EDITORIAL : L’arme du lâche !
Par : Désire Ename
L’élimination, à tout prix. Cette méthode employée dans des gangs et des groupes mafieux était décidée dans ces milieux par le chef de gang à l’endroit d’un lieutenant qui avait manqué de délicatesse. La Cosa Nostra, où régnait l’omerta ou la loi du silence, en avait la mesure et la pratique. Ce sont ces méthodes que des limiers du pouvoir ont décidé de mettre en route dans notre pays.
Avec ce que l’on apprend au sujet du député Alexandre Barro Chambrier, on est tenté par une question : à quel niveau des instances dirigeantes de ce pays cette sentence a-t-elle été prononcée ? Oui, dans laquelle des instances ? Car une constante du régime de sa petite majesté Ali Bongo Ondimba est la liberté que les uns et les autres, autour de lui, prennent pour mettre hors d’état de nuire ceux qui contestent, critiquent ou s’opposent aux pratiques de ce régime. Des hommes politiques aux journalistes, en passant par des citoyens qui subissent, en silence, les sévissent les plus vils. C’est dans ce registre qu’on apprend qu’un des frères de sa petite majesté chante à qui veut l’entendre qu’il règlera physiquement le cas Raymond Ndong Sima, parce que ce dernier l’a publiquement remis à sa place, oubliant même que c’est lui, en premier, qui avait sonné la charge. Des faits des proches de sa petite majesté faisant planer des menaces de mort sur leurs concitoyens sont légion.
Il y a quelques mois, le journaliste Jonas Moulenda a dû fuir par le Cameroun et échappé de justesse à ses poursuivants dans un hôtel à Kyé-Ossi, parce que les mêmes clans avaient signé son arrêt de mort. En tête de cette délégation macabre, un conseiller de sa petite majesté et dont la relation avec son gourou de directeur de cabinet est quasi fusionnelle. En janvier 2015, des loubards investissent le domicile de l’opposant Jean Ping pour le lyncher. Il aura la vie sauve parce que les militants des partis de l’opposition, alertés, s’étaient mobilisés pour le secourir. Des jeunes sur place citeront le commanditaire : un très proche de sa petite majesté. Octobre 2013 : deux directeurs de publication (« Ezombolo » et « Echos du Nord ») avaient à leurs trousses des personnes commises pour les éliminer avant janvier 2014, parce que, comme le député Barro Chambrier, ils représentaient une menace pour le règne de sa petite majesté. On citait sa mère aux commandes. L’on attend toujours qu’elle démente les faits. Le professeur d’économie Albert Ondo Ossa échappera aussi de justesse à la mort, en face de l’ambassade de Turquie, alors qu’il rentrait d’un office religieux pour regagner son domicile. Nous pouvons dresser ce tableau de manière plus exhaustive et remonter 44 ans plus loin. Germain Mba, dont le corps reste sans nouvelle à ce jour, est abattu froidement devant son épouse et sa fille, le 16 septembre 1971. Et pour cause, il était une menace pour le régime naissant d’Albert Bernard Bongo. Six ans après lui, le 19 juillet 1977, ce sera le tour de l’écrivain Dominique Pascal Ndouna dit Depenaud dont le même Albert Bernard Bongo n’appréciera pas la prose aux entournures trop critiques de son régime. Le capitaine Alexandre Mandza Ngokouta paiera lors d’une exécution publique le 15 août 1985, pour offense aux régimes d’Omar Bongo. Paul Mba Abessole aurait subi le même sort par des proches d’OBO en février 1994, n’eût été l’implication de personnes de bonne foi dans les instances dirigeantes. Combien sont partis par des AVC programmés, des empoisonnements, des crises cardiaques commandées, etc. ?
Toutes ces personnes, Alexandre Barro Chambrier, Jonas Moulenda, et d’autres en vie, où dont le plan d’exécution a réussi, n’ont eu en commun qu’une seule revendication : un Etat de droit. Un Etat juste pour tout le monde. Un Etat où la gouvernance est bienveillante. Toutes ces personnes ne réclament qu’une chose à sa petite majesté aujourd’hui, à savoir qu’un pays riche doit en donner le reflet à travers des niveaux de vie décents de sa population. Et qui, à l’occasion, le démontre par l’accès aux soins, la bonne tenue du système éducatif donnant à tous les élèves, les mêmes opportunités de réussite, la capacité des citoyens de ce pays à accéder à un emploi selon leur potentiel et en fonction de leur formation. En somme, répondre positivement à l’aspiration des citoyens gabonais au bien-être, comme cela figure dans le serment que lui, sa petite majesté, a prêté au moment de son entrée en fonction. C’est aussi pour le respect de ce serment que toutes ces personnes sonnent le tocsin.
Lorsque, en réponse à ces exigences qui sont toutes républicaines, les tenants du pouvoir répondent par la menace et la conspiration, ils ont alors fait le choix d’instaurer l’Etat de non-droit. Un Etat où la diffusion de la peur et de la violence est la norme (crimes rituels et autres). Où, au sommet, et autour de l’exécutif, s’organisent non plus des commis de l’Etat, mais des chefs de gang, dont le seul mot d’ordre est d’abattre le moindre contestataire et de réprimer dans le sang la moindre contestation. Cela est aussi une autre constante du régime de sa petite majesté Ali Bongo Ondimba. Utiliser la capacité à ôter la vie n’est pas un fait politique. C’est l’arme du lâche qui manifeste son incapacité à affronter la vérité qu’on lui projette.