EDITORIAL :la leçon burkinabè

Désiré Ename
Désiré Ename

Par : Désiré Ename

Pourquoi les Burkinabè réagissent-ils avec autant de spontanéité ? Pourquoi les Gabonais n’en font-ils pas autant ? La réponse est dans l’histoire des deux peuples.

Le Burkina Faso, « le pays des hommes intègres », a su s’affranchir, dès le 4 août 1983, de la seconde colonisation. Cette rupture totale pour son indépendance a été de se dévêtir de l’habit du colonisateur pour revêtir un habit originel évoquant sa terre. Le nom d’un pays dit soit l’histoire de ses hommes, soit le lien avec une autre entité. Dans le cas d’espèce, la Haute-Volta regroupait tout ce que les hommes intègres avaient décidé de liquider dans leur conquête pour leur libération du colonialisme et de ses oripeaux. Le point de départ a été le changement de nom du pays. De Haute-Volta, il est devenu Burkina Faso. En même temps, cela préfigurait du destin dans lequel Thomas Sankara, le père de cette révolution, engageait son pays. La suite de l’histoire, on la connaît. En toile de fond, elle va baigner dans la lutte contre l’impérialisme français. C’est la trame du discours idéologique des révolutionnaires et des comités qu’ils placent à travers le pays.

Les Burkinabè ont ensuite rompu avec des pratiques, dont la corruption à grande échelle. Le gain facile est combattu et la gabegie est réprimée sévèrement. Le Burkinabè, « l’homme intègre », est celui qui épouse des valeurs et les porte. Au cœur de ces valeurs, il y a le sens et l’amour de la patrie. Quatre ans suffiront à Thomas Sankara pour changer les mentalités et redonner la dignité à un peuple qui en demandait. La révolution est un état d’esprit. Et être Burkinabè l’est au-dessus de tout.

Blaise Compaoré, actionné par de petites mains occidentales, notamment françaises, va remettre en question la Révolution à travers le processus de rectification pour rétablir l’ordre ancien. Cela a duré 27 ans. Mais l’esprit burkinabè a fini par reprendre le dessus. Au cri de Thomas Sankara, « Malheur à ceux qui bâillonnent le peuple », répond un peuple dressé sur ses jambes et la tête haute. C’est ce cri qui a retenti le 29 octobre 2014. Ce cri dont l’écho a meublé les murs du palais de Compaoré et a eu raison de lui 27 ans plus tard. C’est ce cri qui a vibré ces trois derniers jours. C’est ce cri qui a désarmé la milice privée qui a pensé que les Kalachnikov et les canons ont une force dissuasive absolue. Oubliant que chaque fois que ce peuple s’est senti bâillonné, il s’est soulevé pour dire sa liberté. Cette résolution à la liberté a un responsable : Thomas Sankara. Un point de départ : le 4 août 1983. A côté de cela, le pays a eu de grands penseurs comme Joseph Ki Zerbo, qui ont continué durant les années d’enfermement de dire aux Burkinabè devenus qui ils étaient. Il n’y a rien de tel pour réveiller un peuple que de le replonger dans son histoire. Là réside son monde idéel. C’est ce monde qui le propulse.

Les Burkinabè ont décidé de prendre leur histoire en main. C’est la force qui manque aux Gabonais. Dans notre pays, le tournant de 1960 s’est ouvert avec des hommes tout aussi intègres. Leur sens de la patrie et l’attachement à leur terre était sans faille. Avec peu de moyens, ils ont réalisé beaucoup. Ils ont également été porteurs de valeurs. Des valeurs qu’ils ont transmises. Et malgré le parti unique, nombre de cadres issus de l’administration postindépendance, forgés dans le creuset de nos hommes intègres, ont su perpétuer ces valeurs. A quel moment la machine s’est-elle grippée ?

La rupture, c’est l’ère Albert Bernard Bongo. L’ère de la chosification de l’Etre gabonais. ABB devenu OBO établit comme valeur fondamentale l’argent, « le kounabélisme », « le Gabonais qui a un prix », en somme l’ère du Gabonais moulé dans la futilité et l’obsession de la jouissance. L’ère des antivaleurs et de la répression des valeurs cardinales dont le travail et le gain par l’effort. Est riche l’administrateur des crédits, est riche le politicien. Etc. C’est aussi l’ère de basses intrigues. Du « diviser pour mieux régner ». Installé et soutenu par l’instrument financier Elf Gabon, le Gabonais des années Léon Mba, Vincent de Paul Nyonda, Paul-Marie Gondjout, Paul-Marie Yembit, Jean Marc Ekoh, a été dilué dans la définition jouissive de l’Etat-OBO : on se gave, on danse, on jubile. Quel type de Gabonais pouvait-il en découler ? Un paresseux, quelqu’un de parfaitement lobotomisé, inerte, insouciant, révulsé, auto-révolté, un déraciné, égoïste, quasi inaptocrate, pleutre, même si par extraordinaire, il lutte…pour manger, etc. En gros, tout Gabonais naît sensé, mais tombé dans le système OBO, il perd ses repères fondamentaux. Voilà pourquoi, à la différence des Burkinabè, notre être révolutionnaire tarde à renouer avec son histoire réelle.

Fort heureusement, il existe une race d’extra-Gabonais. Ceux qui osent dire non à l’ordre établi. Ceux qui le combattent. Ceux qui s’en sont radicalement séparés. On les reconnaît à leur détermination et à leur refus des compromis individuels. D’eux, il en sortira quelque chose. Mais le réveil est lent.

Article publié le 21 septembre 2015

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