INVITE: Marc Ona Essangui, membre du comité d’organisation des assises démocratiques de la société civile gabonaise

Marc Ona Essangui, membre du comité d’organisation des assises démocratiques de la société civile gabonaise
«Les réformes politiques et institutionnelles s’imposent (…) nous ne comptons plus laisser les politiques dicter la loi », dixit Marc Ona Essangui, Prix Goldman, responsable de l’ONG Brainforest
Il lance aux côtés d’éminents membres de la société civile, Marcel Libama, P.A. Bagafou et d’autres, les Assises de la société civile gabonaise pour… ‘’Tourner la page’’ ».
Propos recueillis par : Sophie Beuve-Mery, Imony Kombile Giowou et Paul Davy
Échos du nord : Vous lancez aujourd’hui les assises de la société civile. Comment les définissez-vous ?
Marc Ona Essangui : Je voudrais d’abord, avant de répondre à votre question rendre un vibrant hommage à deux personnalités du monde universitaire gabonais de renommée mondiale qui ont accepté de donner leur caution scientifique à nos Assises, les premières du genre au Gabon. Il s’agit des éminents professeurs Donatien Mavoungou et Albert Ondo Ossa. Albert Ondo Ossa nous fait l’honneur d’effectuer sa première sortie publique, après l’attentat qui a failli lui coûter la vie. Je vois à travers cet acte une reconnaissance du travail que nous faisons au sein de notre groupe. Pour répondre à votre question, les Assises répondent à une exigence de responsabilité et d’organisation. Le paysage politique gabonais brille par des messages brouillés à l’endroit des populations. Ces populations, à travers tout le pays, qui se posent de nombreuses questions sur la sincérité des actions des acteurs politiques, surtout de l’opposition en termes de perspective pour les échéances politiques à venir. La société civile libre n’a de cesse de tirer la sonnette d’alarme sur l’urgence des réformes institutionnelles pour résoudre, une fois pour toute, le problème de la transparence électorale, de la bonne gouvernance, un préalable pour une réelle appropriation de la notion de citoyenneté du Gabonais, perdue depuis des lustres au profit d’un système qui a mis en place une stratégie bien huilée de prédation et de pillage des richesses du pays et des droits des citoyens à jouir de leur bien-être. Au terme des Assises, nous serons en mesure de proposer un nouveau Gabon tel que nous le pensons. Un Gabon surtout et avant tout démocratique. Sans démocratie, point de développement.
E.D.N : Ces Assises semblent sonner comme un cri de ralliement pour le Gabon. Comment et pourquoi avez-vous jugé de la nécessité de ce rendez-vous maintenant ?
M.O.E : Nous avons observé la marche du Gabon après le décès de l’ancien dictateur Omar Bongo, et qui, actuellement, observons la vie politique nationale avons juré que le Gabon ne serait plus le même en termes de gestion de la chose publique ou des libertés fondamentales quel que soit le dirigeant qui serait à la tête du pays. Depuis lors, nous avons lancé un appel pour la mise à plat des organes étatiques, pour reformer les institutions qui sont en otage d’un clan et d’un parti depuis bientôt 50 ans. La République a des règles qui diffèrent de celles d’une monarchie. Tant que notre Constitution renvoie à une République, la participation citoyenne est une exigence.
Cette participation passe par des élections libres, transparentes, où le citoyen accomplit son devoir civique en toute conscience. Malheureusement, cette réalité républicaine est loin d’être effective sous les Bongo où le faux, la fraude et toutes les autres violations des lois républicaines sont devenues la marque déposée et sont gravées dans l’ADN du parti au pouvoir. Au niveau de la société civile libre, nous pensons que des réformes républicaines s’imposent de toute urgence pour sortir le pays du gouffre actuel dans lequel il se trouve. Notre vivre ensemble est conditionné par cette exigence, sinon l’avenir nous réserve des lendemains peu reluisants. Au sortir de ce rassemblement citoyen, nous devons être en mesure de faire des propositions concrètes que nous estimons utiles et nécessaires au regard de la gravité de la situation sociale, économique et politique du moment. Le rappel de toutes les intelligences, tous bords confondus, participe de cette ambition que nous nourrissons pour marquer notre présence comme acteur incontournable du processus de refondation du Gabon
E.D.N : Ces assises, à ce qu’il ressort, rentrent dans le cadre global du mouvement « Tournons la page», pouvez-vous nous en dire plus ?
M.O.E : « Tournons la Page » est une coalition internationale qui a vu le jour en France, le 15 octobre dernier, pour répondre avec pertinence à l’exigence démocratique et d’alternance qui s’imposent à nous tous en Afrique francophone, au regard du retard économique et de la mal gouvernance constatés. C’est un mouvement qui regroupe des organisations africaines et internationales, ainsi que des intellectuels, des artistes et tout citoyen du monde qui a pris conscience de l’urgence d’imposer des alternance en Afrique, gage d’une réelle démocratie. Le slogan du mouvement « Tournons la page » décline sa mission et sa philosophie : « En Afrique comme ailleurs, pas de démocratie sans alternance ». Nous avons donc constaté que sans être des monarchies, sans être régis par des constitutions à caractère monarchique, de nombreux pays francophones sont pris en otage par des chefs d’Etat qui ne souhaitent pas passer la main, tout en pillant allègrement les ressources du pays à leur propre compte. D’où cet appel du 15 octobre 2014, date anniversaire de l’assassinat du capitaine Thomas Sankara, ancien Président du Burkina Faso, héros d’une jeunesse africaine qui a décidé de se mettre debout pour redresser la pente de la pauvreté et dire non aux « monarchies républicaines ». Le Gabon, à travers les acteurs de la société civile libre, est fondateur de cette coalition et nous jouons pleinement notre rôle dans le processus de démocratisation de nos pays francophones. Pour l’heure, Secours catholique à Paris porte le secrétariat de la coalition.
E.D.N : Ce slogan « Tournons la page» appelle à la rupture. Il y a quelques années il y a eu « Ça suffit comme ça ». Doit-on donner raison à ceux qui pensent qu’à défaut de provoquer des changements attendus, l’action de la société civile gabonaise se limite à des slogans forts qui ne modifient en rien le cours des choses?
M.O.E : « Tournons la page » n’est pas un slogan dans le contexte qui nous intéresse ici. C’est un mouvement international, une coalition, comme je vous l’ai expliqué. Ça suffit comme ça est un mouvement citoyen gabonais, membre fondateur de « Tournons la page ». Nous sommes en train de coaliser nos mouvements panafricains pour qu’ensemble, les Africains qui subissent des régimes dictatoriaux et des pouvoirs forts se mettent ensemble pour démocratiser, créer des opinions publiques africaines fortes, redonner le pouvoir aux peuples opprimés. Pour répondre à votre question, pour provoquer le changement attendu, nous nous devons de tenir compte des réalités sociopolitiques qui caractérisent chaque pays. Il est évident que le Gabon ne pourra jamais appliquer ce qui a marché au Sénégal ou au Burkina Faso pour changer des régimes dictatoriaux. Nous pensons que chaque peuple renferme en son sein les germes de sa propre libération. Nous croyons au génie gabonais capable de transformer notre pays, car le logiciel de la gouvernance est en train de se mettre à jour, n’en déplaise à ceux qui voudraient avoir un regard « copié collé ». Il faut surtout retenir que pour arriver à des résultats que nous saluons sans cesse au Sénégal, ce pays a organisé des assises nationales qui ont duré un an, dirigée par Matar Mbow. La coalition M23 mise en place à l’issue de ces assises était composée des organisations de la société civile et les partis politiques de l’opposition, ainsi que des personnalités du monde artistique et universitaire. Chaque parti politique a mis à la disposition de la coalition des outils de communication pour éduquer et sensibiliser la population sur les défis de l’heure. Ainsi, quand la coalition a donné les mots d’ordre, toute la population était debout parce que sensibilisée.
Au Burkina Faso, le scénario était identique avec le mouvement Balai citoyen. En Tunisie aussi. Au Gabon, les partis politiques de l’opposition n’affichent pas les mêmes ambitions et sont dépourvus d’outils de communication, même les plus rudimentaires, pour éduquer et passer les messages auprès des populations. La société civile dispose d’organisations dont les ¾ n’existent que de nom. Face à cette réalité, inutile d’avoir des ambitions à la sénégalaise ou à la burkinabé. Les assises que nous organisons vont nous permettre de mieux sauter. Nous avons fait le diagnostic qu’il faut, nous avons analysé la situation politique, nous allons prendre des décisions qui s’imposent pour un nouveau Gabon à la gabonaise, avec la sagesse qui caractérise le peuple gabonais.
E.D.N : Ailleurs, les sociétés civiles ont engendré des bouleversements sociopolitiques. Comment analysez-vous cette réalité dans le contexte gabonais? Peut-on affirmer dans le contexte du Gabon qu’on entrera dans cette logique de cause à effet ?
M.O.E : La société civile gabonaise ne saurait rester en marge de la vague qui secoue les quatre coins du continent. Dorénavant, il faut compter avec elle dans toutes les décisions qui engagent la nation. Nous ne comptons plus laisser les politiques dicter la loi. Si nous devons froisser, vexer ou indisposer certains acteurs politiques pour que les choses bougent dans le sens de l’intérêt de la population et non des intérêts égoïstes, nous ne manquerons pas de le faire.
E.D.N : Est-ce que la société civile gabonaise est en mesure de « tourner la page », où simplement faut-il espérer un regain et une action ferme de l’opposition gabonaise ?
M.O.E : Dans les pays que nous citons en exemple, c’est l’ensemble des forces vives de la nation (politiques et société civile) qui ont fait bouger les lignes. La société civile n’a fait que mobiliser et porter le message à la population. Au Gabon, notre groupe est appelé à prendre ses responsabilités avec ou sans les politiques, car la situation est tellement grave que nous n’avons pas le droit de brouiller le message vis -à- vis de la population qui a trop souffert de la tyrannie du PDG/Bongo. Nous avons présenté un mémorandum portant sur les points essentiels sur lesquels nous devons nous appuyer pour mener le combat des reformes.
E.D.N : Depuis longtemps déjà vous et l’opposition appelez à la réforme des institutions et au dialogue inclusif. Le pouvoir semble s’y opposer. Comment l’y contraindre ? Surtout lorsqu’on a entendu des appels à candidature au sein de cette opposition. Sans cohésion, le doute n’est-il pas permis quant à l’aboutissement de cette revendication ?
M.O.E : Parfois ceux qui s’accrochent au pouvoir ont toujours pensé qu’ils avaient tous les leviers en main et se mettent à narguer le reste de la population. Le pouvoir d’Ali Bongo brille par l’arrogance, le mépris, l’injure. Blaise Compaoré, à deux jours de sa chute, rassurait toujours ses alliés qu’il contrôlait la situation. Aujourd’hui, il devient un Sans domicile fixe (SDF) et ne dispose plus de rien. Une fois le pouvoir perdu, on perd tout, même les amis. Avis à ceux qui ne comprennent pas qu’il n’existe pas de peuple ‘’maboule’’ encore moins « vaudouisé». Tous les peuples se valent à un moment ou à un autre. Quant à l’opposition, qui semble brouiller le message auprès des populations, elle risque d’être surprise parce que pas encore prête à franchir le pas. La guerre des egos a pris le pas sur l’intérêt général. J’ai envie de dire que la communication dans le camp de l’opposition a besoin d’être repensée car à l’allure où vont les choses, certains risquent de manquer le train de l’Histoire en voulant réchauffer les vieilles recettes des années 70. Le monde des médias s’est tellement démocratisé au point que même les plus jeunes observent avec intérêt le jeu politique qui est un exercice de rapport de forces permanent. C’est celui qui aura réussi à établir un quelconque rapport de force qui aura la possibilité de ramasser ce pouvoir qui traine aux pieds du Kevazingo. Les initiés auront compris l’image.
E.D.N : Le Gabon vient de fêter le 55e anniversaire de son indépendance, quel bilan faites-vous de la situation politique du pays, après 48 ans de règne dynastique?
M.O.E : Je n’ai pas besoin de vous faire un dessin. Tous les voyants sont au rouge. Ce n’est pas pour rien que, pour la première fois, un groupe de parlementaires du camp du pouvoir a décidé de monter au créneau pour dénoncer les dérives des dirigeants du PDG. Si en 47 ans un système ne propose rien, il est condamné à mourir de sa belle mort. Nous assistons aux premiers signes de la mort du système Bongo. Je voudrais ici rendre un hommage appuyé à ces compatriotes du PDG qui refusent le naufrage collectif que les émergents voudraient imposer à tous les PDGistes. Le sens du patriotisme leur a fait prendre conscience de la menace que représentent « les profito-situationnistes ». Je dis encore bravo pour le courage de Barro Chambrier et ses amis.
E.D.N : Lors de son adresse à la Nation, Ali Bongo Ondimba a décidé de léguer « sa » part d’héritage à la jeunesse. Quelle appréciation faites-vous de ce discours ?
M.O.E : Il a respecté la tradition qui voudrait qu’il égrène un chapelet de promesses sans lendemain. C’est le contraire qui m’aurait surpris. Ce qui est encore plus dramatique pour lui, pas pour les Gabonais, c’est sa propension à penser qu’il est encore écouté. Il annonce le legs de son héritage à la jeunesse. Comment peut-on léguer quelque chose qui n’existe pas ? Son porte-parole est obligé de couler face aux questions de mon ami Christophe Boisbouvier de RFI. Sans oublier la provocation qui a caractérisé ces annonces. Le gros des biens à céder à l’Etat est enregistré comme appartenant à feue Edith Lucie Bongo. Ce qui veut dire que le Président congolais aurait son mot à dire. A-t-il pris soin de le consulter avant ce grossier exercice de communication. Un de plus ! On note également qu’il est très mal conseillé dans le dossier des BMA. La convention de Merida repose sur le principe de restitution des biens supposés détournés, mais pas n’importe comment. Ali Bongo s’est juste engagé dans une opération de communication, comme à son habitude, mais l’environnement des médias a considérablement changé et s’est vite démocratisé, je l’ai dit plus haut. Mais son entourage et ses cabinets sont restés bloqués au premier étage de la nouvelle donne stratégique en matière de communication politique. La mise à jour des logiciels est nécessaire auprès de son directeur de la communication présidentielle, car ses méthodes sont encore archaïques, mais à quel prix ?
E.D.N : Le New York Forum Africa, un de plus au Gabon. Qu’en dites-vous ?
M.O.E : Juste un adage. Au pays des aveugles, les borgnes sont rois. La discrétion avec laquelle l’édition de cette année est organisée prouve à suffisance que notre campagne internationale porte ses fruits et les rend frileux. Le site de l’événement n’affiche pas ouvertement les invités de marque sans un code d’accès aux informations. C’est un malaise. Mais nous ne lâcherons pas prise. Nous sommes surtout déçus de constater que les héros qui ont lutté dans leur pays comme Leich Walessa, acceptent de venir cautionner cette opération de communication dans un pays qui sacrifie les enfants pour des crimes rituels.
E.D.N : Les assises viendront-elles à bout de cette rencontre ?
M.O.E : Une chose est certaine, les assises vont consacrer une commission sur ce que nous avons nommé : The New York Farine Africa, quand Richard Attiasroule Ali Bongo dans la farine.