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ENTRETIEN AVEC : Jean-Fidèle Otandault, le directeur général du Budget et des Finances publiques (Suite et fin)

ENTRETIEN AVEC : Jean-Fidèle Otandault, le directeur général du Budget et des Finances publiques (Suite et fin)
Jean Fidèle Otando
Jean Fidèle Otando

Propos recueillis par : Jean Michel Sylvain

Jean-Fidèle Otandault : « L’ASI (avance de solde pour investissement), … qui a réformé l’ancien système des VTR (véhicule à titre remboursable) ….est assise sur un mécanisme de financement qui ne constitue pas en principe une dépense supplémentaire…. ».

Cette déclaration du directeur général du budget et des finances publiques à la rédaction, doit susciter un débat entre spécialistes des finances publiques du Gabon. Quant aux fonctionnaires, ils ont la possibilité d’arbitrer ledit débat en confrontant l’ASI à l’épreuve des faits.

 Echos du Nord : Le reproche qu’on fait à l’actuelle direction générale du budget et des finances publiques, y compris au Parlement, où l’on vote les lois, est d’être juge et partie. Comment, effectivement, peut-on être initiateur des appels d’offres et en même temps valider les travaux effectués? C’est sans doute le meilleur moyen de corrompre les gens. Comment interprétez-vous une telle réforme qui va à l’opposé des pratiques des bailleurs de fonds internationaux en matière de financement des infrastructures ?

J.F.O : J’ai commencé mon propos en saluant votre initiative puisqu’au lieu de vous en tenir à ce qui vous a été rapporté, vous avez pris soin de vous rapprocher de nous, pour obtenir des éclaircissements sur un certain nombre de préoccupations. J’ai répondu favorablement à votre demande car nous n’avons rien à cacher. J’invite donc toutes les personnes qui auraient des appréhensions sur ce qu’est la DGBFiP ou sur les raisons qui ont conduit à sa création, à se rapprocher de nous, pour avoir les éclairages pertinents.

Pour ce qui concerne le rôle et les missions organiques dévolues à la DGBFiP, je vous recommande de procéder à un bentchmarking et vous vous apercevrez que nous sommes dans le sens de l’histoire : en Côte d’Ivoire par exemple, il existe une Direction générale qui a le même rôle et les mêmes missions que celles dévolues à la DGBFiP. Vous savez comme moi les louanges que dressent les bailleurs de fonds aux réformes intervenues, ces dernières années, dans ce pays. Personne ne se risquerait à remettre en cause les efforts déployés par ce pays pour remettre en état de marche son économie et améliorer la situation de ses finances publiques, après avoir connu les affres de la guerre.

Sous d’autres cieux, en France, une réforme intervenue en 2013 a conduit à la fusion des directions générales des impôts et de la comptabilité publique. Si l’on ne comprend pas le but d’une réforme, il est normal de la contester ensuite. Qu’est ce qui en France a conduit à cette fusion ? La France est un pays qui finance l’essentiel de son budget par l’impôt sur les particuliers et les entreprises. Or dans un contexte économique et budgétaire de plus en plus contraint, il devenait indispensable de sécuriser au maximum leur principale source de revenu et offrir aux usagers un interlocuteur unique dans ce domaine. Il devenait par conséquent inadmissible de continuer à maintenir deux entités distinctes, avec des systèmes d’information distincts, qui constituaient autant de failles qui permettaient à certains usagers de passer au travers des mailles du filet. Sans insister sur les retombées en termes de mutualisation, cette réforme majeure a pu être menée indépendamment de toute considération politique.

Or compte tenu d’un état d’esprit qui a cour dans notre pays et qui conduit certains responsables à n’envisager les responsabilités administratives qu’en terme de pouvoir ou de pouvoir-supposé, une telle réforme (fusion des impôts – en charge de l’assiette – et comptabilité publique – en charge du recouvrement et du paiement des dépenses) n’aurait jamais pu voir le jour au Gabon, puisque certains n’y auraient vu qu’une concentration du pouvoir fiscal et des prérogatives du comptable entre les mains d’une seule personne. Envisager une réforme sous ce prisme conduit nécessairement à des conclusions erronées.

Pour revenir au Gabon, notre pays, permettez-moi de préciser les éléments qui ont conduit à la création de la DGBFIP par la fusion des trois anciennes directions générales qui intervenaient principalement dans la phase administrative de la dépense.

Il y a encore un an, lorsqu’un opérateur économique souhaitait obtenir un marché public, il devait s’assurer de l’aval de trois directions générales distinctes : Budget, Contrôle des ressources et des Charges publiques, Marchés publics. Pour obtenir le paiement de la prestation réalisée, il devait encore s’armer de patience et de persévérance face aux mêmes directions générales, avec des expériences de rejet de dossiers incompris, sans que personne ne soit jamais responsable. Admettez que ce spectacle kafkaïen, d’une complexité byzantine, aurait pu prêter à sourire si cela n’emportait pas des conséquences néfastes pour notre investissement, alors que dans le même temps nous souhaitons justement attirer les investisseurs et développer notre pays à travers des projets structurants. C’est donc pour mieux répondre aux préoccupations des usagers, confrontés à un circuit de la dépense trop complexe, lent et source de beaucoup d’incompréhensions, autant de faiblesses qui entravaient la bonne exécution des programmes d’investissement et le bon fonctionnement des services publics, que les plus hautes autorités ont décidé de la création de la DGBFIP, pour une plus grande synergie entre les entités du circuit de la dépense chargées de relayer les instruments induits par la réforme budgétaire et pour l’allègement du circuit de la dépense, avec désormais un seul interlocuteur dédié au traitement de la dépense publique dans sa phase administrative : approbation des conventions et marchés, certification du service et contrôle de la dépense.

E.N : Vous avez annoncé, il y a quelques mois, que l’audit que vous avez diligenté a permis de débusquer plus de 500 milliards de F CFA de surfacturation. Pourquoi aucune procédure judiciaire n’a été engagée jusqu’à présent contre ces entrepreneurs qui voulaient « escroquer » l’Etat ?

J.F.O : L’audit réalisé a porté sur des instances publiques plus de 2 000 milliards. Sur ce montant il y a eu plusieurs constats. Le travail effectué a mis en évidence des pratiques consistant à mettre des crédits à disposition au Trésor, pour ne pas les perdre et les utiliser coûte que coûte au cours des exercices ultérieurs. Faut-il rappeler que les crédits budgétaires non utilisés doivent en principe être supprimés préalablement à l’élaboration de la loi de règlement à soumettre au Parlement. Cette pratique a généré d’importants arriérés au niveau des finances publiques. L’examen préliminaire a permis de détecter près de 700 milliards de crédits budgétaires ordonnancés qui n’avaient plus d’objet et qui pouvaient constituer une source potentielle de gâchis.

Permettez-moi de préciser à ce stade, qu’il ne s’agissait pas de surfacturation pour ce précédent audit.

Toutefois sur la base des instances régulièrement ordonnancées au profit des PME, nous avons auditionné près de 400 entreprises et à l’issue de ces séances de travail, des indices concordants ont permis de déceler de nombreux cas de surfacturation. Cela a conduit les services à établir une liste d’entreprises à surveiller particulièrement.

En revanche j’aimerais préciser que le travail d’audit vise à faire une photographie précise d’une situation donnée. Il ne m’appartient pas de me prononcer en lieu et place des instances juridictionnelles. Je ne me sens ni l’envie, encore moins la légitimité de le faire. Je crois cependant qu’il faut savoir laisser la justice faire son travail sereinement et cela demande du temps.

E.N : Vous avez dit avoir réglé la dette intérieure envers les PME gabonaises. D’après nos informations, seules les entreprises acceptant de donner des pots-de-vin ont été payées. Les autres, malgré la convention signée par vous-même et le directeur général de la dette, ne sont pas toujours entrées en possession de leur dû. Ces informations sont-elles exactes ? Que doivent faire ces entreprises pour être payées ?

J.F.O : La DGBFiP intervient exclusivement sur la phase administrative de la dépense publique. Le règlement effectif ne dépend pas de ma compétence. Mais j’ai évoqué précédemment des raisons qui peuvent conduire à grever notre trésorerie par un effet d’éviction de la mauvaise dépense sur la bonne dépense.

E.N : Vous venez d’annoncer une nouvelle initiative, à savoir l’avance de solde pour investissement (ASI) pour les fonctionnaires. L’opinion reste sceptique quant à l’aboutissement de cette mesure au regard de l’état des finances publiques. Quelle garantie pouvez-vous donner aux fonctionnaires à ce sujet?

J.F.O : Une fois, de plus je souhaiterais vous remercier de me donner une occasion supplémentaire de tordre le cou aux rumeurs et contre-vérités entendues ici et là à ce sujet.

Sachez tout d’abord que l’ASI, instituée par le Décret n° 0405/PR/MBCP du 20 août 2015 qui a réformé l’ancien système des VTR (véhicule à titre remboursable) pour élargir les possibilités de financement et rendre l’aide de l’Etat accessible au plus grand nombre, est assise sur un mécanisme de financement qui ne constitue pas en principe une dépense supplémentaire. J’insiste sur ce fait : le financement de l’ASI ne constitue pas une dépense supplémentaire.

En réalité, le système de VTR s’appuyait sur un compte qui avait été doté de crédits initialement, mais qui, par la suite, s’autoalimentait. La dotation initiale a permis de prêter de l’argent à des compatriotes et les remboursements ont permis de renflouer ce compte pour pouvoir prêter à d’autres agents de l’Etat. Ce compte existe toujours dans les livres du trésor et c’est lui qui permettra de financer l’ASI. Maintenant, rien n’interdit à l’Etat, s’il le souhaite, de renforcer ce compte dans les prochains mois ou le prochaines années, compte tenu de l’élargissement potentiel du nombre de bénéficiaires. Toutefois, dans l’immédiat, nous pouvons très bien nous accommoder des crédits disponibles sur le compte prévu à cet effet, pour débuter les opérations dès la fin de ce mois. Par ailleurs, nous travaillons actuellement avec les services de l’ANINF pour moderniser et rendre le plus fiable possible le système d’information sur lequel s’appuie l’ASI. Dans la même occurrence, un partenariat avec la Caisse des dépôts et consignations permettra de moderniser encore plus le dispositif et apporter, au besoin, les corrections qui s’avèreront nécessaires.

E.N : Quelles en seront les modalités pratiques et à compter de quelle date ?

J.F.O : L’obtention de l’aide repose sur 4 étapes :

Première étape : Constitution et dépôt des dossiers

  • Une lettre motivée adressée au DGBFiP ;
  • Une copie légalisée de la carte nationale d’identité (CNI) ou du passeport en cours de validité ;
  • Une attestation médicale de moins de trois mois délivrée par un médecin inscrit au tableau de l’ordre national des médecins ;
  • Une attestation de présence au poste délivrée par l’autorité compétente indiquant la date de mise en retraite ;
  • Le relevé d’identité bancaire du bénéficiaire ;
  • Une fiche de visualisation de situation administrative.

Les dossiers peuvent être adressés par voie postale ou déposés au service courrier de la DGBFiP.

Deuxième étape : Examen des dossiers

  • Il s’agit de s’assurer notamment, que toutes les pièces requises sont fournies et que la capacité d’endettement des ayants droit n’est pas obérée et enfin, qu’il leur reste une période d’activité leur permettant de rembourser intégralement l’avance à consentir.

Troisième étape : Traitement des dossiers

  • Les dossiers rejetés font l’objet d’une notification aux intéressés.
  • Les dossiers retenus font l’objet d’une programmation de traitement qui prend en compte les plafonds mensuels.
  • En tenant fidèlement compte de la programmation de traitement, le Bureau des Soldes Fonctionnelles met en place les échéanciers de remboursement, prépare les instruments de règlement qu’il soumet à la sanction du DGBFiP.

Quatrième étape : Transmission à la Caisse de Dépôts et de Consignations (C.D.C.) pour paiement et suivi.

E.N : Bien que peu de gabonais le sachent, vous êtes originaire de l’Ogooué-Maritime. Pensez-vous que votre nomination à vos fonctions actuelles est un clin d’œil à l’endroit des populations de cette province à la veille de l’échéance présidentielle à venir ?

 J.F.O : Je ne le pense pas.

Il n’existe nulle part dans nos textes qu’on peut nommer un directeur général du budget et des finances publiques pour la province de l’Ogooué-Maritime ni pour une autre province il me semble. Je dirige une administration à compétence nationale. Cela signifie qu’une question relevant de mes attributions et qui se poserait à Mayumba, à Lastoursville, à Makokou ou à Oyem, aurait pour moi la même valeur et requerrait de facto les mêmes exigences en terme de traitement.

Cependant comme vous l’avez souligné, je suis un fils de l’Ogooué-Maritime. Port Gentil est ma ville natale, j’y ai donc un encrage familiale puisqu’une grande partie de ma famille s’y trouve. Vous admettrez donc que d’un point de vue familial et personnel, je ne peux rester insensible aux préoccupations des populations de cette partie du territoire national.

Par ailleurs, au titre de mes responsabilités associatives et dans le cadre de mon engagement politique, je poursuis des activités à Port-Gentil et ailleurs dans la province pour lui rendre ce qu’elle m’a donné.

 E.N : Votre mot de la fin.

J.F.O : Vous médias avez un rôle essentiel dans une société. Votre rôle est d’éclairer l’opinion dans un souci de justice et de vérité. Il arrive fréquemment d’observer qu’au Gabon on rend l’Etat responsable des dix plaies d’Egypte. En matière de Dette aux PME, je vous invite fortement à demander aux prestataires qui viennent vous voir, pour faire état de dettes de l’Etat à leur égard, s’ils ont réalisé leur prestation sur le fondement de conventions régulièrement approuvées. C’est souvent à ce niveau que se situe le problème avec de nombreuses PME. Contrairement à bon nombre de leurs responsables qui jettent trop facilement l’Etat en pâture sur la place publique, nous nous gardons d’en faire autant. Cela ne signifie pas que nous avons rien à leur reprocher.

Article publié le 7 Décembre 2015

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