ENTRETIEN AVEC : Jean-Fidèle Otandault, le directeur général du Budget et des Finances publiques ( 1er Partie)
Propos recueillis par : Jean Michel Sylvain
« (…) Je remercie les PME d’avoir porté cette affaire devant les tribunaux (…) », déclare Jean-Fidèle Otandault, le directeur général du Budget et des Finances publiques, dans cette interview exclusive, dans laquelle les questions brûlantes du moment au plan économique et financier sont abordées.
Échos du Nord :Nous avons appris, il y a quelques heures, que les PME gabonaises, lasses d’attendre leurs créances, ont décidé de porter plainte contre l’Etat à Paris. Un signal supplémentaire de l’état critique des finances publiques. Que vous inspire cette démarche ?
Jean-Félix Otandault : Permettez-moi tout d’abord de vous remercier de me donner l’occasion d’éclairer nos usagers sur des questions qui concernent mon périmètre de compétence; initiative manifestement nécessaire, tant de nombreuses choses sont dites sur le budget et l’administration en charge du budget, sans que les contempteurs qui en sont à l’origine n’aient jugé utile de se rapprocher de nous, plutôt que de se livrer quotidiennement à un procès d’intention qui, en réalité, cache difficilement leur gêne de poser les vrais termes du débat sur la situation de nos finances publiques.
Revenant à votre question, je voudrais d’abord couper court en disant que cette démarche, qui est effective depuis quelques jours, ne saurait être interprétée comme vous voulez le sous-entendre. La démarche des PME est dictée par ce que je qualifierais de jurisprudentielle Guido Santullo. Elles ont observé qu’après que cet entrepreneur a saisi la cour arbitrale de Paris, l’Etat a commencé à honorer une partie de ses créances. Elles ont décidé d’agir de même. Je vais vous surprendre en disant que je remercie les PME d’avoir porté cette affaire devant les tribunaux. Cela nous permettra de voir clair sur la réalité de cette dette. On parle d’un encours de 350 milliards de FCFA, mais personne n’est encore en mesure de le certifier de manière incontestable. C’est pourquoi, sans attendre la plainte des PME, le ministre de l’Economie et celui du Budget ont pris un arrêté, le 2 novembre dernier, portant création d’un comité interministériel d’audit et de certification de la dette intérieure. Ce comité va se charger de recenser la totalité de la dette intérieure de l’Etat au 31 décembre 2014. Pour que l’Etat, par la suite, en connaissance de cause, trouve les moyens d’apurer totalement ces créances. Etant entendu que, pour que cela soit efficace, il faudra trouver une source de financement autre que les recettes régulières pour payer cette dette.
Échos du Nord :Vous parlez encore en termes d’audit, alors que l’ancienne direction générale du contrôle financier, sous votre responsabilité, en avait déjà réalisé. N’est-ce pas pour vous une façon de gagner du temps ?
Jean-Félix Otandault : Rires. Non, nous cherchons à être efficaces. L’arrêté 0038/MDDEPIP/MBCP auquel je viens de faire référence donne, dans son article 3, six mois à la commission pour mener ce travail. Ce temps peut paraître long, mais au regard de tout ce qu’il faut faire, à savoir recenser l’ensemble de la dette au 31 décembre 2014, s’assurer de la réalité du service fait sur le terrain, évaluer le coût réel des travaux…, six mois est un délai extrêmement court. Quant à la première partie de votre question, l’audit que j’ai effectivement dirigé ne concernait que les encours en instance de règlement au Trésor. Ce dont il est question ici concerne la dette non enregistrée, c’est-à-dire non engagée.
Je termine en disant que la démarche des PME est légitime. Nous avons besoin de PME fortes, elles ont également besoin de l’Etat en tant que principal donneur d’ordre. Vous verrez que très rapidement l’Etat et ses PME trouveront un accord sans que pour cela la justice soit obligée d’intervenir.
Échos du Nord : Certains hauts fonctionnaires donnent l’impression d’agir en électrons libres. Votre prédécesseur n’hésitait pas à faire des annonces qui relevaient au moins du ministre du Budget, sinon du Premier ministre, par leur incidence sur la dépense publique. Vous lui avez emboîté le pas. Le directeur général du budget et des finances publiques n’est-il pas sous la tutelle du ministre du Budget, voire du Premier ministre, chef de l’administration ?
Jean-Félix Otandault : Pour ce qui concerne cette question, elle me surprend ! J’apprends à travers vous qu’il me serait reproché de communiquer sur la situation de nos dépenses en lieu et place du ministre en charge du Budget et du Premier ministre. Je trouve cela d’autant plus surprenant que le ministre du Budget et des Comptes publics, qui est mon chef hiérarchique et sous l’autorité de qui j’ai plaisir à exercer mes fonctions, m’encourage à éclairer toujours plus l’opinion sur ces questions… Je crois tout simplement qu’il s’agit de rumeurs qui cachent des buts inavoués, puisque je crois entretenir d’excellents rapports avec mon chef et le respect du principe hiérarchique me conduit toujours à m’assurer que mes actes sont conformes aux instructions des plus hautes autorités.
Échos du Nord :En tant que directeur général du budget, vous avez une connaissance précise de l’état des finances publiques. Pourquoi l’Etat, en dehors des salaires et de la dette extérieure, ne parvient-il pas à honorer ses autres engagements ? L’entreprise Santullo a dû recourir à la justice française pour recouvrer ses créances, et partiellement. Les PME gabonaises viennent de lui emboîter le pas.
Jean-Félix Otandault : Dire que l’Etat ne parvient pas à honorer ses engagements en dehors des salaires et de la dette extérieure me semble être une déformation de la réalité.Bien sûr, il n’est jamais question dans vos colonnes et celles de certains de vos confrères des trains qui arrivent à l’heure. Vous ne vous intéressez qu’aux trains en retard. Si je comprends votre préoccupation sur le respect de nos engagements, sachez qu’elle n’est pas une préoccupation, mais une obsession pour notre gouvernement. Ainsi, la loi de finances 2015 consacrait 596 milliards au titre de l’investissement et la situation d’exécution laisse entrevoir un taux d’exécution de plus de 90% d’ici à la fin du processus de clôture budgétaire puisque, comme vous le savez, les engagements sont clos depuis le 9 novembre dernier.
J’aimerais profiter de l’occasion qui m’est donnée pour rappeler que l’exécution d’un crédit d’investissement nécessite une capacité d’absorption et des exigences précises en matière de procédure d’engagement-liquidation-ordonnancement. Il ne s’agit pas d’une consommation automatique. Les marchés doivent être passés dans le strict respect des dispositions du Code des marchés publics, mais dans le même temps nous observons que certaines conventions, irrégulières puisque n’ayant pas été approuvées, ont donné lieu à des prestations, exposant ainsi les prestataires concernés à une insécurité juridique, puis financière.
Ces mêmes prestataires, après avoir agi en toute illégalité, viennent ensuite se prévaloir d’une dette de l’Etat à leur égard. Mais à la vérité, quel particulier peut accepter qu’un entrepreneur, aussi compétent fût-il, vienne effectuer des travaux à son domicile, sans avoir eu la possibilité de comparer des offres concurrentes, sans avoir accepté préalablement le devis, sans que le marché n’ait été approuvé par le propriétaire des locaux et sans avoir laissé à ce même propriétaire la possibilité de s’assurer préalablement qu’il disposait de ressources suffisantes pour financer la prestation ? Dans cette hypothèse, peut-on sereinement parler d’une dette qu’aurait ledit particulier à l’égard de cet entrepreneur imprudent ? La réponse est aisée. Mais pourquoi voudrait-on imposer à l’Etat ce que chacun d’entre nous refuserait pour son domicile ?
Ce cas de figure n’est pas le seul cas d’irrégularité qui conduit bien souvent à des difficultés de paiement. Mais j’aimerais que vous preniez la mesure des conséquences que cela entraîne pour nos finances publiques : la personne qui a effectué une prestation sans que des crédits n’aient été prévus, sans qu’une convention régulière n’ait été élaborée et qui par la suite, par des mécanismes de pression, prend l’opinion à témoin pour réclamer le paiement de « sa dette » et qui finit par être payée, met en difficulté la trésorerie et grève d’autant plus le niveau de nos instances au Trésor.La conséquence est qu’au final, puisque l’enveloppe est la même et que nos ressources ne sont pas infinies, d’autres compatriotes qui disposent de conventions régulières et détiennent, envers l’Etat, de véritables créances, deviennent les victimes collatérales des précédents.
Ce système où des hauts responsables de nos administrations ont sciemment incité ou autorisé des entrepreneurs à réaliser des travaux non régulièrement approuvé ça duré des décennies et aujourd’hui encore, j’observe des survivances de cette pratique. Nous pourrions en rire si cela n’emportait pas des conséquences dommageables pour nos finances publiques, par un effet d’éviction de la bonne dépense par la mauvaise dépense.
J’aimerais aussi dire, pour le regretter, l’effet dévastateur pour nos finances publiques du recours quasi systématique, durant de nombreuses années, à l’entente directe pour des montants conséquents ; ce qui a pu entraîner des surfacturations dans la mesure où les conditions de la concurrence n’étaient pas réunies. Cela s’est vu dans de nombreux dossiers, y compris ceux qui font régulièrement l’actualité.
Malgré toutes ces difficultés, l’Etat finit toujours par honorer ses engagements. En ce qui concerne nos engagements en matière de transfert par exemple, ce que vous ne dites pas c’est qu’en matière de remboursement de la TVA, l’Etat a fait un effort de plus 140 milliards à fin octobre 2015 ; ce que vous ne dites pas c’est que sur les ordonnances de 2014 et celles antérieures, l’Etat a fait au total un effort de plus de 300 milliards ; ce que vous ne faites pas, c’est demander à toutes ces personnes qui réclament le paiement de « leurs dettes » s’il s’agit de dettes qui s’appuient sur des conventions régulièrement approuvées. Ne pas le faire ce serait non seulement manquer à votre devoir professionnel, mais ce serait admettre également que quelqu’un vienne faire des travaux conséquents chez vous, sans votre autorisation et en faisant fi de vos capacités financières, pour ensuite évoquer à votre encontre le paiement d’une obligation qui n’a pas d’exigence juridique préalable.
Mais comme l’Etat est bonne mère, nous avons décidé de considérer le fait qu’il y a quand même eu effectivement des prestations et que nous ne pouvons ignorer totalement l’investissement financier réalisé par ces pères et mères de famille. Mais vous conviendrez avec moi que même dans cette hypothèse heureuse pour eux, il est nécessaire de procéder à des vérifications sur la réalité et la qualité du service fait, pour éviter à l’Etat et donc au contribuable, d’être floué deux fois par ces personnes qui en principe ne peuvent se prévaloir de leurs propres turpitudes.
Échos du Nord :Dans le même ordre d’idées, plusieurs administrations n’arrivent pas à engager la totalité de leurs budgets de fonctionnement. Cette année, par exemple, à quelques jours de la clôture des engagements, seulement 15% desdits budgets auraient été engagés. N’est-ce pas le signe d’une faillite de l’Etat?
Jean-Félix Otandault : J’aimerais vous rappeler l’une des innovations essentielles de la Budgétisation par objectifs de programme(Bop) dans laquelle nous sommes depuis le 1er janvier dernier : le directeur général en charge du budget ne procède plus aux engagements pour l’ensemble de l’administration comme cela avait cours auparavant. Il y a eu une déconcentration de la fonction, puisque chaque programme bénéficiant de crédits engage librement ses crédits.
Sans admettre le taux que vous avancez, qui est bien plus faible que la réalité, je crois plutôt que s’il y a eu des difficultés pour certains à procéder aux engagements, cela résulte principalement de deux facteurs : d’une part, malgré l’effort déployé en termes de formations, plusieurs gestionnaires de crédits ont rencontré des difficultés à s’acclimater à la nouvelle procédure et d’autre part, la révision en cours d’année de nos hypothèses de cadrage macroéconomique et budgétaire qui a conduit à l’élaboration d’une loi de finances rectificative, n’a pas non plus facilité les choses dans ce sens. Toutefois, avant la clôture des engagements pour l’exercice 2015, le taux d’engagement global des dépenses budgétaires n’était pas de 15% comme vous l’affirmez, mais de plus de 80 %. Ce niveau sera encore plus élevé, après avoir procédé à l’actualisation de nos données, dans le cadre de la procédure de clôture budgétaire en cours.
Par ailleurs, je vous invite à faire preuve de responsabilité, car les mots ont un sens et en tant que « quatrième pouvoir », la presse n’aurait aucun intérêt à égarer l’opinion. Lorsqu’on évoque avec légèreté une prétendue faillite de l’Etat, on feint d’oublier qu’un exemple récent, qui s’est produit sur un autre continent, nous a donné une idée assez précise de ce que pourrait être un Etat en faillite ou au bord de la faillite. J’observe simplement qu’un Etat n’est pas en faillite lorsqu’il paie facilement les bourses de ses étudiants ; un Etat n’est pas en faillite lorsqu’il honore ses engagements vis-à-vis de ses fonctionnaires toutes les fins de mois ; un Etat n’est pas en faillite lorsqu’il construit des hôpitaux supplémentaires et consacre près de 600 milliards, soit près du tiers de son budget à l’investissement (LFR 2015) ; un Etat n’est pas en faillite lorsqu’il consacre près de 400 milliards dans le projet de lois de finances 2016 aux dépenses à caractère social. Un signe avant-coureur ou confirmatif de la faillite d’un Etat est qu’il est mis sous régime d’ajustement structurel, ce qui n’est manifestement pas le cas du Gabon.
Maintenant, il est vrai que tout n’est pas parfait. Nous avons pris l’habitude de vivre avec un baril de pétrole à près de 100 dollars sans jamais avoir réalisé la diversification de notre économie. Aujourd’hui, nous avons parié sur un baril à 42 dollars, soit près de la moitié. Il faut apprendre à vivre avec moins en faisant mieux. J’avoue que c’est un défi de taille. C’est aussi cela la performance.
Échos du Nord :Vous avez pris vos fonctions en fanfare, en organisant une grand-messe avec l’ensemble de vos collaborateurs. On parle d’un effectif de 1 000 personnes. Pourtant, rien de significatif ne semble avoir changé au plan des « us et coutumes » déviants ayant cours à la direction générale du budget, à savoir « le versement des dessous de table » pour obtenir un service. Pourquoi?
Jean-Félix Otandault : Rires… Il y a un peu de confusion et beaucoup d’inexactitude dans votre question. Je vous invite à méditer ces mots attribués à Lao Tseu : « Ceux qui savent ne parlent pas, ceux qui parlent ne savent pas. »En l’occurrence, ceux qui ont assisté à ma prise de fonction, c’est-à-dire à la cérémonie de passation de service, vous diraient qu’elle était empreinte de sobriété, probablement d’émotion mais surtout de gravité pour ma part, tant je prenais la mesure des lourdes responsabilités que le chef de l’Etat avait décidé de me confier quelques semaines auparavant.
En revanche, en tant que responsable d’une nouvelle administration résultant de la fusion de trois anciennes directions générales, il m’a semblé important d’aller, quelques mois plus tard, à l’occasion des nominations qui sont intervenues le 16 juillet dernier, à la rencontre des responsables nouvellement promus, dans les locaux de l’IEF. Il n’y a là rien de révolutionnaire ; n’importe quel chef d’entreprise ou responsable de nouvelle administration aurait agi de la sorte car le contact est aussi important en matière de management. Par ailleurs, vous conviendrez avec moi qu’il y a à Libreville des lieux qui recèlent beaucoup plus de faste que le cadre studieux et quasi austère de l’Institut de l’économie et des finances.
Pour ce qui concerne les chiffres que vous avancez sur les effectifs, l’honnêteté intellectuelle devrait nous inviter à observer que la DGBFIP, bien que création récente, a reçu de fait les effectifs existant déjà dans les directions générales qui avaient disparu. Il aurait été techniquement risqué, pour la continuité du service public, politiquement inconcevable et moralement choquant, d’opérer des choix subjectifs et des ajustements sur les effectifs, sans rechercher auparavant des solutions qui permettraient d’utiliser de manière plus efficiente nos agents. C’est pourquoi j’ai commandité un audit sur nos ressources humaines, pour avoir une idée précise du profil et des compétences de chacun, afin de permettre à chaque agent d’être à sa juste place, pour contribuer à l’effort collectif. Cet audit est toujours en cours et un travail se fait avec le ministère en charge de la Fonction publique, pour nous aider dans ce sens, dans le cadre des mesures induites par la réforme des DCRH.
Par ailleurs, les accusations que vous portez sont très graves et j’aurais aimé qu’en tant que journaliste, vous alliez jusqu’au bout de votre démarche en apportant des preuves de ce qui est avancé. Sans preuve et donc sans fondement, porter de telles accusations revient ni plus ni moins à verser dans la généralisation facile et à entretenir l’amalgame. Or, si l’amalgame a l’avantage de la simplicité, il a également le défaut de toutes les simplifications. Si vous souhaitez réellement nous aider, apportez des preuves au lieu de stigmatiser l’ensemble des agents en activité à la DGBFIP, qui sont, pour la plupart, des femmes et des hommes honnêtes qui, comme vous, se battent chaque jour pour nourrir leurs familles.
Échos du Nord :Pourtant, certains responsables d’unités opérationnelles disent « négocier avec les fournisseurs» le paiement en liquide de certains engagements, en étroite relation avec certains directeurs centraux des affaires financières (DCAF), qui sont des agents de votre direction générale.
Jean-Félix Otandault : Aidez-moi dans ma tâche déjà difficile, en m’apportant les preuves de ce que vous avancez (…). J’aimerais que mes collaborateurs soient exemplaires en tous points, mais vous ne pouvez pas me demander de les juger sur le fondement de simples dires d’agents des administrations sectorielles qui, visiblement, se vantent d’encourager la prévarication. Nous sommes dans un Etat de droit et dans un Etat de droit, les faits que vous alléguez doivent pouvoir être traités sereinement par la justice, sur le fondement d’éléments probants concrets.
Article publié le 30 Novembre 2015