
« Permettez-moi cette lapalissade en disant, qu’il faut être soi-même » démocrate » pour promouvoir la » démocratie « , qui elle-même, implique, entre autres, le respect de l’Etat de droit, la bonne gouvernance, le dialogue inclusif… »
C’est en ces termes que se termine la déclaration du porte-parole du mouvement Héritage et Modernité (H&M), Alexandre Barro Chambrier (ABC). On ne peut être plus clair. Et lorsqu’on a la prétention de se proclamer démocrate et de se dire respectueux des lois de son pays et, surtout, lorsqu’on exige des autres ces valeurs, il faut soi-même en être un cas d’exemplarité.
Une déclaration qui interpelle les démocrates. Au-delà de l’interpellation, c’est un véritable appel à revisiter fondamentalement la vie politique de la nation. Il n’apparaît pas dans cette déclaration une attaque contre une cible donnée comme ce fut le cas le 27 juin dernier. Encore qu’à ce moment-là, le but était plus de clarifier et de pousser les enjeux du moment vers une destination viable, qu’à la simple volonté de répliquer. Le ton pris par feu le Mogabo a généré le ton d’H&M jusqu’à lui servir l’arme de destruction qui l’a emporté.
Ici, le porte-parole d’H&M prend la mesure de la situation et montre le seul chemin possible pour aboutir à une issue sereine. « (…) Je sais l’ampleur des attentes, des incertitudes et des angoisses qui troublent nos compatriotes. Tout cela est aggravé par une crise politique, économique, financière (contre choc pétrolier) et morale sans précédent pour laquelle toute perspective de sortie justifie le rassemblement de tous les Gabonais. »
ABC appelle d’abord à se ressaisir pour comprendre les enjeux du moment. Ensuite réfléchir et s’impliquer dans une nouvelle dynamique qui consiste à regarder au-delà des clivages politiques. Il préconise une dynamique de rassemblement autre. « A travers le brassage transpartisans (…) pour restaurer la confiance des Gabonais, entre citoyens, dans l’Etat, dans la République et l’engagement pour la cause publique. » La démarche est pédagogique.
Peut-on, dès lors, s’obstiner à coltiner un fanatisme partisan qui est en fait une fuite en avant devant la charge de la vérité, que ce texte envoie tel un boulet ? Ou faut-il, au nom des évidences qui s’enchaînent pour révéler le drame gabonais, se faire violence et répondre, qui que l’on soit, à cet appel ? C’est le dilemme devant lequel ABC place toute la classe politique gabonaise. Non pas seulement elle, mais aussi la société civile, les confessions religieuses, étudiants et élèves, Gabonaises et Gabonais, salariés du privé et du public.
Car la crise que traverse le Gabon va nécessairement toucher chaque citoyen. Aussi l’on ne peut se cacher derrière l’indifférence ambiante où certains pensent qu’on peut dissocier la politique de la vie sociale courante. L’on se complaît de cet apolitisme où l’on croit que le débat sur le Gabon ne doit concerner que les hommes politiques. En réalité, ABC rappelle dans cette déclaration que la politique est l’affaire de tous les citoyens ayant en commun cette terre.
A cause de cela, la possibilité de s’accorder sur des minima existe. Certes, il est impossible de s’entendre sur tout. Il est impossible d’avoir des points de vue convergents sur tout. Mais, la terre des ancêtres peut et doit unir les descendants des différents lignages. Cela procède par des consensus. Consensus pour décider quand, comment et où se rassembler pour débattre. Cela, déjà, pour que la discussion soit fructueuse. Consensus aussi lors des discussions pour sortir de là avec des résolutions uniformes.
Il ne suffit pas de dire aussi que les propos d’ABC sont ce que l’opposition a dit hier, pour réduire leur portée. Ni y voir un prolongement. Encore moins une entente avec l’opposition. Ce qu’il est juste de dire, c’est qu’un député pédégiste et ses camarades ont courageusement pris la responsabilité de questionner leur gouvernance et de tirer la conclusion que rien ne va plus.
Car il faut du courage pour toucher du doigt lorsqu’on appartient à un camp qui cultive le clientélisme, le chantage, la peur, la corruption pour braver ces barrières et oser réclamer un Etat de droit véritable. Oser parler d’une « démocratie qui respire » par la limitation de « l’exercice de la magistrature suprême à deux mandats » ; pour oser demander d’« œuvrer à renforcer la stabilité et la crédibilité des institutions à travers l’application des règles démocratiques et consensuelles favorisant des élections transparentes, libres et apaisées (…) » ou « le retour à des élections à la majorité absolue et notamment pour la « mère » des élections à savoir, l’élection Présidentielle (…) », c’est ce courage qui dit la profondeur et la sincérité de ces hommes regroupés au sein du mouvement H&M. C’est également là autant de raisons de porter cet appel.
Le Gabon regorge d’économistes. Des bons, il y en a. Ce ne sera pas abusif de dire que non seulement ABC compte parmi ces bons, mais aussi qu’il fait partie d’un infime groupe à même de donner, avec clairvoyance et précision, une lecture de la situation économique du moment. Le Gabon est malade. La croissance est un leurre, devrait-on dire sans atours à la suite de ses affirmations. « La croissance doit être un élément catalyseur pour la poursuite constante de la réduction de la pauvreté faute de quoi elle n’est pas perceptible par ceux censés être les bénéficiaires. La croissance bien partagée est le fondement de la cohésion sociale et de la stabilité politique. » Toute chose qui donne une réponse ferme à la question récurrente : pourquoi un pays si riche et si peu peuplé produit-il autant de pauvreté ? Parce que la redistribution a de graves soucis.
Casimir Oye Mba posait une question dans une tribune dans le quotidien « L’Union en 2012 » : « Et maintenant on fait quoi…? » Ce n’était ni plus ni moins qu’un appel au consensus. Aujourd’hui, cette question est posée au facteur bloquant. Il se reconnaîtra. ABC et ses camarades n’ont fait que lui rappeler l’allégorie de la clé.
Ramses Frank
Article publié le 9 septembre 2015
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