
Ce patron de presse indépendant et à la liberté de ton certaine, a été enlevé à son domicile le 5 mai dernier, avant d’être conduit à la direction générale de la contre-ingérence et de la sécurité militaire, «B2». Les raisons de cette arrestation sont inconnues à ce jour. Un acte diversement apprécié, qui est intervenu au lendemain de la célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse.
Pour l’heure, rien ne permet de dire exactement ce qui lui est reproché, et nul n’a pu confirmer que son journal ait récemment fait l’objet de plainte.
C’est dans des conditions dignes d’enlèvement, que le journaliste a été sorti de son domicile, au petit matin. Des agents en civil l’ont surpris en pleine séance de travail, à demi vêtu, avant de le sommer de les suivre. C’est plusieurs heures plus tard que sa femme alarmée, a appris que Jean de Dieu était retenu au B2 et non, conduit devant le juge comme l’exige la loi en matière de délit de presse. Si les raisons de l’interpellation du journaliste restent officiellement inconnues, il reste notoire que Jean de Dieu Ndoutoum-Eyi, enseignant au département des sciences de la communication et de l’information (DSIC) à l’Université Omar Bongo (UOB), est très critique vis à vis du pouvoir en place, qui, de son côté, ne rate pas une occasion pour bien le lui rendre.
Tout indique que la ligne éditoriale du journal pourrait être à l’origine de cette interpellation. Dans sa dernière livraison, le journal a évoqué la mise au point entre le président de la République et le ministre de la Défense. Une information qui aurait suscité la hargne du pouvoir, qui veut à tout prix atteindre les sources du journaliste. Cette interpellation survient après la sortie de son livre «Dynastie démocratique au Gabon. Anthologie d’une préservation à tout prix du pouvoir par le clan». Dans son ouvrage, l’auteur a choisi la dérision pour dénoncer les travers de la démocratie gabonaise, la persistance des coups d’états électoraux, la confiscation des médias de service public.
Disséquant les évènements politiques de ces dernières années, Jean de Dieu Ndoutoum-Eyi signe avec cette publication une satyre incisive et révèle sans violence verbale les coulisses d’une démocratie en mal de liberté. Très peu présent dans les kiosques, son titre « Ezombolo, Le balai –brosse de nos vices et coutumes » est l’un des plus corrosifs du pays, alliant humour et critique acerbe. Ses écrits lui ont notamment valu d’être suspendu à plusieurs reprises par le Conseil national de la communication (CNC), organe de régulation des médias.
Alors que la promesse de l’adoption d’une loi sur la dépénalisation des délits de presse a été annoncée par le gouvernement, dans la déclaration de la ministre de la Communication lors de la récente célébration de la journée mondiale de la liberté de la presse, l’arrestation du fondateur et directeur de publication de l’hebdomadaire «Ezombolo», laisse perplexe.
Depuis 2009, le climat sécuritaire s’est considérablement dégradé au Gabon. Ali Bongo Ondimba et ses sbires mènent une véritable traque des journalistes indépendants, au point de contraindre certains à l’exil. Ali Bongo a d’ailleurs mis en garde tout homme de média qui s’attaquerait à lui et à son entourage.
Avec ces arrestations injustes et arbitraires, la mission de «renforcer la démocratie, les libertés fondamentales et particulièrement la liberté d’expression à travers les médias indépendants, libres et pluralistes» promise par le ministre de la Communication, incombe désormais aux journalistes.
Face à ce clair-obscur, renforcé par le refus manifeste du pouvoir de livrer des explications claires sur les raisons de ce rapt, l’organisation de défense des journalistes, Reporters Sans Frontières, se prononce pour sa libération sans autre forme de procès.
Aria STARCK