
Par : Désiré Ename
Il était trop tôt de nous prononcer réellement sur l’épisode des prises de position de la France au Congo-Brazzaville par rapport au referendum organisé par Denis Sassou Nguesso, en vue de la modification qui lui permettrait de tordre le cou à l’article 58 de la Constitution de 2001. Contre vents et marées, il a fait son referendum. Pour modifier, aujourd’hui, cet article qui lui a permis, hier, de mettre hors jeu nombre de ses adversaires. Que disposait cet article 58 ? « Nul ne peut être candidat aux fonctions de Président de la République : s’il n’est de nationalité congolaise d’origine ; […]s’il n’atteste d’une expérience professionnelle de quinze ans au moins ; s’il n’est âgé de quarante ans au moins et soixante dix ans au plus à la date du dépôt de sa candidature ; etc. » C’est cet alinéa, précisément, qui rattrape Sassou et que, dans la nouvelle Constitution, il veut soumettre à son Assemblée nationale pour modification à l’issue de son referendum.Le nouvel article (66) se lira comme suit : « Nul ne peut être candidat aux fonctions de Président de laRépublique : s’il n’est de nationalité congolaise d’origine ; […] s’il n’atteste d’une expérience professionnelle de huit ans au moins ; s’il n’est âgé de trente ans révolu […] »
Sassou, à travers son referendum, veut faire sauter trois verrous. Le premier estla limitation d’âge dans les deux sens. A trente ans, on peut être président au Congo et à 100 ans révolus, on peut aussi très bien l’être. Sassou Nguesso, même croulant dans dix ans, pourra briguer un dernier mandat. Le deuxième verrou qu’il fait sauter est l’expérience professionnelle. Elle passe de quinze ans à huit ans. Est-ce banal ? Et le troisième est la durée du mandat. Sur ce troisième verrou, l’article 57 précisait que « le Président de la République est élu pour sept ans au suffrage universel direct. Il est rééligible une fois. » Dans la nouvelle proposition, il ramène la durée du mandat à cinq ans (article 65 nouveau) ; sauf que le président bénéficie de trois mandats au lieu de deux dans la Constitution initiale. Il est élu « pour un mandat de 5 ans renouvelable deux fois». De manière astucieuse, Sassou a pérennisé son pouvoir de façon quasi illimitée par un simple jeu…référendaire salué par à peine 3% de la population, selon l’opposition congolaise. Car, en faisant simplement sauter le critère de l’âge limite, il ne pouvait prétendre à se représenter au bout du mandat qu’il convoite actuellement. D’où l’astuce des 3X5 ans. Mais qu’est-ce qui nous intéresse particulièrement dans toute cette affaire ? C’est la position officielle de la France.
Notons que ce referendum a été contesté par la communauté internationale, notamment par la France via le président de la République, François Hollande, sur qui la presse africaine, dont « Echos du Nord », est tombée à bras raccourcis il y a un peu plus d’une semaine, à cause de son commentaire sur l’idée de ce referendum. L’on avait alors cru qu’il définissait sa position et qu’il se plaçait aux antipodes des deux communiqués officiels du Parti socialiste (PS). Or, le 22 octobre dernier, un communiqué de l’Elysée repris par de nombreux organes de presse, dont « Le Monde », précise : « Le président de la République suit avec grande attention les évènements actuels en République du Congo. Il condamne toute violence et soutient la liberté d’expression. Il rappelle qu’il avait souhaité, lors de son discours prononcé à Dakar, le 29 novembre 2014, que les Constitutions soient respectées et que les consultations électorales se tiennent dans des conditions de transparence incontestables. »
Il faut souligner que dans l’histoire des relations franco-africaines, des souvenirs d’une contradiction aussi ouvertement exprimée entre la France et l’un des Etats du pré carre sont rares. On voudrait même se risquer à dire qu’ils sont quasiment inexistants si l’on excepte le cas Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire. Or, la France est en train de dire clairement à Sassou Nguesso qu’elle n’est pas d’accord avec sa mascarade. Autrement dit, l’Etat français ne reconnaît pas ce referendum. Comme on est si loin des appuis portés par la même France au même Sassou Nguesso pour le réinstaller au pouvoir en 1997. Il faut avouer, en décortiquant les termes de ce communiqué, que les carottes sont cuites pour Sassou. Et quoi qu’il fasse, la communauté internationale aura raison de lui. Et se braquera en fin de compte.
Mais ce communiqué va plus loin. Il rappelle aux pouvoirs de ce giron francophone que la France, primo, avait donné sa position le 29 novembre à Dakar. A celle-ci, il n’y a pas eu de modulation. Deuxio, qu’elle était pour « (…) que les Constitutions soient respectées et que les consultations électorales se tiennent dans des conditions de transparence incontestables».Tertio, et c’est ce qu’il faut conclure en lisant entre les lignes : la France officielle ne s’en départira pas et qu’elle restera ferme sur cette position. Quelle interprétation en faire ?
Tous les chefs d’Etats francophones dont les élections sont en perspective doivent, dès lors, comprendre qu’un processus électoral part de la confection des listes électorales à l’expression des citoyens dans les urnes. Aussi, des « consultations électorales » qui « se tiennent dans des conditions de transparence incontestables » exigent, en amont, un processus d’établissement du fichier électoral transparent et surtout consensuel. La mise en place de tous les mécanismes qui y concourent doit être transparente et consensuelle. Avis à sa petite majesté Ali Bongo Ondimba, qui a encore le temps de mesurer la gravité de la situation. Et à l’opposition gabonaise, si elle ne prend pas toute la mesure de la position d’Hollande, donc de la France.Voilà le grand coup d’Hollande au Congo-Brazza.