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EDITORIAL :« Mais non, jeune homme … ! »

EDITORIAL :« Mais non, jeune homme … ! »
Désiré Ename
Désiré Ename

Par : Désiré Ename

Marie Madeleine Mborantsuo est-elle inflexible ? Peut-elle dire le droit ? A ces deux questions, la réponse ne sera jamais en sa faveur. Et pour illustrer que son inclination pour le pouvoir était devenue sa caractéristique, notre regretté André Mba Obame assimilait l’institution qu’elle dirige à la Tour de Pise, qui ne penche que du même côté.

Quand bien même elle aurait laissé entendre en substance, sur de nombreuses récriminations, qu’elle ne peut rendre des décisions qu’en fonction des éléments qui lui sont présentés ; selon que ceux-ci révèlent des insuffisances ou bien sont accompagnés de preuves irréfutables, nul ne s’y est laissé bercer. En somme, elle n’a rien laissé entendre d’autre que sa capacité et sa volonté à dire le droit en toute impartialité étaient intactes.

Venant de la présidente de la Cour constitutionnelle, comment y croire ? Le passé étant là pour justifier les résistances à adhérer à sa bonne foi. Cela se comprend. Mieux, si l’on demande aujourd’hui à n’importe lequel des Gabonais quel est le frein majeur au processus de démocratisation dans son pays, la réponse ne sera pas nos textes de loi, mais une personne : Marie Madeleine Mborantsuo. A la réponse à cette question, l’on vous dira aussi : la Cour constitutionnelle. Non pas en tant qu’institution seulement, mais parce que dans l’imaginaire collectif, Mborantsuo et Cour constitutionnelle ne sont que « blanc bonnet, bonnet blanc ». Une opinion confortée par les liens familiaux et sa longévité à ce poste. Et pourtant, elle vient de surprendre, en décidant d’annuler l’ordonnance du chef de l’Etat, portant réorganisation du système judiciaire, prise en application de l’article 52 de la Constitution. Dès lors, force est d’admettre que cette décision infirme l’opinion commune qui veut qu’aucun crédit ne soit accordé à la présidente de la Cour constitutionnelle, ou de croire à sa capacité à rendre une décision contraire à la volonté du chef de l’Etat.

Ce serait abusif d’affirmer qu’elle s’est retournée contre le système qui la maintient à ce poste. Nous croyons qu’elle a joint la parole à l’acte : en toute impartialité elle a dit le droit. La décision de la Cour constitutionnelle tranche de fait avec une opinion qui l’a alignée à la simple caisse de résonnance des volontés de sa petite majesté Ali Bongo Ondimba : « Est modus in Rebus. » Car, malheureusement, ce dernier, à travers ses prérogatives, s’est convaincu de l’illimitation de son pouvoir. Persuadé que chef de l’Etat et de la magistrature suprême, il est. En conclusion, il est la REPUBLIQUE. Il est la LOI.

C’est fort de ses prérogatives que son gourou, en décembre 2014, avait lancé autour de lui à qui voulait l’entendre que même si « leur » pouvoir levait la mesure d’interdiction de sortie du territoire qui frappait les opposants, ils (ABO-Accro) auront l’appareil judiciaire pour les y contraindre. Cela ne s’est pas fait attendre. Les opposants, dès le mois de janvier 2015, reçoivent des convocations intempestives de la Police judiciaire, prétendument pour trouble à l’ordre public ; Paulette Missambo, dans la foulée, est convoquée pour une affaire somme toute fictive, des détournements lors des fêtes tournantes. Fort de la prérogative de chef de l’Etat, chef de la magistrature suprême, il fait arrêter Serge Maurice Mabiala arbitrairement et en toute illégalité. Aujourd’hui, le caractère illégal de sa détention est prouvé avec la décision de la Cour constitutionnelle.

Toujours fort de ses prérogatives, assorti également d’une lecture approximative de l’article 52 de la Constitution qu’à tout va, sa petite majesté, aidé du surdimensionné Maixent Accrombessi, pond des ordonnances. D’abord pour conforter son pouvoir et ensuite pour créer autour de celui-ci un parfait bouclier pour le rendre imperméable et résistant à toute épreuve… du droit. Que dispose cet article 52 ? « Le Gouvernement peut, en cas d’urgence, pour l’exécution de son programme, demander au Parlement l’autorisation de faire prendre par ordonnances pendant l’intersession parlementaire, les mesures qui sont normalement du domaine de la loi. » Question : le gouvernement a-t-il été partie prenante des ordonnances récentes ? Il semble que non.

Qu’est-ce qui urgeait dans la modification de la texture judiciaire de tout un Etat ? Le fait Mabiala et la volonté d’en découdre avec d’autres récalcitrants ou proches, mais également de mettre en garde ceux qui oseront prendre des libertés au sein de la prison PDG. Qu’est-ce qui urgeait dans la modification du Code pénal ? Nantes. Et les élections à venir, comme l’analyse le collectif Gabon Démocratie. Pourquoi avoir pris subrepticement une ordonnance, alors qu’on attendait la nouvelle loi sur la presse et que la loi 07/2001 portant Code de la communication en République gabonaise est toujours en vigueur et ne demandait que l’élimination de quelques scories ? Museler la chaîne de la presse (organes, imprimeurs et distributeur). Une réalité jugée probablement trop discrète dans ledit Code.

Voilà pourquoi nous fondons notre intime conviction sur le fait que le gouvernement n’a pas été associé à cette dérive constitutionnelle. Car les nombreux juristes et des praticiens de l’administration qui le composent auraient émis des réserves sur leur formulation. Des personnes réfléchies ne peuvent pas en arriver là. Et nous croyons, malgré tout, qu’il en subsiste quelques-unes dans cet appareil. D’ou notre ferme conviction qu’ABO et Accro, au sommet de leur inculture du droit, ont fait jaillir ces stupidités des entrelacs de leur imaginaire étriqué. « Mais non ! ABO, jeune homme, jouer avec les textes de loi, c’est n’avoir rien compris à l’exercice du pouvoir. » Pour caricaturer, c’est fermement ce que lui dit Marie Madeleine Mborantsuo, présidente de la Cour constitutionnelle.

Article publié le 7 Décembre 2015

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