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TRIBUNE LIBRE : Casimir Oyé Mba « Je demande pardon à ceux qui ont cru que je pouvais incarner le changement…».

TRIBUNE LIBRE : Casimir Oyé Mba « Je demande pardon à ceux qui ont cru que je pouvais incarner le changement…».
Casimir Oyé Mba
Casimir Oyé Mba

Cette déclaration est de Casimir Oye Mba, qui dévoile enfin les conditions de son retrait, après six ans de silence voulu sur la question. La première partie de cette interview est consacrée à cet épisode, en plus des questions sur la santé économique du Gabon.

Echos du Nord : C’est votre première interview au journal « Echos du nord ». Nous voudrions revenir sur une période qui est restée pour nous pleine d’interrogations et d’incompréhensions : celle du retrait de votre candidature 2009. Que s’est-il passé ?

Casimir Oye Mba : J’ai fait toute ma carrière, professionnelle et politique, sous la présidence d’Omar Bongo.

Grâce aux petites qualités que Dieu m’a données, grâce à l’éducation de mes parents, à l’œuvre de formation de mes maîtres, aux circonstances de la vie (les hommes qu’on rencontre, les événements qui surgissent…), je suis devenu progressivement ce que je suis, en bien et en moins bien. Grâce aussi au président Bongo, avec lequel je n’avais aucun lien particulier, mais qui a cru en moi très tôt. De mon côté, j’ai conscience au fond de moi que j’ai travaillé avec lui dans la franchise et la loyauté jusqu’à sa mort.

Lorsqu’il décède en juin 2009, j’ai derrière moi une carrière plutôt enviable, et 67 ans d’âge. Deux possibilités s’offrent à moi pour le restant (indéterminé forcément) de ma vie.

Jouir paisiblement d’une retraite méritée : jouir de ma famille, des amis et proches que j’ai plaisir à fréquenter, voir grandir mes petits-enfants, lire, voyager pour moi-même, me coucher et me lever à l’heure que je veux, mener des activités qui me plaisent…Je vous mentirais si je disais que cela ne m’a pas tenté. Oui, cette alternative m’a tenté. Mais après hésitations et réflexion, je l’ai écartée. J’ai pensé que ce serait égoïste de ma part d’agir ainsi.

J’ai estimé que le Gabon m’a beaucoup donné. Je suis devenu ce que je suis grâce au Gabon. J’ai pensé que le Gabon ayant perdu son président, les Gabonais passaient en revue dans leurs têtes les cinq ou six personnalités qu’ils pouvaient juger suffisamment préparées et aptes à… Sans forfanterie aucune de ma part, beaucoup des lecteurs de cette interview reconnaîtront que j’en faisais partie.

J’ai considéré et – je pèse mes mots – que j’avais le devoir, l’obligation morale de proposer aux Gabonais la petite expérience que j’avais constituée sur mon parcours. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de me présenter à la présidentielle de 2009.

« Samedi 29 août 2009 vers 11 heures…mon téléphone sonne…

un chef d’Etat africain me conseille vivement de retirer ma candidature… »

Dès l’annonce de ma candidature et même un peu avant, j’ai été l’objet de plusieurs « démarches » tendant à me dissuader de poursuivre. Au milieu de la campagne électorale, une haute personnalité gabonaise est venue me dire que « les gens de l’Elysée voulaient me voir ». Qui peut nier ou ignorer la place de la France (officielle ou non-officielle) dans les affaires du Gabon ? Non sans hésitation, je me suis résolu à me rendre tout de même à Paris. J’y ai rencontré un personnage bien connu de la Françafrique qui, au long d’une discussion de près de 6 heures dans son bureau, m’a sorti tous les arguments du monde pour me demander de décrocher, de me rallier à Ali Bongo et de travailler ensuite avec lui. Mon interlocuteur a précisé à plusieurs reprises que dans tout ce qu’il me disait, il traduisait la pensée, sinon la parole d’un très, très, très proche collaborateur du président Sarkozy. Pour m’en assurer, j’ai demandé à mon vis-à-vis de m’obtenir un rendez-vous avec ce haut responsable de l’Elysée, ne serait-ce que pour 5 minutes d’horloge, de façon qu’il me confirme tout cela de vive voix. Ma demande étant restée vaine, j’en ai conclu que toute cette démarche, c’était du « pipeau ».

En sortant de ce long entretien, un vieil ami ouest-africain, qui avait été informé de mon passage à Paris par je ne sais qui, me téléphone, insiste pour me voir et me propose de dîner ensemble le soir même. Il me tient grosso-modo le même raisonnement. Je lui réponds grosso-modo de la même façon.

Vers les 21 heures, pendant que nous sommes au restaurant, mon premier interlocuteur m’appelle au téléphone, et, après quelques minutes de conversation, me passe M. Alain Joyandet, alors ministre de la Coopération, avec lequel il se trouvait. Le ministre français me tient des propos de la même inspiration. Je lui réponds courtoisement et négativement.

Le lendemain, j’ai tenu une réunion avec la communauté gabonaise dans un hôtel du 8e arrondissement. Et je suis rentré à Libreville pour reprendre ma campagne. Les jours suivants, souvent tard le soir, je reçois… des Gabonais, des étrangers, qui viennent tenter auprès de moi la même chose.

Le samedi 29 août 2009, j’avais prévu un meeting de clôture de campagne à 15 heures au Collège Ntchorere. En moi et autour de moi, la tension est extrême. Vers les 11 heures-midi, je vais dans ma chambre pour sortir la tenue que je devais porter au meeting de fin de campagne. Mon téléphone sonne. On me passe un chef d’Etat africain qui me parle pendant une douzaine de minutes – ce qui est très long – et me conseille vivement de me retirer de la course. Il développe largement divers arguments pour m’expliquer. Brusquement, alors que nous nous parlions encore, la communication se coupe. Aléas des circuits téléphoniques, ou intervention délibérée ? Je n’ai pas de réponse péremptoire à cette question, au demeurant secondaire en ces circonstances.

J’étais absolument sous le choc, certainement le plus violent que j’ai éprouvé de ma vie.

« …puis un autre chef d’Etat africain »

Pendant que mille questions se télescopaient dans ma tête, je reçois vers les 14 heures un second appel d’un autre chef d’Etat africain qui, au cours d’une conversation un peu moins longue, me tient pratiquement le même langage. Fiévreusement, dans le tohu-bohu qui règne à mon domicile depuis le début de la campagne, entre les interventions toujours « urgentes » de mes animateurs de campagne et les visites souvent inopinées d’innombrables solliciteurs de tous acabits, j’essaie de réfléchir.

Je décide de tenir quand même mon dernier meeting. A mon retour à mon domicile vers les 20 heures, je convoque deux de mes collaborateurs pour leur relater mes entretiens téléphoniques et leur demander de me préparer immédiatement un projet de déclaration de retrait à publier le soir même. Ils étaient k.o, comme moi-même. Le temps pour moi de la corriger et de la faire taper, le texte a été porté vers 23 heures à la télévision chaîne 1, qui l’a effectivement diffusée dans la nuit, ainsi qu’à Africa 24, à l’Okoumé Palace. Voilà ce qui s’est passé.

Ma décision du 29 août 2009 n’a rien à voir avec les tentatives (car il y en a eu plusieurs) de promotion d’une « candidature unique ». Elle ne procède pas non plus d’un vil marchandage. Tout le monde sait qu’au Gabon, il arrive souvent qu’on accuse quelqu’un de choses dont on sait parfaitement qu’il ne les a pas faites. Même le pouvoir le fait. Je ne me livre pas à ces pratiques. Je ne peux pas accuser M. Ali Bongo de quelque chose qu’il n’a pas fait. Ali ne m’a jamais proposé de l’argent. Il a été longtemps ministre de la Défense. Dans cette fonction, il coiffait les services de renseignement des armées gabonaises : il sait donc que je ne fonctionne pas comme ça.

« Je leur demande de me pardonner »

Pour conclure sur ce sujet, je voudrais dire deux choses importantes. D’abord, après la disparition du président Omar Bongo, au bout d’un très – je n’hésite pas à dire « trop » – long règne de 42 ans, les Gabonais attendaient un vrai changement. Ils pensaient aussi que ce changement pouvait sortir des urnes. Nombre d’entre eux ont pensé que je pouvais incarner ce changement. Ma sortie du 29 août 2009 leur a donc causé une très vive déception. J’en ai pleinement conscience. Je leur demande de me pardonner.

Ensuite, on doit comprendre que l’année 2009 est passée. Bonne ou mauvaise, elle est passée. La présidentielle de 2009 est passée ; elle relève maintenant de l’Histoire. Le Gabon, lui, est toujours là, avec ses problèmes, qui sont nos problèmes. Demain, bientôt, il y aura une élection présidentielle. Il est plus utile de regarder vers demain. Que pouvons-nous faire, que peut faire chacun d’entre nous pour que la prochaine présidentielle apporte le changement que nous espérons ? Telle est la vraie interpellation du moment. Elle s’adresse d’abord, certes, à la classe politique, mais pas seulement. Elle s’adresse évidemment à tous les Gabonais, qui doivent savoir que le destin du Gabon est dans leurs mains et dépend de leur volonté, de leur engagement.

E.D.N : Sur la situation économique du Gabon…les prévisions de l’Union nationale (UN) se sont confirmées. Vous avez alerté l’opinion nationale, le 28 février dernier, sur l’ampleur de la crise économique que traverse le Gabon cette année. Cinq mois après, pensez-vous avoir été compris et suivi par le pouvoir ?

C.O.M : Le 28 février dernier, m’exprimant au nom de l’Union nationale, j’alertais effectivement l’opinion nationale sur la nécessité pour le gouvernement de revoir le budget de l’Etat, afin d’adapter la dépense publique au retournement de conjoncture intervenu depuis le second semestre de l’année 2014 et qui allait se confirmer au cours de l’année 2015. Ce retournement de conjoncture était principalement lié à la chute des cours du baril de pétrole.

Cinq mois après, les prévisions de l’Union nationale se sont confirmés et le gouvernement a dû présenter au Parlement une loi de finances rectificative qui constate dans les proportions que nous avions indiquées la chute des ressources propres du budget de l’Etat. Pouvons-nous pour autant dire que nous avons été compris et suivi par le pouvoir ? A mon grand regret, nous devons à la vérité de reconnaître que non. Malheureusement, le collectif budgétaire adopté par le Parlement est loin de pouvoir répondre à la gravité de la situation budgétaire dans laquelle se trouve le pays.

E.D.N : Vous avez, à cette occasion, préconisé l’adoption de mesures urgentes pour préserver l’équilibre des finances publiques. Le gouvernement, en janvier, avait également énoncé, à l’issue d’un séminaire gouvernemental, d’autres mesures dans la même optique. Votre plan assez détaillé et précis n’est pas appliqué. Celui du gouvernement, dont la mesure phare est la suppression des subventions au carburant, n’est pas non plus mis en œuvre. Pourtant, on a l’impression que la machine tourne. N’avez-vous pas péché par excès de pessimisme ?

C.O.M : J’aimerais, comme vous, croire que la machine tourne. L’équilibre des finances publiques, comme la santé financière de l’Etat, ne se décrète pas à la faveur d’une adresse à la presse ou aux parlementaires de sa formation politique. L’équilibre des finances publiques, comme la santé financière de l’Etat, se constate à travers le bon fonctionnement des services publics, la réalisation des projets d’investissement publics et la santé financière des entreprises dont les activités dépendent de la commande publique.

Parce que l’Union nationale est un parti politique responsable, nous n’avons pas voulu tenir aux Gabonais un discours politicien et démagogique. Devant la gravité de la situation dans laquelle nous savions que le pays allait se trouver, nous avons présenté à nos concitoyens, donc au pays, les solutions qui nous paraissaient de nature à y faire face. Il s’agissait d’un discours réaliste et responsable. Nous regrettons juste que le gouvernement ne soit pas à la hauteur des défis qui se présentent au pays.

E.D.N : Le président de la République vient d’indiquer devant les parlementaires du PDG que les fondamentaux de l’économie gabonaise étaient bons. Il en veut pour preuve la souscription du dernier emprunt émis par le Gabon sur les marchés financiers : cinq fois plus que la demande. Ce, malgré la dégradation de la note souveraine du Gabon par deux agences de notation. Ne peut-on pas lui donner raison ?

C.O.M : Contrairement à ce que veut faire croire le gouvernement, le taux de 6,95 % appliqué au Gabon est élevé et confirme le faible niveau de confiance que les investisseurs, donc les épargnants, font au Gabon. Actuellement, les pays occidentaux empruntent à dix ans à des taux très bas du fait de l’importance des liquidités en circulation. L’Allemagne emprunte à 0,86 %, l’Espagne à 2,09 %, les Etats Unis à 2,44 %, la France à 1,25 %, l’Italie à 2,11 %, le Japon à 0,42 % et la Suisse à 0,09 %. Il est clair que, dans ces conditions, les épargnants considèrent comme une aubaine de pouvoir placer leur argent dans un pays au taux de 6,95 %. C’est la raison principale qui explique l’attrait des épargnants pour les emprunts obligataires du Gabon. Ils y gagnent près de trois fois plus que sur les Etats-Unis, près de sept fois plus que sur l’Allemagne, soixante dix sept fois plus que sur la Suisse. Mais il convient de regarder de plus près les conséquences de ces emprunts obligataires sur les finances publiques de notre pays. En 2013, le Gabon a contracté 1,5 milliard d’eurobonds remboursables en 2024 avec un taux d’intérêt de 6,2 %, ce qui représente une charge financière annuelle, de 93 millions de dollars sur 11 ans, soit au total 1,023 milliard de dollars, donc 598 milliards de francs FCA. En 2015, le Gabon vient de contracter un nouvel emprunt de 500 millions de dollars, remboursable en 2025 au taux de 6,95 %, ce qui représente une charge financière annuelle de 35,75 millions de dollars sur 10 ans, soit 357,5 millions de dollars au total, donc plus de 203 milliards de francs CFA. Au total, les deux emprunts obligataires de 2013 et 2015 vont représenter un coût global de 800 milliards de francs CFA aux finances publiques, correspondant au paiement des seuls intérêts. Pour quels résultats ?

Pire, les dates de maturation des deux emprunts obligataires sont si proches que le Gabon devra rembourser 1,5 milliard de dollars, soit 877 milliards de FCFA en 2024 et 500 millions de dollars, soit 292 milliards de FCFA en 2025. Ainsi donc, les budgets des années 2024 et 2025 se trouvent dès à présent amputés de ces montants.

Après avoir dit tout cela, la vraie question que nous sommes en droit de nous poser serait plutôt : ce pays est-il dirigé par des personnes responsables ?

E.D.N : Pour appuyer sa démonstration, le chef de l’Etat cite la Banque mondiale et le FMI qui, à l’entendre, ne tarissent pas d’éloges sur la politique économique qui est menée. En outre, on constate tout de même que les salaires, la PIP et la PIF sont payés. Pas vraiment le signe d’un Etat en difficulté de trésorerie comme le répète l’opposition. Votre avis ?

C.O.M : Il me paraît discourtois et inélégant de citer continuellement à tort la Banque mondiale et le FMI, alors que l’on sait très bien que par nature, leur statut ne leur permet pas de déclarer que ce que dit un gouvernement ou un chef d’Etat est contraire à la réalité. Et, en toute confidence, ces institutions sont outrées et excédées par cette pratique qui est contraire aux usages. Il n’est pas possible, aujourd’hui, de présenter un document de quelque nature que ce soit dans lequel la Banque mondiale et le FMI se déclareraient satisfaits de la gestion budgétaire, économique ou financière du Gabon. Bien au contraire. Les salaires des fonctionnaires sont en effet payés tous les mois. J’ai envie de dire : encore heureux ! Il en est ainsi depuis l’indépendance. Ce n’est pas une prouesse. Mais comment sont-ils payés ? C’est quelquefois en suppliant les pétroliers ou les banques d’avancer l’argent.

Quant à la PIP et la PIF, je crois avoir entendu ou lu que certains bénéficiaires se plaignent. S’ils se plaignent, c’est qu’il y a un problème quelque part.

Admettons même que pour la PIP et la PIF, tout « baigne ». Ça correspond à 28 ou 30 % des charges totales de l’Etat au titre du budget 2015 modifié. Peut-on raisonnablement dire que la situation financière du pays est satisfaisante au motif que l’Etat parvient à répondre à 28-30 % de ses engagements ?

A suivre dans notre prochaine livraison

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