

Par : Désiré Ename
Ce qu’il s’est passé samedi à Libreville est, incontestablement, à recentrer dans le débat du peuple de l’opposition. Ce peuple qui a montré sa capacité réelle en constituant, lors des obsèques d’André Mba Obame, un rapport de force jamais égalé de toute l’histoire des rassemblements de l’opposition depuis 1990. Signe que ce peuple de l’opposition, toutes tendances confondues, existe. Que veut-il ?
A l’écouter dans sa majorité durant ces jours, son choix a été simple : mettre un terme au régime actuel. De quelle manière ? Dans sa majorité, ce peuple de l’opposition n’a pas dit : « Cooptons un candidat et allons aux élections en 2016 comme le veulent la communauté internationale et Ali Bongo Ondimba.» Bien au contraire, ce peuple a exigé que soient soldées les questions les plus préoccupantes qui constituent les points de blocage à une élection transparente.
Au nombre de ceux-ci, il y a : la transparence sur les documents d’état civil de sa petite majesté Ali Bongo Ondimba, condition sine qua non de sa participation à la présidentielle ; la liste électorale sur la base d’un recensement fiable ; si des avancées ont été faites sur l’introduction de la biométrie, elle reste à parfaire, afin de lui donner confiance ; une Constitution qui garantisse l’expression populaire consacrant des élections à deux tours ; la fiabilité des institutions impliquées dans le processus d’organisation et de proclamation des résultats. Telles sont les positions que ce peuple exprime à travers les réseaux sociaux et au quotidien, voire dans ses prises de parole au sein des diverses corporations. Et pas plus tard que lundi dernier, ces termes ont constitué le socle de l’adresse de la société civile regroupée autour de Marc Ona Essangui, Marcel Libama et d’autres, au cours de leur conférence de presse. Voilà les préalables à toute élection. De là, la question n’est pas « qui », mais « quelles sont les priorités » ?
Nous ne saurions affirmer ici que l’opposition y est indifférente. Mais à la vérité, on se doit de noter que cet agenda a subitement été relativisé par un bloc regroupé au sein du Front de l’opposition, au nom d’un réalisme politique. C’est cette frange, par moult subterfuges, qui a appelé à la candidature de Jean Ping samedi. Loin des exigences d’une définition de critères de choix admis par tous.
Il n’est pas interdit que des ambitions se fassent jour. Que les uns aient des préférences pour tel ou tel de leurs amis. C’est la manière de le faire et la méthode employée qui posent problème. Tant dans la manière que dans la méthode, le consensus du 19 juillet 2014 a été mis en péril samedi 13 juin. Le discours lu par Jacques Adiahénot, ce 19 juillet-là, parlait non pas de désignation d’un candidat, mais de présentation d’un candidat unique. Ce qui donnait lieu nécessairement au consensus. Or, dans le cas d’espèce, le consensus a été pipé. On a assisté à un passage à la hussarde digne des modes opératoires décriés au Parti démocratique gabonais (PDG). Si Ping est le choix, mais que ce choix, même contesté par d’autres de ses pairs, car il y a toujours contestation, aboutisse à un consensus, parce que le consensus finit lui aussi par se dégager toujours. Ce qui s’est passé est un passage en force où le reste du Front, mis devant le fait accompli, le sera encore plus par l’effet des masses rivées par cette idée de « l’homme de la situation ». A ce niveau, la lucidité de tous est vivement interpellée.
Il y a ensuite la question de l’opportunité d’un appel à candidature. Quelle est-elle ? Il faut un visage à l’opposition après la mort d’André Mba Obame, avance-t-on. Soit ! Questions immanentes : l’opposition a-t-elle besoin d’un visage pour avancer sur les questions essentielles qui garantissent la fiabilité de l’élection de 2016, si elle a lieu ? A-t-elle besoin d’un visage pour bousculer le pouvoir afin de l’amener à ouvrir le débat sur l’organisation des élections crédibles ? Lorsque les membres de ce Front, à l’unanimité, avaient décidé de ne plus reconnaître le régime d’Ali Bongo Ondimba ne posaient-ils pas implicitement l’exigence de la régularisation des institutions ? Attitude pourtant applaudie par la population qui réagissait à la manifestation du caractère de subordination de notre système judiciaire à l’institution présidentielle, à la suite de la requête du 13 novembre 2014 au civil sur la nature du document de naissance qu’avait introduit le candidat du PDG lors de la constitution de son dossier de candidature en 2009. Et pourtant le Front de l’opposition n’avait pas eu besoin d’un visage pour mener cette lutte. En réalité, la lutte se mène et se gagne par des groupes organisés et la détermination de ces groupes. Quand bien même il y aurait un ou des visages.
Il va sans dire aussi que l’acte qui a été posé a ouvert la voie à de fâcheuses conséquences. La politique du « fait accompli » a ceci de dangereux qu’elle occasionne plus de dégâts et très peu de réparation. La cohésion du Front a nécessairement été ébranlée et fissurée. Ce ne sont pas des paroles qui ramèneront la sérénité, mais des gestes concrets d’adhésion et de nouveaux engagements. Un de ces gestes et engagements devra être la reconsidération de la posture de samedi par l’abnégation.
Le Front, instrument utile et incontournable, s’est constitué sur l’abnégation magnifiée par la candidature unique. Volonté des hommes d’honneur. Nous osons croire. Ce sens de l’abnégation devra se traduire par l’abstention des uns et des autres d’une part et la révision de leurs ambitions de candidature d’autre part. Nous sommes dans un monde où la tendance qui se généralise est l’élection des présidents de moins de 50 ans et légèrement au-dessus. Le Sénégalais Macky Sall en est le modèle en Afrique. Les membres du Front ne devraient-ils pas examiner qui, dans les jeunes générations de l’opposition, est à même de porter la charge et l’encadrer par la suite ? Ils existent. C’est au nom du peuple, pour le peuple et devant le peuple qu’ils se sont engagés. Qu’ils montrent à ce peuple leur détermination à l’abnégation. Et non pas leur détermination pour leurs intérêts propres. Pour ce peuple, son unité autour de la cause commune en dépend. Et c’est cette unité qu’il faut sauvegarder aujourd’hui. C’est à bon entendeur…