TRIBUNE LIBRE: lettre au journal « LIBERATION »

Démenti formel de Jonas Moulenda

Jonas MOULENDA

Par : Jonas MOULENDA

Cher confrère,

N’ayant pas voulu me rendre à Libreville pour ne pas être archivé par l’Histoire aux côtés de ceux qui ont constamment l’estomac dans le cerveau et qui ont répondu à votre appel pour des raisons strictement alimentaires, je me fais le devoir, tout à la fois citoyen et confraternel, de vous faire tenir, par cette philippique, ma contribution aux assises que vous avez convoquées dans mon pays. «La vérité fait rougir les yeux, mais ne les crève pas», disait mon grand-père.

Par des appels ubuesques, vous avez espéré me convier à une rencontre désignée par un euphémisme qui a abusé de procédés emphatiqueset confine à la dégaine: forum citoyen.L’idée est noble. Ce qui paraît contestable, cependant, c’est la sincérité de votre démarche.Pourquoi voudriez-vous que je vienne vous dire ce que vous savez pertinemment et sur quoi vous faites un black-out total dans vos colonnes, à cause de vos accointances avec le régime qui en est à l’origine? Si vous ne pouvez pas aider le peuple gabonais, en relayant ses desiderata, n’alourdissez pas son fardeau quotidien. Mon aïeul disait:«Si tu n’aides pas le lépreux à allumer sa pipe, ne lui enlève pas son tabac.»

Aucun Gabonais saint d’esprit, en dehors des éternels boute-en-train  affamés, n’aurait effectué un si long déplacement pour assister à une rencontre digne d’une grande blague populaire. Les assises que vous organisez à Libreville ne sont qu’un soutien au pouvoir dictatorial d’Ali Bongo Ondimba.Vous voulez contribuer à la grande dépression et à la chute du moral des Gabonais jusque dans leurs chaussettes. Vous allez au Gabon non pas parce que vous aimez ce pays, mais plutôt parce qu’il y a à boire et à manger. « Ce n’est point parce qu’il y a une belle rose sur le rosier que l’oiseau s’y pose : c’est parce qu’il y a des pucerons», disait d’ailleurs Jules Renard.

Vous êtes bien gentil, mais votre forum de grand bavardage inutile, je m’en contrefiche, comme tous les Gabonais d’ailleurs. Ça les déprime, ça les appauvrit davantage, ça les énerve. Vous contribuez à rendre les Gabonais malheureux. C’est pourquoi je vous demande, au nom de la rédaction d’« Échos du Nord », journal du peuple,d’éviter à l’avenir ces agissements de profito-situationnistes. Nous ne saurionstolérer cette incartade une seconde fois. Le Gabon a de vrais problèmes. La priorité n’est donc pas votre fameux forum dispendieux. «On ne marche pas en regardant les étoiles quand on a un caillou dans sa chaussure», me faisait remarquer mon papy.

Pourquoi, au nom d’une liberté soutenue par une offense manifeste et visible, acceptez-vous de galvauder l’image du journal moraliste que vous avez toujours été en France ? Vous vous rendez complice d’un régime qui torpille les journalistes et pratique des assassinats avec prélèvement d’organes. Pourquoi, au nom d’une liberté d’expression négative, aidez-vous Ali Bongo Ondimba à heurter la sensibilité de plus d’un million et demi deGabonais? Avez-vous oublié que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » ? Veillez à ce que votre mercantilisme ne vous rende pas cynique. «Quel que soit le goût du repas, n’avale pas ta langue», me conseillait mon grand-père.

Ali Bongo Ondimba s’est entouré d’un cénacle de véritables courtisans, cancres achevés, qui lui servent de collaborateurs. Cher confrère, vous n’ignorez pas que son régime agresse physiquementles leaders d’opinion qui le terrorisent moralement. Votre attitude laisse entrevoir des appétits pécuniaires boulimiques.Combien avez-vous reçu pour vous compromettre autant? Pour cette question, je laisse la réponse aux gens avisés dont l’honnêteté intellectuelle ne soufre d’aucune haine ni d’aucun mépris. Soyez d’abord exempt de tout reproche, avant de faire la morale à qui que ce soit. Mon aïeul me faisait observer que « si le babouin se mettait à regarder son derrière, lui aussi en rirait».

Dans les pays sérieux, dirigés par des gens sérieux, la presse fait partie de ce que l’on appelle l’intelligentsia. Elle compte parmi ceux qui pensent ces pays et pansent leurs plaies, orientent leurs choix et pèsent sur leur destin. Mais au Gabon, Ali Bongo Ondimba veut seulement une presse à ses ordres, sélectionnant l’information selon l’utilité qu’elle comporte à l’égard de son pouvoir corrompu et criminel. C’est ainsi que l’on assiste à l’émergence d’une presse médiocre, spécialisée dans des dithyrambes en faveur de son régime. Les journalistes qui vont à rebours de sa volonté sont emprisonnés ou menacés de mort. Tel est d’ailleurs mon cas. «Celui qui a échappé à la foudre en parle volontiers», disait mon papy.

Cher confrère, si je ne peux pas vous demander de choisir vos amis, je peux néanmoins vous exhorter à respecter la noble profession qui est la nôtre. Vous vous fourvoyez, en allant organiser un forum à Libreville aux frais d’un despote qui mime à la perfection tous les dictateurs rangés dans les tiroirs nauséabonds de l’Histoire. Votre forum serait crédible s’il était financé par vos soins. Avec votre mercantilisme rampant, vous finirez par souiller votre image et enterrer votre crédibilité. « La mouche qui aime l’anus du cadavre finit par être enterré avec le cadavre», aimait à dire mon grand-père, grand sage de son époque.

Article publié le 29 septembre 2015

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