
Par : Stephen Jean Landry
Dans la tradition fang –ethnie du Gabon-, lorsqu’un notable meurt, on se pose la question de savoir ce qu’il adviendra de ce qu’il laisse. Qui pourra gérer son héritage ? S’il est convenu que le défunt a laissé derrière lui des hommes accomplis [« Bot » en fang-ndlr], on considère, en général, que la succession se passera bien. André Mba Obame a laissé un village, le Front Uni de l’opposition pour l’alternance, qui se reconnaissait en lui, sa famille consanguine, son foyer, la formation politique dont il était secrétaire exécutif jusqu’à sa mort, l’Union Nationale, UN, des centaines de milliers d’amis, mieux, le peuple gabonais resté orphelin d’un leader charismatique de sa trempe. Ces « Bot », d’où sortira le nouveau chef, soit se trouvent au FRONT, soit à L’UN, soit le peuple gabonais l’engendrera.Dernier porte-étendard emblématique de la lutte contre la domination de la famille Bongo sur le Gabon, André MbaObame, pour nombre de ses partisans, est mort les armes à la main, sur le champ de bataille. Mais, au fait, que laisse-t-il comme héritage, hormis ce flambeau qui lui a échappé des mains lorsque, atteint par les coups de boutoir du pouvoir des Bongo, notamment de sa petite majesté dont il était devenu la bête noire, il est tombé ? Qui aura la clairvoyance, le bras assez vigoureux pour soulever cet étendard et le don de soi pour aller jusqu’au bout. Car si toutes les morts n’ont pas la même signification, on peut supposer que tous les étendards n’ont pas le même poids. Celui-ci a le poids de l’héritage que nous lègue, à tous, AMO, comme on l’appelait affectueusement. Quel est-il ? A notre avis, les valeurs incrustées dans cet étendard, gisant encore au sol, se lisent en termes d’actifs mais également de passifs. Passif, non au sens de négatif, mais au sens de potentiels à davantage bonifier, de chantiers laissés inachevés.
SES VALEURS
La première des valeurs définit AMO comme un volontariste combattant le défaitisme, le fatalisme. En effet, en moins de deux semaines, cet homme, ce membre éminent du gouvernement sous Omar Bongo Ondimba, a su recueillir, en 2009, l’assentiment populaire. Il a suffi qu’il décide de retourner son fusil contre un pouvoir en place depuis 1968, pour que les Gabonais lui pardonnent son long séjour aux côtés de la « famille royale » et l’adoubent comme combattant en chef contre la dictature des Bongo. Une autre valeur qui émane d’AMO, enseigne qu’il faut d’abord compter sur ses propres forces et compter avec le peuple gabonais. C’est cette force et ce peuple qu’il s’est attaché à constituer et à rassembler en moins de 15 jours, pour remporter l’élection présidentielle anticipée de 2009. Sa ferme volonté de ne pas faire couler le sang des Gabonais à la suite du hold up électoral des Bongo, choisissant le recours juridique à un quelconque plan ‘’B’’, relève son humanisme, son attachement à la non violence et aux valeurs républicaines, et partant, son sens élevé de la notion du pouvoir suprême. Sa conviction qu’il faut nécessairement construire le Gabon avec tous les Gabonais, s’insurge contre le repli identitaire et milite pour des principes d’une République unie dans la diversité. Intégrer l’Union Gabonaise pour la Démocratie et le Développement, UGDD, puis accepter qu’un non-fang, M. Zacharie Myboto, préside aux destinés de l’Union Nationale, reste la marque d’un attachement aux valeurs de cette République, foulées aux pieds par le système Bongo. Les discours des syndicalistes sous le chapiteau du stade de Nzeng-Ayong, devant le cercueil d’AMO, ont rappelé, avec des exemples frappants, la volonté réformatrice d’AMO. Tant au plan de l’éducation nationale qu’au plan de l’assurance maladie, André Mba Obame est apparu, à l’écoute de ces intervenants, comme quelqu’un qui, même au sein du pouvoir, tentait d’agir dans le sens de l’intérêt général, de la solidarité nationale. Mais, dans le même temps, AMO, en quittant le pouvoir en 2009, s’était finalement convaincu que de véritables réformes, profondes et durables, étaient impossibles au sein de ce système. On ne saurait omettre le fait qu’AMO était arrivé à la conclusion que, sans parti politique, il était impossible d’accéder au pouvoir central. D’où son rapprochement aux côtés de Zacharie Myboto, dont l’une des conséquences reste la création l’Union nationale (UN), fer de lance de l’opposition gabonaise. Conviction, détermination, et disponibilité étaient les qualités qu’a emporté avec lui ce natif de Medouneu – bourgade du nord du Gabon-.Voilà résumés quelques actifs de l’héritage qu’AMO nous laisse.
CHANTIERS INACHEVES
En termes de passifs, il faut en souligner un. La question du parti. En interdisant l’Union Nationale, le pouvoir avait pour objectif de freiner l’édification d’une machine politique rivale. En mourant trop tôt, AMO, secrétaire exécutif de l’UN, laisse là un chantier inachevé. Et, les obsèques d’AMO ont démontré les difficultés réelles que l’ensemble des partis du FRONT, et notamment l’UN, ont rencontrées pour contrôler ces dizaines de milliers de Gabonais qui ont géré les obsèques du disparu, pendant 4 jours, à Libreville notamment.
Les partis électoralistes post-conférence nationale sont arrivés, il faut bien en convenir, à péremption. Leurs échecs respectifs et répétés, après avoir pourtant eu maille à partir avec Omar Bongo Ondimba, se sont essoufflés et ont finalement poussé les Gabonais à les déserter, entrainant avec eux même la jeunesse. En créant l’UN, AMO et Myboto ne pouvaient avoir en tête que l’édification d’une structure plus performante que tout ce qui avait été créé depuis les années 80. L’organisation des adhésions massives au siège de l’Union Nationale traduit bien qu’il faut faire avancer le chantier. Surtout à quelques mois des échéances électorales de 2016 –Présidentielle-.
Egalement en chantier, l’implantation du parti sur toute l’étendue du territoire national. Le pouvoir et sa presse jouent sur la plus grande présence de l’UN dans le nord du pays pour l’estampiller fang et agiter à souhait, en milieu non-fang, l’atavique « Tout-Sauf-les Fang» que, depuis 1968, la famille Bongo au pouvoir en a fait un mode de gouvernement de la République. Conscient de cet écueil, « l’invention politique » qu’a été ce tandem Myboto-AMO, symbolique forte, a exprimé encore mieux que celui de Mba Abessole-Kombila Koumba. La volonté de penser GABON et non pas seulement GRAND SUD, ou seulement GRAND NORD. Un tel attelage constituerait nécessairement un danger pour un Parti démocratique gabonais, le PDG au pouvoir, en pleine démolition interne dont les déçus, toutes provinces confondues, et selon le principe des vases communicants, pouvaient être séduits par le couple Myboto-AMO. D’où, pour sa petite majesté, la nécessité de l’interdiction de l’UN. C’est pourquoi, désormais réhabilitée, l’UN doit reprendre le chantier non seulement pour préserver les acquis en zone nord du Gabon, mais aussi pour structurer son implantation dans le sud, l’est et l’ouest du pays.
Assurément, il y a un patrimoine AMO, mais à qui reviendra-t-il ? Comme nous l’avions déjà écrit, c’est un guerrier qui est mort à la guerre. Un des derniers porte-étendards de cette longue lutte contre le règne sans fin de la famille Bongo sur le Gabon, AMO a rejoint le panthéon des Lumumba, Félix Moumié, Thomas Sankara et de bien d’autres illustres africains qui sont partis trop tôt et qui se sont donnés jusqu’au bout. Il est donc question de reprendre cet étendard. D’où viendra celui qui, guidé par l’esprit des valeurs d’AMO, aura la clairvoyance nécessaire, le bras assez fort, le cœur bourré de courage et d’abnégation, une conviction sans faille, une détermination d’airain et une disponibilité de tous les instants pour le combat ?
Du FRONT ? De l’UN ? D’ailleurs ? Puisqu’AMO est devenu l’héritage de tous.