EDITORIAL : Le devoir de vérité
Par : Désiré Ename
Nous avons choisi de faire le métier de journaliste d’abord par amour. Ensuite pour les valeurs qu’il impose. Au nombre de ces valeurs, il y a la vérité, un devoir auquel est astreint tout journaliste.
Je me souviens du dernier soir de la vie de ma défunte mère, Jeannette Ening-Bene Ename. C’était le 5 juin 2013 à la clinique Chambrier. Elle avait tenu, ce soir-là, à parler au journaliste que j’étais, comme elle le faisait, à l’occasion, chaque lundi, jour de parution d’« Echos du Nord ». Ce soir-là, elle me disait, mot à mot, « continue ton travail sans peur. N’écoute pas ceux qui te diront de laisser tomber, car ton travail est lié à la vérité. Rien ne t’arrivera. » En réalité, elle ne faisait que reprendre des conseils qu’elle m’avait donnés le 27 mai 2013, quelques heures avant que nous ne l’amenions dans cette clinique, mon frère, l’abbé Dominique, ma grande sœur Béatrice et moi. Connaissant la délicatesse de ce métier, cette mère craignait farouchement que des faits non avérés soient volontairement colportés dans « Echos du Nord ». Jusqu’à son dernier soupir, elle y a veillé à sa manière.
Je suis persuadé que la nécessité pour ma mère de me rappeler un des fondamentaux de notre métier de presse, d’autres parents en ont fait autant pour leurs filles et fils, mes confrères et consœurs, exerçant cette noble profession. Je suis aussi certain que de nombreux parents ont également été attristés par le travestissement des faits et de la vérité par de nombreux autres confrères. Je partage la tristesse de ces parents. Notre profession nous impose le devoir de vérité. Car ce devoir de vérité est notre contrat de fidélité avec nos lecteurs et tous ceux qui nous soutiennent dans ce dur labeur. Parce que ce devoir de vérité est notre raison d’être et de se dire journaliste.
J’ajouterai que c’est à cause de ce devoir de vérité que Jonas Moulenda et votre humble serviteur se retrouvent à errer loin de leur terre natale. Qu’au nom de ce devoir de vérité, mon jeune frère Jonas a reçu des menaces en 2009, pour avoir osé dire ce qu’il avait vu à Port-Gentil, où avait eu lieu la répression la plus sanglante que notre pays ait connue à ce jour. Qu’au nom de ce devoir, il a quitté son ancien employeur. Qu’au nom de ce devoir de vérité, lui et moi avions subi enlèvement, tentatives de meurtre, arrestations et j’en passe. Et jamais nous n’avons cédé. Si la vérité doit nous priver de notre liberté de vivre sur notre sol, nous l’assumons. Ce devoir est si sacré qu’il n’autorise aucune concession.
Je sais que beaucoup de nos lecteurs désirent savoir ce qui s’est passé au sujet de notre confrère d’« Ezombolo ». Trouver des réponses sur les questions suivantes : as-t-il dit la vérité ? Jonas et moi lui avions-nous donné cette information ? Ai-je fait un arrangement avec lui pour qu’il le couche dans son journal pour sauver sa peau ? Au nom de ce devoir de vérité, je vous réponds NON à chacune de ces questions. Nous ne sommes associés en rien dans tout ce qu’il a écrit et n’avions nullement été ses sources. Pourquoi irait-on glisser des informations à un confrère alors que nous avons nos colonnes ? Et que d’informations sensibles donnons-nous à longueur de semaines ! En quoi aurions-nous eu peur de publier ce « pipi de chat » qui a ébranlé un ministre dont on connaît le zèle lorsqu’il faut opprimer des personnes ? Et si d’aventure j’ai un arrangement à faire pour tirer un confrère d’une mauvaise situation, ce sera dans la clarté et la vérité. Mes confrères savent qu’ils peuvent compter sur moi. Je les soutiendrai dans les difficultés et défendrai toujours leur cause. Jamais je ne laisserai tomber l’un d’entre eux. Quel que soit le côté de la barrière où il se trouve. Je dis ce que j’ai toujours fait. Et il en sera toujours ainsi. Toutefois, j’invite mon confrère, en toute conscience, à retrouver la voie de la vérité.
Nous menons par ailleurs un combat dans notre pays : celui de la liberté d’expression et de la presse. Nous avons donc un devoir de solidarité. C’est au nom de cette solidarité que nous avons pris faits et causes pour notre confrère arbitrairement arrêté pour une banale information qu’il a distillée. Tout comme nous ne le laisserions pas tomber si le ministre de la Défense et ses sbires avaient l’intention de rappliquer. Ils sauront à leurs dépens qu’on ne tue pas une conscience libre. Mais qu’ils se trouveront en face d’autres consciences libres et déterminées à le leur faire comprendre.
J’ai le souvenir substantiel d’une recommandation des Nations unies lors de la journée internationale de la liberté de la presse, je crois en 2013. Cette organisation appuyait les journalistes et leur demandait « d’écrire sans peur ». A mon tour, au nom du journal dont j’assure la direction, je demande à notre confrère et à tous les autres de faire nôtre cette recommandation. C’est en écrivant sans peur que nous allons libérer la parole dans notre pays. C’est en écrivant sans peur que nous allons efficacement contribuer à la libération de notre peuple. Il n’y a rien de tel qu’un peuple qui exprime librement ses aspirations. C’est la voie assurée pour la bonne gouvernance et pour l’Etat bienveillant que nous appelons tous de tous nos vœux. Et à l’heure où un nouveau code de la communication inique va être soumis à l’examen puis au vote des députés, visant à restreindre la liberté d’exercer des journalistes parce qu’ils dérangent le pouvoir, j’invite tous les confrères à le dénoncer en laissant libre cours à leur plume. Sans peur. Soyons ensemble. Sans peur.