EDITORIL : ABO à l’Elysée la besace vide

Désiré Ename
Désiré Ename

Par : Désiré Ename

Nous l’avions dit dans notre édition n°295 du lundi 27 juillet 2015. A savoir que trois personnalités politiques vont occuper le terrain au cours de cette année électorale qui a démarré le mois dernier. Nous parlions d’Alexandre Barro Chambrier (ABC), Raymond Ndong Sima et Jean de Dieu Moukagni Iwangou. Les derniers événements viennent encore de le confirmer.

La formation du nouveau gouvernement a été utilisée par sa petite majesté Ali Bongo Ondimba comme une arme, pour neutraliser définitivement tous ces empêcheurs de tourner en rond. Pour lui, le cas de chacune de ces personnes devait être réglé une bonne fois pour toutes.

En prenant le risque d’aligner le nom de Moukagni Iwangou dans la liste des membres du gouvernement, il pensait réussir deux coups. Primo, la liquidation de cet « opposant radical ». Deuxio, la démolition du Front de l’opposition pour l’alternance.

Il faut, pour le comprendre, revenir à 2014. Notamment au mois de novembre, pour constater qu’après la mise en route du Front, le 19 juillet, cette coalition a brillé par une absence d’actions fortes. A tel point qu’il a presque mérité les flèches que ses adversaires lui lançaient, car ils n’y voyaient qu’un club de retraités de la politique. Voilà qu’y entre Jean de Dieu Moukagni Iwangou. Son arrivée viendra injecter un dynamisme nouveau, soutenu par une maîtrise de l’attaque judiciaire, qui y faisait cruellement défaut, il faut l’avouer. Porter la question de l’acte de naissance de sa petite majesté au civil, surtout que fondamentalement, cela ne s’appuyait que sur le livre de Pierre Péan, était une chose. Mais oser porter l’affaire devant une juridiction compétente, en l’occurrence la Haute Cour de justice ; puis mettre en place le mécanisme contraignant l’autorité gouvernementale et législative à convoquer le collège devant siéger pour examiner ledit dossier, cela relevait de l’audace, du flair et de l’intelligence politique. Dès cet instant, on a pu constater qu’une nouvelle dynamique s’était installée au sein du Front. Dynamique qui a reconfiguré totalement toute son offensive.

Par ailleurs, Moukagni Iwangou arrive à la tête du Front au mois d’avril 2015. Dans l’appareil, il est placé là comme un faire-valoir. C’est du moins ce que croient ceux qui l’y avaient coopté. Mais il refusera d’être la caution d’objectifs inavoués. Du coup, il va s’astreindre à un devoir d’ingratitude vis-à-vis de ces derniers. Au nom de son engagement pour le peuple gabonais, « qui ne souffre d’aucune contestation ». Cette volonté de servir les intérêts du Gabon avant les ambitions des gens se manifeste lors des appels à candidature lancés par Jean Eyeghe Ndong et Pierre Amoughe Mba. Sur ce, Moukagni Iwangou surprendra par une qualité de leadership insoupçonnée. Il ne cèdera ni au trafic d’influence, encore moins aux petits arrangements de coulisses. Cette posture lui vaudra quelques inimitiés au sein de son appareil, le Front. Désigné déjà comme l’empêcheur de tourner en rond par ceux pour qui il devient un obstacle à l’aboutissement d’ambitions solitaires. Deux fronts se forment donc en face de lui : certains de son camp parce qu’il reste inflexible sur l’article 3 de la charte du Front qui pose la destitution d’Ali Bongo Ondimba avant l’élection présidentielle. L’autre front est conduit par l’adversaire désigné, Ali Bongo Ondimba, qui a donc décidé de lui faire payer sa radicalisation. A la pratique, le 11 septembre gabonais vient aussi de révéler que ces deux fronts se sont alliés au moins sur un point : la participation aux élections sans préalables en 2016. Seulement, la stratégie de sa petite majesté vient d’être mise en échec.

Le deuxième coup maladroit visé par sa petite majesté à travers ce gouvernement a été de tordre le cou à Héritage et Modernité (H&M). Sa petite majesté a rouvert le front du Mogabo, mais en donnant à ses membres une puissance d’action sur le terrain paré du sceau gouvernemental. En agissant ainsi, sa petite majesté a réaffirmé sa position du lendemain de la sortie de H&M : au-delà de prendre fait et cause pour le Mogabo qui le défend, il lui déroule le tapis rouge. Signe que ses appels du pied à l’endroit de H&M, jusqu’à lui concéder l’organisation d’un congrès extraordinaire de clarification, cachent une entourloupe. A travers la mise en orbite du Mogabo, sa petite majesté montre qu’il a la rancune tenace et que sa volonté de casser de l’ABC, du Mabiala, du Vincent Gondjout, du Menga M’Essone, du Nzengue Mayila ou du Momoadjambo est intacte. Le renforcement des axes dans la Ngounié, la Nyanga, l’Ogooué-Ivindo et l’Estuaire, en remettant en scelle de vieux briscards comme Paul Biyoghe Mba, vise ce premier objectif. Le deuxième est de montrer à H&M, Faustin Boukoubi et Guy Nzouba Ndama qu’il faudra conjuguer avec cette formation gouvernementale et que ça passera bon an mal an. Le parti, c’est lui. L’appareil de l’Etat, c’est également lui. A eux de bien se tenir.

Sauf qu’ABO a oublié la donne internationale. Et celle-là, il faudra aller la chercher loin en juillet 2012. François Hollande n’a rien modulé de ses positions sur le respect des droits de l’Homme et sur la transparence électorale. Sachant aussi que les soutiens de 2009 ne se mettront pas en branle. Dans ce marigot, ses intrépides communicants n’ont pas réussi à le sortir de la vase boueuse. Et c’est sur ce terrain de la légalité qu’il trouvera sur son chemin, Héritage et Modernité, dont Alexandre Barro Chambrier porte la parole, qui demande des réformes électorales profondes ; le Front de Moukagni Iwangou, inflexible sur les conditions de crédibilité des élections, et Raymond Ndong Sima, sur le diagnostic du pays. Malheureusement, il n’a tiré aucun enseignement des derniers épisodes où la France a placé la légalité au-dessus des amitiés françafricaines. Surtout qu’il va être reçu à 15 heures sous les quolibets des Gabonais de France, en plus avec la besace vide : il ne présentera aucun un trophée de guerre à Hollande pour justifier l’ouverture. Et surtout sans Maixent Accrombessi. C’est donc en rampant qu’il se présentera devant le président français.