EDITORIAL : malheur à l’homme seul
Par : Désiré Ename
Fait inattendu, toute la classe politique de l’opposition était réunie à l’Ancienne Sobraga, siège de l’Union nationale (UN), pour une déclaration conjointe dont nous donnons toute la teneur. Que dit l’opposition au ministre de l’Intérieur ?
Les partis politiques de ce bloc « rappellent au Ministre de l’Intérieur qu’une Commission Paritaire ad hoc (Majorité et Opposition) s’était réunie à Libreville du 28 janvier au 15 février 2013 pour arrêter les modalités de la mise en œuvre de la biométrie dans le processus électoral au Gabon.
Dix points ont fait l’objet d’un accord total entre la Majorité et l’Opposition, pour garantir de manière définitive la transparence électorale que la classe politique et la communauté internationale souhaitent de tous leurs vœux. Il s’agit de :
- Elaboration d’un plan médias associant l’opérateur technique GEMALTO et les partis politiques, et visant à expliquer les mécanismes de fonctionnement de la biométrie.
- Usage de la carte nationale d’identité comme pièce de référence dans toutes les opérations électorales, suivi de l’original ou de la photocopie légalisée de l’acte de naissance ou du jugement supplétif.
- Inclusion du passeport ordinaire biométrique dans la liste des pièces exigibles pour l’enrôlement ou le vote.
- Recours aux témoins munis de leurs pièces d’état civil en vigueur lors de l’enrôlement, dans le cas où l’identité de l’intéressé est mise en doute.
- Lancement par le ministère de l’Intérieur d’une vaste campagne de sensibilisation visant à distribuer le stock de cartes nationales d’identité actuellement disponibles dans les services du ministère.
- Dotation des moyens supplémentaires au ministère de l’Intérieur pour relancer les campagnes pérennes d’établissement des cartes nationales d’identité à l’ensemble des Gabonais.
- Organisation d’audiences foraines dans les zones rurales pour permettre à tous les Gabonais de se faire progressivement établir des cartes nationales d’identité. Cela ne constituant cependant pas une condition préalable aux opérations d’enrôlement et aux élections.
- Implication des partis politiques dans toutes les étapes, notamment dans le suivi de la traçabilité des mises à jour du système informatique.
- Prise en compte des partis politiques (Majorité et Opposition) dans la composition de la Commission Nationale pour le Traitement des données à Caractère Personnel (CNTDCP).
- Mise en place d’un Comité de suivi des recommandations de la Commission.
A ce jour, un seul point sur les 10, a été acté, c’est-à-dire qu’il a fait l’objet d’un texte réglementaire ou législatif : le passeport biométrique qui figure parmi les documents exigibles pour le vote.
Les 9 autres points n’ont, à ce jour, fait l’objet d’aucun examen par le Gouvernement.
Les Partis Politiques de l’Opposition souhaitent que tous ces points soient actés et que le Gouvernement tienne enfin ses engagements. C’est pourquoi, avant d’engager leurs militants dans une quelconque opération de révision des listes électorales, ils souhaitent une nouvelle rencontre, une rencontre de clarification avec le Ministre de l’Intérieur.
A cet effet, les Partis Politiques de l’Opposition se sont engagés sur l’honneur à ne pas communiquer, pour l’instant, au Ministre de l’Intérieur la liste de leurs représentants au sein des commissions d’enrôlement.
Toute formation politique ou tout leader se réclamant de l’Opposition qui irait à l’encontre de cette démarche en envoyant des listes au Ministère de l’Intérieur ou en demandant aux citoyens gabonais d’aller s’inscrire sur les listes électorales, dans les conditions actuelles, cautionne la fraude en préparation. »
Ce document a été approuvé par tous, à Libreville, le 9 octobre 2015. La déclaration est adressée au ministre de l’Intérieur, Pacôme Moubelet Boubeya, et notamment au chef de l’exécutif, sa petite majesté Ali Bongo Ondimba, à qui les signataires rappellent qu’il est vain de mettre la charrue avant les bœufs dans le contexte politique actuel. Il est surtout vain d’espérer que les arrangements de coulisse avec certains de l’opposition sur la participation à des élections mal cousues prospéreraient dans l’agenda actuel tel qu’ils le conçoivent, eux, le ministre de l’Intérieur, et sa petite majesté. Et dans les rangs de l’opposition, la cohésion vaut mieux que toute autre attitude sectaire consistant à répondre à l’appel du pouvoir pour la révision des listes électorales. A ceux-là, nous rappelons qu’il est suicidaire de se retrouver seul. Paul Mba Abessole disait : « Malheur à l’homme seul. » Qu’ils l’entendent et s’en avisent.
Quant au pouvoir, il semble que plus qu’auparavant, la période que nous traversons, où la tension est perceptible à tout point du pays, ne lui servira point d’exutoire à ses turpitudes. Comme ce fut souvent le cas. On le sait autiste, mais gare ! Nous lui redisons simplement ses responsabilités et le plaçons en face de celles-ci. Quant à la position de l’opposition réunie à l’Ancienne Sobraga, il faut noter, au-delà de tout esprit partisan ou de petits calculs, qu’elle rappelle au pouvoir ses engagements. Car, c’est au cours d’une rencontre entre le gouvernement et cette opposition que lesdits engagements ont été pris. Il ne suffit pas de raconter qu’on fait ce que l’on dit. Le sens de l’honneur recommande de le faire effectivement. Or, la politique est guidée par le sens de l’honneur et du respect de la parole donnée. Quant aux autres qui semblent se départir de la parole qu’ils ont donnée hier, à notre niveau, nous nous permettons de rappeler un fait d’histoire récent.
Lorsqu’en 2013, les premières bases de la biométrie furent jetées, un groupe de personnes se réclamant majoritairement de l’Union nationale avaient alors mené campagne pour exiger la conférence nationale souveraine et une biométrie intégrale qui comprendrait l’inter connectivité. Ils ont combattu les partisans des élections locales qui, eux, voyaient la nécessité de tester cette biométrie. André Mba Obame en faisait partie et appela à des inscriptions massives. Appel qui fut plus que retentissant de par la réponse qui en fut donnée. C’était quand même AMO ! Ce groupe a prôné le souverainisme, peut-être de bon aloi…
A l’heure où l’opposition resserrée durcit le ton pour exiger que toutes ces conditions soient réunies parce que la biométrie version IBOGA a été éprouvée et a révélé ses limites. A l’heure où au sein du Parti démocratique gabonais (PDG), un bloc, Héritage et Modernité (H&M), a parfois même montré plus de détermination que certaines franges de l’opposition sur les conditions de la transparence, et sur la nécessité d’un dialogue inclusif au prix de la répression de ses membres, l’on se demande de quel côté va se placer le groupe anti-élections locales de 2013. De quel côté ? Du côté de la logique de leur revendication, et l’on comprendra qu’elle répondait à une préoccupation collective ? Ou alors du côté de la contradiction de leur revendication ? Ils sont attendus pour démontrer leurs aptitudes politiques. Car, c’est au pied du mur que l’on juge le maçon.