EDITORIAL : Le dialogue pour qui ? Et pourquoi ?

Posté le 14 Déc 2015
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Désiré Ename

Désiré Ename

On entend tout depuis que les forces de l’opposition, certaines membres du Front de l’opposition pour l’alternance (Front) et d’autres de l’Alliance pour le changement et la reconstruction (ACR) ou de l’Union des forces de l’alternance (UFA), ont communiqué sur la tenue d’un dialogue national inclusif et sans tabou. Qu’ont dit les signataires de cette déclaration du 4 décembre ?

Qu’ils proposent « la création par voie réglementaire d’un cadre spécial d’organisation d’un dialogue national inclusif sans tabou avec la société civile, sous la supervision des facilitateurs internationaux et dont les actes seront exécutoires». Et non pas par le Conseil national de la démocratie (CND). Pourquoi ? Parce que « l’article 2 nouveau de la loi n° 13/96 du 15 avril 1996 modifiée, portant création du Conseil National de la Démocratie dispose expressément que « Le CND exerce ses missions en donnant des avis ». Autrement dit, le CND n’a aucun pouvoir de décision. » Et vu le caractère de la crise qui est multiforme : politique, économique, sociale, culturelle et morale, « le débat démocratique qu’impose cette situation de crise ne saurait se limiter au seul face à face entre le pouvoir et l’opposition ».

Dans la suite de cette communication, les partis signataires ajoutent : « Toutefois, si ce dialogue devait avoir lieu au sein du CND, celui-ci doit connaître préalablement la modification de sa composition et de ses missions et prérogatives, notamment : 1) l’intégration de la société civile pour prendre en compte l’ensemble des composantes du peuple gabonais ; et 2) la modification de l’article 2 de la loi 13/96 du 15 avril 1996 modifiée, portant création du CND pour en faire un organe décisionnel dont les décisions s’imposent à tous. » Et pourtant ce communiqué a le mérite d’être clair de bout en bout, en ce sens qu’il a présenté avec forces détails les tenants et les aboutissants de ce dialogue qui fait tant jaser.

A ce qu’il ressort, il est clairement indiqué que les partis politiques signataires ont circonscrit le cadre dans lequel ce dialogue doit avoir lieu. Proscrivant de fait le CND dans sa formulation actuelle. Rendant même ce cadre hypothétique. Et là encore, la fermeté de l’opposition est claire : elle n’ira à aucun dialogue si le cadre qui doit l’accueillir ne répond pas à leurs préalables. A partir de là, l’amalgame entretenu sur cette déclaration qui, pourtant, a été clairement énoncée est inexplicable. Indubitablement, l’avoir fait ne peut que cacher des buts inavoués.

Le dialogue pourquoi ? Plus qu’une simple idée, la nécessité du dialogue ne date pas de ce mois de décembre 2015. Elle n’a pas non plus pour initiateur les partis de l’opposition signataires du communiqué du 4 décembre dernier. Vouloir le faire admettre relève de l’intox. Pour faits. La crise prend une escalade le 13 novembre 2014. Ce jour-là, le pouvoir tente d’empêcher le dépôt des plaintes conjointes des membres de l’opposition et celle de Luc Bengono Nsi sur l’authenticité de l’acte de naissance de sa petite majesté Ali Bongo Ondimba établi au 3e arrondissement de Libreville. Des émeutes vont s’en suivre. Elles interpellent la communauté internationale. Dès le 18 novembre, le chef de mission de la représentation sous-régionale des Nations unies appelle les différentes parties à la table des discussions. L’opposition regroupée au sein du Front restera ferme et refusera. Le 20 décembre 2014, le meeting du même Front à Rio est interdit. Il donne lieu à de nouvelles émeutes. Elles se soldent par un mort, dont la dépouille est toujours dans une morgue de Libreville. Une fois de plus, la communauté internationale montera au créneau pour inviter les parties au dialogue. Un communiqué de l’Union européenne publié aux lendemains de ces manifestations dira : « La Délégation de l’Union européenne déplore les violences qui ont résulté de la manifestation du 20 décembre et entraîné la mort d’un étudiant (…) témoigne sa sympathie aux personnes qui en ont été victimes, ainsi qu’à leurs familles. Elle appelle les autorités gabonaises à tout mettre en œuvre pour que la lumière soit faite sur ces événements. ». Ce communiqué concluait : « L’Union européenne appelle toutes les parties à la retenue, réaffirme son attachement à un dialogue politique ouvert et constructif dans l’intérêt du peuple gabonais, et reste attentive à l’évolution de la situation socio-politique. »

A la suite de ce communiqué, la réponse de l’opposition intervient le 31 décembre, par la voix de son leader, Zacharie Myboto, président du Front (à cette période) et de la première force politique de cette opposition, l’Union nationale (UN). Il présentera les mobiles de la crise et l’instigateur qui en est aussi le facteur bloquant : sa petite majesté Ali Bongo Ondimba. Pourquoi ?

En 2012, l’opposition et la société civile se réunissent à Paris autour des conseillers du président de la République française pour présenter la situation du Gabon. A l’issue de cette rencontre, deux faits majeurs l’émaillent : l’Elysée fait un communiqué dans lequel il spécifie à Ali Bongo Ondimba, en visite en France quelques jours plus tard (5 juillet), les fondamentaux qui guident les relations de la France et les Etats, dont le respect des droits de l’Homme. L’autre fait majeur sera l’appel de l’opposition pour la tenue d’une conférence nationale souveraine comme solution à la sortie de crise. Sa petite majesté fera fi de tout cela. Il snobera et la position de l’Elysée et l’appel de ces assises, pourtant nécessaires dans le contexte. Il prétextera que le Gabon n’est pas en crise. Questions essentielles : qui a usurpé l’élection en août 2009 ? ABO. Qui a corrompu tout l’appareil judiciaire, en le mettant sous son joug ? ABO. Qui a interrompu le dialogue social avec les partenaires sociaux ? ABO. Qui a mis le pays tout entier en insécurité et en coupe réglée ? ABO. Qui a mis entre parenthèse les droits constitutionnels des citoyens dont ses droits inaliénables ? ABO. Qui est à l’origine de la gouvernance qui plonge le pays aujourd’hui dans les abysses, avec une dette faramineuse, présentant des maquettes en lieu et place des réalisations ? ABO. Quand tout cela dure depuis six ans, n’est-on pas en crise ? Lorsqu’il en est ainsi, quelle solution autre que des discussions sanctionnées par des décisions fermes qui s’imposent à tous peut-on apporter ?

Qui a reculé ?

A ce que l’on sait, les partis de l’opposition signataires de la déclaration du 4 décembre, au plus fort de la crise, ont marqué leur esprit d’ouverture à l’appel de la communauté internationale, mais n’ont pas reculé devant les préalables. La bonne question aujourd’hui est : qui a reculé ?

Sa petite majesté Ali Bongo Ondimba s’était catégoriquement fermé à toute idée de dialogue avec l’opposition. A la nécessité exprimée par celle-ci sur la tenue d’une conférence nationale souveraine, en guise de réponse, il lancera via son porte-parole qu’il n’y aura pas de discussion avec l’opposition. Il avait réitéré ses positions dans ses nombreuses allocutions à la nation et à de nombreuses autres interventions.

Il n’en démordra pas, quand bien même des voix se seraient élevées dans son camp. Parmi elles : Radembino Coniquet, en août 2012 ; René Ndemezo’o Obiang, alors membre du PDG et député à l’Assemblée nationale; Paul Biyoghe Mba qui venait fraîchement d’être débarqué de la Primature ; Alexandre Barro Chambrier, avant même la naissance d’Héritage et Modernité (H&M). L’arrogance fut la réponse d’ABO à tous ces appels.

Ce n’est que sous la pression conjuguée de l’opposition, des forces internes à son parti (H&M) et de la communauté internationale que, acculé sur toute la ligne, sa petite majesté tombera de son piédestal. Mais une des charges les plus fulgurantes lui aura été portée par Luc Bengono Nsi et, récemment, par sa petite sœur Onaîda Maisha Bongo Ondimba sur l’authenticité de son état civil. Comment continuer de résister dans ces conditions ? Si dialogue il y a, entendra-t-on dire, il se tiendrait dans le cadre d’un CND. Pense-t-il piéger l’opposition ? Cette dernière vient de montrer devant la communauté internationale sa volonté d’apaisement en s’ouvrant. Il appartient à sa petite majesté de mettre en place ce cadre d’où sortiraient des propositions constructives qui s’imposent à tous pour le bien du Gabon, et sous la supervision de la même communauté internationale. A moins, ultime possibilité, d’ouvrir le CND et d’en changer les dispositions de l’article 2, afin d’en faire un organe décisionnel. Dans le cas contraire, c’est-à-dire s’il refuse, l’opposition qui s’est exprimée le 4 décembre n’ira pas dans une mascarade de dialogue. A ce moment, il sera difficile de contredire cette maxime de John Fitzgerald Kennedy : « Ceux qui rendent une révolution pacifique impossible rendront une révolution violente inévitable. »

 Article publié le 14 Décembre 2015

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