
par: Stephen Jean Landry
Les Intouchables, en Inde, sont des exclus, ils n’appartiennent et ne peuvent appartenir à aucune des castes. Ils sont aujourd’hui près de 200 millions, en Inde. Au Gabon, les intouchables sont loin d’être des parias. Ils – les Bongo et leurs affidés – règnent sur les caisses de l’Etat depuis maintenant cinquante ans. Et on ne les touche pas. La justice, la maréchaussée, la GR, et les réseaux françafricains en ont fait quasiment une caste : celle des Intouchables gabonais. Quasiment, parce que, à la différence des castes indiennes qui sont socialement étanches, ici, au Gabon, on peut y entrer comme on peut vous en éjecter. Les Gabonais connaissent indubitablement l’histoire du « chien » que OBO pouvait transformer en ministre et l’inverse. Asservi et redevable aux Bongo, vous êtes un Intouchable. Affranchi des Bongo, vous devenez un « chien », ce à quoi le pouvoir tente de réduire Serge Maurice Mabiala. Bon pour la potence. Le procureur Ouwé se chargeant de cette «mise à mort ». Ce qui tient plus de la secte et du clan mafieux. En étant l’une des figures de proue de la fronde Héritage et Modernité d’une part, mais ne bénéficiant pas de l’immunité parlementaire d’autre part, donc maillon faible des mutins du PDG, sa petite majesté a décidé de frapper quelqu’un qui, pourtant, en 2009, l’appuya, et pas en petite monnaie s’il vous plaît, pour maintenir les Bongo à la tête du pays. N’est-ce pas ce même Mabiala qui, après son passage à la DGE, devint membre du cabinet d’ABO, puis ministre ? Ce qui autorise certains questionnements.
Alors que la justice française détient par-devers elle la liste des biens mal acquis (BMA), comment se fait-il que sa petite majesté, depuis 2009 qu’elle se trouve en (im) posture de chef de l’exécutif gabonais, ne se soit pas empressée de récupérer ces BMA ? Omar Bongo Ondimba, véritable parrain de 1967 à 2009, s’est maintenu à la tête de ce clan sur la base de la corruption. Sa petite majesté, Ali Bongo, pareil. Les Etats-Unis en savent quelque chose. Ce sont les associations Transparency International France et Sherpa, auxquelles avait courageusement prêté main forte notre regretté Grégory Ngbwa Mintsa, qui ne cessent d’inciter fortement les autorités françaises à mettre en place un cadre législatif et réglementaire pour accélérer la restitution effective de ces avoirs aux populations victimes de ces malversations. Elles vont même jusqu’à proposer qu’une entité spécifique s’assure qu’en cas de réclamation d’un Etat tiers, de ce que la restitution des avoirs détournés s’effectuera dans l’entier et plein respect de l’intérêt général du pays concerné.
Que font notre justice et notre Commission nationale de lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite?
Pourquoi ne diligenteraient-elles pas une mission d’information parlementaire sur le blanchiment, en France, de capitaux provenant du produit de la corruption au Gabon ? Pourquoi ne généraliseraient-elles pas le contrôle des professionnels assujettis aux obligations de vigilance et de déclaration de soupçon et n’accroîtraient-elles pas l’effectivité de ce contrôle ? Pourquoi ne rendraient-elles pas effectives et dissuasives les sanctions administratives et judiciaires prononcées à l’encontre des professionnels qui auraient manqué à leurs obligations ? Pourquoi ne renforceraient-elles pas les moyens humains et financiers alloués à la lutte anti-blanchiment ? Pourquoi ne sensibiliseraient-elles pas les magistrats aux enjeux du recouvrement des avoirs en matière de corruption ? Pourquoi ne se renforceraient-elles pas par des moyens humains et financiers au stade de l’enquête et de l’instruction, afin de faciliter l’identification des avoirs illicites et la mise en œuvre de mesures conservatoires ? Pourquoi ne se battraient-elles pas pour introduire au niveau européen et international, l’institutionnalisation des mesures visant à assurer plus de transparence concernant les bénéficiaires effectifs des entreprises et des sociétés écrans ? Pourquoi ne requerraient-elles pas de l’Agence française de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) la compilation et la publication de données chiffrées sur les saisies, les confiscations et les restitutions intervenues annuellement ? Pourquoi ne mettraient-elles pas en place un comité de réflexion, afin d’explorer des mécanismes de recouvrement des avoirs criminels au Gabon ? Pourquoi n’inspireraient-elles pas la mise en place d’un cadre législatif adapté à la restitution des avoirs illicites ? Pourquoi la justice gabonaise, après les révélations de Mediapart, ne s’active-t-elle pas pour entendre Ali Bongo Ondimba ? Pourquoi se retient-elle d’entendre Accrombessi sur son interpellation à l’aéroport de Roissy en France, dans le cadre d’une enquête pour « corruption d’agent public étranger » ? Soupçonné par les autorités françaises d’avoir perçu illégalement de l’argent de la société Marck, une entreprise française spécialisée dans la fabrication d’uniformes militaires « en échange de l’attribution d’un marché public de plusieurs millions d’euros au Gabon », Accrombessi, au lieu d’être accueilli par la CNLCEI ou bien la DGR, à son retour de Paris, s’est vu entouré, sur le tarmac de l’ADL, par une bande de pages larmoyants de sa petite majesté qui manquait pour compléter le tableau.
Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Oui, on peut se demander pourquoi nos magistrats, nos députés, notre CNLCEI, ne se sont pas jetés, pour s’en inspirer, sur le Rapport complet de Transparency International France qui, s’il révèle les failles du système français en matière de lutte contre le blanchiment et pour la restitution des avoirs illicites, traduit également une absence de volonté publique gabonaise de récupérer ces BMA. Effectivement, alors que sans l’action déterminée d’organisations telles que Transparency International France et Sherpa, la question des avoirs illicites n’aurait jamais été posée du fait, en particulier, de l’inertie dénoncée par elles des pouvoirs publics et du parquet français, au Gabon, pendant ce temps, on préfère s’occuper des 6 milliards de Serge Maurice Mabiala qui ne sont pas établis.
En mai 2015, l’analyste économique et financier Mays Mouisi nous rappelait, d’une part, que « classé 94e sur 175 pays à l’indice de perception de corruption 2014 de l’ONG Transparency International, le Gabon est l’un des pays où le niveau de corruption est parmi les plus élevés » et, d’autre part, qu’ « au plan local, la charge de la lutte contre l’enrichissement illicite et la corruption incombe à la Commission nationale de lutte contre l’enrichissement illicite (CNLCEI) et aux cours et tribunaux » et, par ailleurs, last but not least, que la commission peut s’autosaisir si elle constate des faits relevant de ses attributions. En sont, par exemple, les « actes de détournement ou de soustraction frauduleuse de deniers ou de biens publics, d’abus de pouvoir, de trafic d’influence, de prise illégale d’intérêt ou de tout autre procédé illicite ». Les BMA en font partie, tout comme les détournements, dont est accusé Mabiala, aussi.
Mais, à l’instar des trois petits singes qui préfèrent ne rien voir, ne rien entendre et ne rien dire, la CNLCEI choisit de n’avoir aucune raison de s’engager dans l’action. Face aux révélations des médias qui devraient déboucher sur l’ouverture d’investigations de sa part comme les « détails de la succession Omar Bongo, l’actionnariat tentaculaire de la holding Delta Synergie ou des dépenses personnelles de Pascaline Bongo facturées à la Présidence de la République (…) », et, malgré les prises de position des leaders politiques et de la société civile, suite à ces révélations, la CNLCEI demeure muette, renforçant ainsi le sentiment d’impunité des amis d’Ali Bongo.
Et c’est ce silence assourdissant de la CNLCEI qui contraste avec le bruit discernable venu du bord de mer où trône sa petite majesté : les déclics des chargeurs des snipers. Celui, posté et planqué à la direction générale des impôts, qui a « tiré » sur Mabiala en fait partie. Il a pressé sur la détente sur ordre.
Ont fait les frais de ce « zoom meurtrier » Eyeghe Ndong et Paulette Missambo. En revanche, sa petite majesté, pourtant toujours à la recherche de son acte de naissance, bénéficie, aux yeux des juges, de l’immunité… patronymique.
Tout cela devrait-il soustraire Serge Maurice Mabiala à la justice ? Non, bien évidemment. Mais s’il y en avait une au Gabon, cela fait bien longtemps que ceux qui volent des bœufs remplaceraient, en prison, ceux qui ont volé des œufs.
C’est pourquoi nous sommes enclins à penser que l’inégalité de certains devant la loi ne pourra être supplantée par l’égalité de tous devant la loi qu’après la chute de la dynastie des Bongo. Ce qui devrait interpeller Héritage et Modernité sur la suite à donner à cette affaire. Qui, contrairement à ce que proclame Faustin Boukoubi, le funambule, est, avant tout, politique.
Article publié le 29 septembre 2015