
Par : Jonas MOULENDA
Monsieur le Président,
Cela fera bientôt un an que votre pouvoir m’a contraint à rester loin de ma patrie, loin de mon Gabon natal, loin des miens.
Chaque jour, dans ma solitude, mes pensées vont vers mon pays, vers ma famille, vers mes amis et vers tous mes autres compatriotes. « L’hirondelle vole très haut au ciel, mais ses pensées sont à terre », disait mon grand-père.
Souvent, je parle à mes compatriotes sans ouvrir les lèvres. Chaque soir, avant de me coucher, je leur confie ma colère, ma révolte, mes rêves et mes espoirs. Je suis triste de n’être pas au milieu d’eux. Je suis loin du pays, mais je sais qu’ils souffrent et n’ont qu’inquiétude comme seul horizon. Personnellement, je n’ai pas besoin d’être là-bas pour le savoir. Mon aïeul disait : « Même si on ne va pas où les bœufs s’abreuvent, on sait qu’il n’y a pas de gobelets.»
Les Gabonais finiront par vaincre votre pouvoir tyrannique. C’est le sens de l’Histoire. Aucune force ne peut résister à la volonté affichée et décidée d’un peuple uni. Vos concitoyens souffrent des conditions de vie de plus en plus précaires. Vous êtes au pouvoir rien que pour réaliser vos rêves d’enfants gâté. Vous ne portez pas les prémices des solutions aux problèmes de vos compatriotes. « Si le margouillat connaissait le médicament de la rougeole, son corps ne serait pas tacheté », disait mon papy.
Mimétique et cynique que vous êtes, vous affirmez dans certaines de vos déclarations que le Gabon a fait un grand bond en avant sous votre règne et que le Gabonais lambda vit mieux aujourd’hui qu’hier. Vous êtes ridicule et pitoyable ! Si le Gabon était un océan où tout le monde baigne dans le bonheur, vos piliers politiques, parmi lesquels vos proches parents, ne quitteraient pas votre barque. Mon grand-père disait : « Si tu vois le poisson sortir de l’eau, c’est qu’il fait chaud là-dedans. »
Vous vous fourvoyez en partie à cause de votre cénacle. Certains dirigeants ont souvent mal fini parce qu’ils avaient fait confiance à des hommes sans foi ni loi, des hommes sans convictions, des hommes sans passé, des hommes qui avaient un présent sans futur, des hommes arrivés accidentellement dans l’histoire de leur pays. Vous prenez encore les choses à la légère parce que vous refusez de voir le danger. Mon aïeul m’apprenait que « l’antilope qui n’a pas encore vu le lion a sa manière de courir ».
Le Gabon est une nation reposant sur des fondations anciennes et profondes, des principes qui font notre cohésion, à savoir l’hospitalité et l’unité. L’homme d’Etat véritable sait qu’il est inutile de venger les maux, mais qu’il lui appartient de les guérir. Notre pays a besoin d’être sauvé, et non d’assister à des règlements de comptes. Vous ne construirez pas le Gabon avec des élans revanchards. « Le caillou de la colère tue rarement l’oiseau visé », disait mon papy.
Une nation est composée d’éléments disparates, souvent marqués par une longue histoire d’hostilités. La vraie mission d’un homme d’Etat est de proposer un projet commun suffisamment élevé pour dépasser des contradictions et les intérêts particuliers, ethniques ou religieux.
Mon jugement n’est pas une sentence, mais je constate que vous manquez de caractère. C’est la raison pour laquelle vous êtes un mauvais dirigeant. Les Gabonais, désabusés, n’attendent plus rien de vous. D’ailleurs, mon grand-père disait : « On ne cherche pas le remède des doigts malades chez le lépreux. »
J’ai eu l’opportunité d’approcher le monde politique très jeune dans le cercle familial. Je n’ai jamais assumé de responsabilités pour mon pays, mais j’ai appris que la politique est l’art d’harmoniser les divergences qui surgissent dans une société humaine. Elle est l’art du compromis et de l’équilibre par excellence. Au lieu de reconnaître vos insuffisances, vous cherchez des boucs émissaires. Finalement, je donne raison à mon aïeul, qui disait : « Celui qui ne sait pas danser trouve le sol bancal. »
Si vous aspirez à devenir un homme d’Etat, vous devez apprendre à gérer les contradictions, à être un homme des solutions conciliatrices et un élément de convergence. Vous devez avoir la capacité de dépasser les particularismes, en développant un discours qui va plus loin que les clivages socio-politiques, une disposition à écouter, de la tolérance et de la patience devant les contradictions. Ce n’est pas en éliminant vos contradicteurs que vous amènerez tout le peuple à vous suivre dans votre aventure politique. « L’abeille qu’on met de force dans une ruche ne fait pas de miel », m’expliquait encore mon papy.
Monsieur le Président, je vous ai adressé cette nouvelle philippique avec sincérité, car j’ai des enfants. Le monde que vous voulez construire dans vos rêveries n’est pas le monde que je veux pour ma progéniture. Personne ne pourra diriger tranquillement le Gabon avec le discours de l’exclusion. S’il est trop tard pour vous de reconquérir la confiance de vos compatriotes, il ne l’est pas, en revanche, pour renoncer à briguer un second mandat. « Faire demi-tour ne donne pas de maux de rein au margouillat », disait mon aïeul.