ENTRETIEN: Suite et fin de l’interview de Casimir Oye Mba

casimir oyé mba
Casimir Oyé Mba

« La crise née du coup d’Etat électoral du 3 septembre 2009 a été aggravée par la gouvernance hétérodoxe d’Ali Bongo. » 

Propos recueillis par : JMS

E.D.N :La situation politique au début de cette année 2015, on retient, a été marquée par la réhabilitation de l’Union nationale. Cela vous a-t-il surpris ? Qu’est-ce qui, selon vous, a concouru à la décision du gouvernement ?

C.O.M : L’Union nationale, notre parti, est le fruit de la volonté de Gabonaises et de Gabonais de conjuguer leurs efforts dans le combat pour l’alternance démocratique et l’instauration d’un véritable Etat de droit dans notre pays.

L’expérience malheureuse dont vous parlez n’est, en réalité, qu’une manifestation supplémentaire de l’abus de pouvoir et de la confusion entretenue par le pouvoir PDG, qui a voulu en fait anéantir un parti qui s’annonçait comme un adversaire sérieux et dangereux pour lui. C’est justement parce qu’ils n’entendaient pas cautionner ce déni de démocratie et cette atteinte à un droit fondamental que les militants de l’Union nationale ont refusé de se soumettre à cette décision inique, anticonstitutionnelle et antidémocratique. C’est pour cette raison que le directoire de l’Union nationale s’est battu pied à pied pour cette restauration.

Il vous souviendra sans doute qu’un ensemble d’actions ont été menées, au plan national et international. Avec le président Myboto et le vice-président Rougou, nous nous sommes rendus à Addis-Abeba, au siège de l’Union africaine où notre requête avait parfaitement été comprise. J’en profite d’ailleurs pour remercier toutes celles et tous ceux qui nous ont accompagnés dans ce combat, notamment nos collègues du Congrès pour la démocratie et la justice (CDJ) et plus largement l’Union des forces pour l’alternance (UFA), la société civile, ainsi que la presse nationale, singulièrement votre titre. Bien entendu, mes remerciements et mes encouragements vont aussi aux militants de l’Union nationale et aux très nombreux Gabonais qui, tout au long de ces quatre années, n’ont pas courbé l’échine et ont continué à croire qu’un retournement était possible. Disons-le simplement, la réhabilitation de l’Union nationale est le résultat de la détermination de ses militants. Vous me permettrez aussi de mentionner l’action du représentant spécial du secrétaire général de l’ONU et de plusieurs missions diplomatiques installées à Libreville, qu’il est préférable de ne pas citer expressément. De même que de hautes personnalités africaines.

Enfin, des calculs politiciens de la part du pouvoir ont sans doute joué aussi…

E.D.N :Après les journées de réflexion de votre parti en mars 2014, d’aucuns estiment que la machine tarde à se mettre en branle. Premièrement, ce jugement correspond-il à la réalité ? Deuxièmement, peut-on nier l’évidence de facteurs bloquants ?

C.O.M : Au terme des journées de réflexion de mars 2014, les militantes et militants de l’Union nationale avaient formulé un ensemble de recommandations dont les plus importantes tournaient autour de la nécessaire remise à plat du dispositif institutionnel national. En clair, il avait été indiqué au directoire d’intensifier la pression pour parvenir à un dialogue inclusif, tout en créant une dynamique unitaire de l’opposition tenant compte des évènements qui avaient cours à cette période-là. Vous conviendrez avec moi que pour intensifier la pression, il fallait d’abord mettre en place un cadre de concertation au sein de l’opposition, afin d’unir nos forces. J’ai la faiblesse de croire que la création du « Front de l’opposition pour l’alternance » est une réponse à cette demande, qu’elle s’inscrit dans une dynamique unitaire et vise à donner encore plus de légitimité à la récurrente demande de remise à plat du dispositif juridique et institutionnel actuel. La réforme des institutions est toujours et encore au cœur de notre combat, au centre de notre agenda. C’est ce que nous nommons les préalables à la tenue d’une élection présidentielle transparente, libre et crédible. Je vous dirai donc que la machine est lancée. Je sais qu’elle ne va pas aussi vite que l’auraient souhaité les Gabonaises et les Gabonais, dont je mesure l’impatience, mais je puis vous dire que nous y travaillons et irons jusqu’au bout. C’est pourquoi j’en appelle à la mobilisation citoyenne de chacune et de chacun. Individuellement et collectivement, nous devons demeurer mobilisés et vigilants.

E.D.N : Une situation fort inédite a cours au sein de l’Union nationale où des membres du directoire et des cadres ont publiquement indiqué leur soutien à un potentiel candidat. Cela cadre-t-il avec des clauses contenues dans les statuts de votre parti ? En tant que vice-président, quel commentaire en faites vous ?

C.O.M : Vous avez commencé cet entretien en rappelant que l’Union nationale a traversé une période difficile durant laquelle notre parti était privé de sa capacité juridique. Cette parenthèse regrettable a malheureusement laissé des séquelles. Une partie des situations que nous vivons aujourd’hui ne sont que le legs de cette période-là. Il faut donc les analyser sous un angle dynamique. Il faut se garder de faire du juridisme, bien que le parti dispose de statuts et d’un règlement intérieur qui définissent les procédures. Il faut remettre les choses en perspective. Pour l’heure, je note que les membres du Bureau national et de nombreux cadres s’acquittent de leurs cotisations et prennent part aux activités du parti. Au-delà des péripéties, je voudrais inviter l’ensemble des militantes et militants, sympathisantes et sympathisants à s’impliquer davantage dans le travail quotidien du parti. Ce n’est que dans le travail de tous les jours que les liens se raffermiront et qu’une compréhension partagée des défis et enjeux s’ancrera. Je reste convaincu que le travail nous permettra d’enjamber les évènements auxquels vous faites allusion dans l’intérêt de tous, de chacun, de l’Union nationale, de l’opposition et du Gabon.

E.D.N : Le Front est né officiellement le 19 juillet 2014. A ce jour, quel bilan faites vous de ses activités ? L’un des reproches qui sont faits à cette dynamique, c’est son manque d’entrain. En douze mois d’existence, pas une tournée nationale et pas de lisibilité non plus dans son plan d’actions. Est-ce que, à cette allure, le Front ne risque pas d’être comme un simple rassemblement de plus ?

C.O.M : Signataire de la charte constitutive du Front, je suis également citoyen et militant. J’observe donc que la naissance du Front a constitué, pour le peuple du changement, un véritable espoir. Aujourd’hui, cette entité cristallise les espoirs d’alternance du peuple gabonais et je ne peux que m’en réjouir. Par contre, je ne peux m’autoriser à en dresser le bilan. Vous me concéderez que cette tâche incombe plutôt aux membres du Bureau et particulièrement au président en exercice, Jean de Dieu Moukagni Iwangou, dont je salue la sagacité, la pugnacité, la constance et le sérieux à la tâche.

Le Front est un regroupement de personnalités politiques et de partis politiques ; il n’est pas lui-même un parti politique. Ces personnalités se retrouvent au sein du Front pour discuter des questions stratégiques ou d’intérêt commun. Dans le même temps, elles continuent d’exercer normalement leurs activités politiques dans leurs partis. Le Front tire et continue de tirer sa force de chacun de ses constituants. Aussi, pour apprécier son dynamisme, il conviendrait de tenir compte du dynamisme de ses composantes.

E.D.N :Au cours de sa première année d’existence, des observateurs pensent qu’au fil des mois sa cohésion s’étiole. On parle de chapelles qui se forment en son sein. Qu’en est-il ?

C.O.M : Je le répète : le Front est constitué de partis et d’acteurs politiques qui ont accepté de se retrouver au nom de l’intérêt supérieur du pays. Il ne fait aucun doute que nos détracteurs, ceux que notre action politique gêne, font croire à l’opinion autre chose. Rassurez- vous, au sein du Front, nous restons unis. Comme cela doit se faire dans toute structure de cette nature, le débat y est ouvert, il est constructif, franc. Nous ne sommes pas pour la pensée unique et c’est tout à fait normal que, parfois, des points de vue divergents s’expriment.

E.D.N :Au sein du Front, un débat qui ne souffre pas d’équivoque est celui de la candidature unique. Comment, selon vous, cette candidature devra-t-elle être promue d’une part ? Et comment aboutir à sa définition, vu la présence de deux grands partis politiques en son sein : l’Union nationale et l’Union du peuple gabonais ?

C.O.M : Une candidature unique de toute l’opposition face au candidat PDG, c’est une demande très ancienne, au Gabon comme dans d’autres pays africains. J’ai signé la déclaration du 19 juillet 2014 pour deux raisons : parce que le Front prônait l’alternance et parce qu’il prônait la candidature unique. Je suis pour la candidature unique.

Mais nous devons humblement reconnaître que ça ne s’obtient pas en claquant les doigts. Ça implique de régler en amont divers problèmes pas simples.

Dessiner le profil souhaitable du candidat, par rapport à ce qu’on attend de la personne placée éventuellement à la tête du pays et par rapport à la vision qu’on a du devenir du pays. Déterminer qui va choisir entre les postulants, selon quelles procédures et selon quelles modalités. Toute cette recherche doit se faire dans la clarté et la transparence, comme nous l’exigeons du pouvoir.

Le leadership ne se décrète pas. Il doit apparaître et se présenter comme une évidence, aussi bien aux peuples qu’aux organisations. Le moment venu, ce leadership saura apparaître et s’imposer et le Front choisira en son sein l’homme ou la femme qui l’incarnera.

E.D.N :Quel regard jetez-vous sur la conduite des affaires publiques par le pouvoir actuel aujourd’hui au Gabon ? 

C.O.M : Depuis sa création, l’Union nationale n’a eu de cesse d’alerter l’opinion sur la grave crise que traverse notre pays. Cette crise, née du coup d’Etat électoral du 3 septembre 2009, a été aggravée par la gouvernance hétérodoxe d’Ali Bongo. Tous les aspects de la vie de la société se retrouvent dangereusement bouleversés au plan politique, économique, social et culturel. Aujourd’hui, tous les voyants sont au rouge. Il n’y a qu’à passer par le bord de mer pour avoir la manifestation physique de l’échec de ce régime. Il suffit, pour l’un des 800 000 habitants de Libreville, de s’essayer à joindre la commune de Ntoum, située à seulement 40 kilomètres, pour comprendre le sens réel du mot échec. Et ils sont de moins en moins nombreux, y compris dans les rangs du pouvoir, à contester l’évidence de cet échec sans précédent.

E.D.N :Le chef de l’Etat a parlé de réformes et il dit en avoir entrepris avec courage. Vous qui avez été Premier ministre à une période aussi exceptionnelle que difficile, quel commentaire faites-vous de ces réformes ?

C.O.M : Si le courage consiste à détruire des milliers d’emplois dans divers secteurs, oui, ce régime est courageux. Si le courage signifie ne construire aucune salle de classe dans un pays où plus de la moitié des habitants ont moins de 18 ans, oui, ce régime est courageux. Si le courage c’est inaugurer des hôpitaux sans eau courante, alors, effectivement, ce régime est courageux. Si le courage c’est multiplier par trois la charge de la masse salariale de l’Etat et faire passer le nombre de fonctionnaires de 70 000 à 140 000 en recrutant prioritairement les agents des forces de sécurité, alors, en effet, ce régime est courageux. Mais sur cette question du courage, laissons les Gabonais seuls juges.

E.D.N :Quelles seraient aujourd’hui les nécessités en termes de gouvernance 

C.O.M : Notre pays a besoin de tourner définitivement le dos à la loi du plus fort pour aller à la loi du plus juste. En termes de gouvernance, les exigences et les nécessités du Gabon relèvent de l’universel. Il y a d’abord l’établissement de l’Etat de droit qui impose à tous et principalement aux gouvernants le respect de la règle de droit. Il y a ensuite le respect de la séparation des pouvoirs et l’indépendance effective des institutions constitutionnelles. Les nécessités en termes de gouvernance concernent aussi le respect des libertés fondamentales et des droits humains, le respect de la démocratie et toutes les règles arrêtées d’un commun accord, la pratique d’une gestion économique et financière avisée.

E.D.N :Votre mot de la fin

C.O.M : Les Gabonais n’ont pas élu Ali Bongo dans les urnes en 2009 et ils ont eu raison. L’échec de ce pouvoir, et le mot est faible, est allé bien au-delà de ce que chaque Gabonaise et chaque Gabonais redoutaient lorsqu’Ali Bongo s’est imposé par la force à la tête de l’Etat. La fin de ce régime, qui est un mal réel pour notre pays, relève désormais de la nécessité et de l’urgence. Au-delà des particularismes et des ambitions des acteurs politiques, c’est cet objectif qui doit nous guider et fédérer tous les acteurs politiques, de quelque bord qu’ils soient, dans l’intérêt supérieur du Gabon. Le peuple gabonais qui, dans ses couches les plus larges, aspire au changement, doit imposer cette attitude aux dirigeants.