, est composé de la classe ouvrière, la paysannerie, la petite bourgeoisie urbaine et la bourgeoisie nationale qui, théoriquement, à la différence de la BPBC, se heurte dans le processus de son épanouissement aux intérêts impérialistes, notamment français.
En effet, le café et le cacao ont permis l’enrichissement de certains compatriotes liés à la production et à la vente de ces deux graines. Les producteurs étaient alors en contact direct avec les acheteurs. Le pouvoir Bongo, venu sciemment se mettre entre les deux, a contribué à appauvrir les producteurs. C’est lui qui, désormais, évaluait la qualité de la production de ces derniers. Les choses étaient donc limpides pour les patriotes gabonais à l’étranger : s’appuyer sur la classe ouvrière et son parti pour engager une lutte de libération nationale afin de bouter du pouvoir l’impérialisme et ses valets, notamment la famille Bongo et le PDG.
La mort de Mao Ze Dong et l’arrivée de Deng Xiao Ping au pouvoir en Chine vinrent déclencher un débat qui s’empara du mouvement patriotique africain, et bien évidemment gabonais. La République Populaire de Chine estimait que le danger et l’ennemi principaux étaient désormais l’Union Soviétique, que la force principale était le tiers-monde, et, enfin, que l’Europe – donc la France – même les USA devenaient de potentiels alliés dans la lutte pour défaire le social impérialisme soviétique. Cette analyse constitua un tournant où les pouvoirs dictatoriaux en place sur le continent africain pouvaient, selon leur positionnement antisoviétique ou pas, être rangés soit dans le camp des suppôts de Moscou soit dans celui d’un vaste front uni antihégémonique dirigé principalement contre l’URSS. Au sein duquel le Gabon jouait un rôle non négligeable dans le Golfe de Guinée.
Au sein de l’AGEG qui y adhéra, RNO fut l’un des principaux vulgarisateur de cette analyse qui aboutissait logiquement à considérer le régime de Libreville et la France désormais en alliés, non plus en ennemis, dans la politique d’isolement de l’Union Soviétique. En outre, elle semblait offrir aux patriotes gabonais la perspective qu’en intégrant le pouvoir ils pourraient pousser à des mutations politiques et sociales dans le pays. Certains firent le pas. C’est le cas de RNO. Un choix diversement partagé par ses anciens compagnons qui, pour certains, ont ouvertement refusé d’emprunter le même chemin. Nous sommes à la fin des années 70. « Je me suis simplement rappelé, dixit RNO, de ce que conseillait un grand penseur et stratège qui disait en substance ceci : «Si vraiment, pour des nécessités historiques, vous êtes obligés de faire des compromis, passez des accords pour atteindre les buts pratiques du mouvement, mais n’allez pas jusqu’à faire commerce des principes, ne faites pas de concessions idéologiques… Je me suis également inspiré de ce proverbe qui dit que «même les montagnes se rencontrent».
Plus de 30 ans après, René Ndemezo’o Obiang qui ne se considère pas comme un entriste – car explique-t-il : « en acceptant de travailler avec Omar Bongo Ondimba, fondateur et leader du PDG, je n’ai jamais eu l’ambition, ou plutôt la naïveté de croire que je pourrais «transformer» la nature de cette formation politique » – a, dans sa Déclaration du 28 février 2015, porté une appréciation globalement négative du PDG d’Ali Bongo Ondimba qui, à ce que nous avons compris, ne peut conduire aucune réforme sérieuse de fond dans le pays et, encore moins, des mutations, même d’ici à 2025. Le propos est particulièrement dur. Morceaux choisis
Au plan de la crédibilité de sa petite majesté : « …aucune des nombreuses promesses faites par Ali Bongo Ondimba dans son projet de société «l’Avenir en confiance» n’a été véritablement réalisée. Tout au contraire, la situation du pays n’a cessé de se dégrader au plan économique, social et culturel en même temps que les tensions politiques se sont exacerbées jusqu’à un point extrême. »
Au plan de sa volonté déclarée de se perpétuer au pouvoir : « L’actuel Chef de l’Etat a été proclamé élu pour 7 ans et non pour 14 ans ou 21. Il lui revient d’honorer les engagements pris devant le peuple gabonais pour cette période précise. Se projeter en permanence au-delà de cette période de 7 ans, en prétextant faire du Gabon un pays émergent en 2025, c’est dénier la souveraineté au peuple, caractéristique principale de toute démocratie digne de ce nom. »
En ce qui concerne Le Plan Stratégique Gabon Emergent : « [c’] est donc une véritable fuite en avant face aux attentes légitimes et urgentes des populations dans les domaines essentiels tels l’éducation, la santé, le logement, la route, l’emploi, la vie chère, etc. Par ailleurs, les projets élaborés dans le cadre de ce fameux «Plan Stratégique» le sont à l’emporte-pièce, dans l’improvisation, sans fil conducteur et donc dans l’incohérence totale. Le pilotage a vu, l’improvisation, l’incohérence et l’amateurisme sont ainsi des marques de fabrique du nouveau pouvoir dans le mesure où il n’y a pas, par exemple, aucune articulation entre le «Plan Stratégique Gabon Emergent et des projets tels celui de la zone économique spéciale de Nkok ou la «Marina» pour ne citer que ces deux exemples qui laissent dubitatifs bien d’observateurs de la vie politique et économique gabonaise. »
L’annonce de la décision historique de quitter définitivement le Parti Démocratique Gabonais pour entrer dans le Front Uni de l’Opposition pour l’Alternance annoncée au cours de cette allocution historique indique non seulement la qualité supérieure de cette déclaration par rapport à celle de Bitam en 2012, mais également le rejet d’un centrisme politique improductif dans l’état actuel de la configuration, et, enfin, la réduction à néant des chances d’un dialogue gabono-gabonais dont RNO était l’un des chantres en 2012. Il appelle aujourd’hui à un arbitrage international, notamment africain. A cet effet, l’architecture qui se bâtit autour du CND de Séraphin Ndaot, sans risque pour la tranquillité de sa petite majesté, ne semble convaincre que peu de monde aujourd’hui. Même Séraphin Akoure Davain et Louis Gaston Mayila n’en sont pas. C’est dire…
Le choix de René Ndemezo’o Obiang pour l’opposition radicale ne fait plus l’objet d’aucun doute. Et tout en surlignant le fait qu’il n’est pas candidat à la prochaine élection présidentielle, il a invité avec force le Front à désigner le candidat unique de l’opposition le plus rapidement possible.
Si, RNO, dans une sorte d’élan style « les Bongo, ça suffit comme çà » a convaincu, ce samedi 28 février, de son aversion pour une dévolution monarchique du pouvoir, il lui reste désormais à se faire une place au sein du Front.