TRIBUNE LIBRE : La Géopolitique des Bongo : une réalité
Par : Stephen Jean Landry
Dans une zone et une période où les systèmes parentaux et claniques sont encore en vigueur et où la notion de nation ne déborde pas de manière significative celle du clan, le projet Gabon des années 60, c’est-à-dire, la construction d’un Etat moderne, citoyen, démocratique, le développement d’une économie de production et l’éclosion de sa Nation interculturelle – ne pouvait fleurir sans être fertilisé par l’un de ses terreaux principaux : l’entrelacement des logiques familiales traditionnelles dont l’une des déviances ne pouvait qu’être l’instrumentalisation des ethnies pour asseoir un pouvoir politique familial.
Ce fut le choix d’Omar Bongo Ondimba (OBO) qui donna naissance au système Bongo. Afin de lui donner de la consistance, il appâta un certain nombre de cadres pour les entraîner dans sa vision d’un Gabon en proie à une soi-disant lutte des ethnies entre elles. L’édification de l’Etat-Bongo fut soumise à cette vision. L’accession aux plus hautes fonctions civiles et militaires de cet Etat-là y fut soumise également. Restait à procéder à l’analyse des ethnies pour définir les ethnies amies et les ethnies ennemies.
Tirant leçon des guerres civiles qui ont opposé, à la fin des années 1950, à Brazzaville (Congo), les Mbochi aux Bakongo, le père Bongo, issu lui-même d’une ethnie minoritaire, comprit qu’il lui fallait « diviser pour régner » longtemps. Il décréta alors que notre pays devait être divisé en Nord et Sud, en Est et Ouest, puis il entreprit de convaincre des jeunes cadres Gabonais revenus d’Europe du bien-fondé de sa classification discriminatoire qui devait générer les sentiments de jalousie et de haine intertribaux. Sous le Parti unique, et plus systématiquement après la Conférence Nationale, le pays fut ensuite découpé en ethnies souveraines, alliées, intermédiaires et ennemies.
Instruit sûrement par les stratèges militaires, OBO affina un dosage ethnique baptisé « géopolitique » visant à :
- souder les liens de sang avec les barons issus des ethnies apparentées et de la province déclarée souveraine;
- raffermir les relations d’OBO avec les hauts dignitaires issus des ethnies et des provinces déclarées alliées ;
- isoler et fractionner au maximum les cadres originaires des ethnies et des provinces condamnées comme ennemies, c’est-à-dire jugées opposantes au système Bongo ;
- Gagner à la défense du système les cadres des ethnies et provinces jugées intermédiaires, c’est-à-dire récalcitrantes, pour qu’elles ne se rapprochent pas des ethnies cataloguées ennemies ;
- Rechercher le soutien sans faille des élites dirigeantes françaises par l’alignement diplomatique, la corruption personnalisée, le financement de tous les partis politiques de l’Hexagone et de leurs campagnes électorales, ainsi que l’appui, à fonds perdus, des lobbies américains ;
- Renforcer les réseaux précités par des liens matrimoniaux, religieux (Islam), les sociétés initiatiques (Ndjobi, Bwiti, Franc-maçonnerie, Rose-Croix etc…), les connivences partagées autour des crimes rituels, des détournements massifs, de la pédophilie ou des liens incestueux.
Cette classification des fidèles vassaux de l’Etat Bongo, passe-temps favoris des Bongo, est si rigoureusement appliquée au Gabon que chaque cadre lettré du pays surveille avec minutie et une certaine anxiété, l’ethnie ou la localité en hausse et celles dont la côte est en chute libre à la Cour des Bongo. Les noms des Gabonais étant ethniquement identifiables, la comptabilité des ethnies promues par cadre nommé est faite dans les quartiers à la fin de chaque Conseil des ministres, même lorsque le pouvoir tente de masquer telle ou telle situation. Le bi mensuel « L’Espoir » s’était ainsi, il y a un temps, inquiété du « dosage ethnique » qui a présidé à la mise en place du gouvernement Ona Ondo. « 11 Fangs pour 1 seul vrai Punu » avait-il titré ! Comme dit Muetsa, l’auteur de l’article, « la Géopolitique à la Gabonaise nous enseigne que la répartition des postes a toujours été tributaire des équilibres ethniques… Malgré une charte de déontologie ou un code de bonne conduite, les ministres nommés au Gabon se comportent toujours d’abord comme le(s) représentant(s) d’une ethnie bien donnée. Le reste suit après. L’on ne peut pas penser qu’il y a certains qui estiment que les Punus étant déjà un acquis, on peut se détourner de les cadeauter» !
Il suffit pourtant de visiter nos provinces pour réaliser que les ethnies dites privilégiées (c’est-à-dire souveraines, alliées ou intermédiaires) vivent dans le même degré de dénuement que celles visées comme ennemies. En réalité, la « Géopolitique » des Bongo, qui a tué l’ascension sociale par le mérite depuis 1967, est une vaste manipulation des cadres corrompus par des nominations et par des avantages matériels et financiers offerts par le système Bongo. Elle permet de maintenir sous contrôle une clientèle potentiellement contestataire, d’opposer les Gabonais à d’autres et, en agitant le chiffon rouge de telle ou telle ethnie ou province jugée contestataire, c’est-à-dire mal votant.
Dans chaque département ministériel, chaque province, chaque localité, les dignitaires ainsi connus reproduisent le même exercice que les Bongo, en promouvant leurs subordonnées selon les mêmes normes. Les hauts fonctionnaires n’étant plus évalués sur des critères objectifs, mais sur leur capacité à mobiliser les « Mwana Mboka », les fils du terroir, le pays est balkanisé et encore plus fractionné. On comprend aisément que les campagnes orchestrées contre « les ethnies qui se croient supérieures aux autres », « le tribalisme et le communautarisme » ne sont que poudre aux yeux pour occulter la politique d’essence tribaliste des Bongo.