FORUM : Flavien Énongoue ou le pense-bête de sa petite majesté
Titre ronflant : « les guerres civiles de l’opposition gabonaise : en avant vers le passé », et pas de guillemets pour « guerres civiles ». F. Énongoue, certainement en perte de visibilité à la cour de sa petite majesté et d’Accrombessi, a décidé de nous ressasser quelques thèses déjà bien éculées et connues qui visent à démontrer, arguments contestables à l’appui, que l’opposition gabonaise n’est en fait pas assez outillée pour accéder au pouvoir. Finalement, rien de bien nouveau sous le ciel, d’autres thuriféraires de l’Etat-Bongo s’étaient déjà adonnés à cet exercice avant lui. Énongoue n’est qu’une nouvelle recrue qui a besoin de faire des coudes au milieu de la foule de courtisans qui tournoient autour de sa petite majesté, en quête de privilèges et promotions. Toutefois, s’il n’était ici question que des motivations courtisanes et « profito-situationnistes » de l’auteur de cet article, nous nous serions abstenus de réagir. Mais, à un moment où tout le monde se prétend démocrate, y compris les F. Énongoue pourtant à la solde d’une dictature familiale vieille de 50 ans, il est utile de mener un combat sans concession contre les théories trompeuses de ceux qui, comme Énongoue et consort, répandent des contrevérités dans le seul but de retarder l’organisation des Gabonais dans le seul camp de la démocratie qui, au Gabon, 47 ans après 1967, ne saurait être historiquement qu’anti-Bongo. La démocratie est une théorie à la mode dans notre pays depuis les années 90 et comme toutes les théories à la mode, elle est en butte à des déformations et des avilissements. Dans ces conditions, nous serions myopes pour considérer comme inopportuns ou superflus les débats de principe et la délimitation rigoureuse des nuances. Car, pour paraphraser un homme politique russe du 20ème siècle, de la consolidation de telle ou telle nuance peut dépendre l’avenir de l’organisation des véritables démocrates gabonais. Quelles sont donc les contrevérités que nous sert ce pense-bête de sa petite majesté pour tenter de nous faire avaler l’idée que jamais l’opposition gabonaise ne prendra le pouvoir dans ce pays ?
1ER ARGUMENT : L’INCAPACITE DE L’OPPOSITION A S’UNIR. D’abord, selon F. Enongoue, l’opposition gabonaise souffrirait d’une maladie quasi incurable qui l’empêcherait d’accéder au pouvoir : «… la multiplication à plaisir des candidatures » ou encore « les querelles byzantines dont l’histoire politique nous montre qu’elles alimentent, depuis 1990, un état de guerre civile perpétuel au sein de la famille [de l’opposition], défiant ainsi la pertinence même des coalitions politiques ». L’auteur qui, accordons-le lui, devait être sur les bancs de l’école à l’époque fait l’impasse sur les années 1993-98 et 2009. Il ose parler d’une victoire d’Omar Bongo en 1993 de l’ordre de 51,18% au premier tour. Alors qu’il est désormais de notoriété mondiale que la proclamation des résultats par le tristement célèbre Mboumbou Miyakou, s’était opérée avant même que le dépouillement ne fût achevé. La Gouverneure de l’Estuaire Pauline Nyingone s’étant opposée à ce coup d’Etat électoral, elle fut tout simplement démise de ses fonctions. Tout le monde, sauf F. Énongoue évidemment, sait parfaitement que le président élu n’était autre que Mba Abessole. 1998, Omar Bongo reperd. Idem pour sa petite majesté en 2009, face à Mba Obame. Le niveau politique des Gabonais, même de ceux qui n’ont pas encore atteint l’âge de voter, leur permet aujourd’hui de faire le distinguo entre le résultat des bureaux de vote d’une part et leur proclamation officielle d’autre part. Une antinomie qui est consubstantielle de l’Etat-Bongo. Et tout au long de ces années depuis 1990, il y a un constat : à chacune des élections présidentielles, les Bongo ont toujours perdu face à/malgré une opposition dispersée ou encore mal unie. Mais, d’un professeur de philosophie qui travestit ainsi l’histoire, nous comprenons qu’il ne puisse en tirer des leçons. Pauvres étudiants de l’UOB !
2nd ARGUMENT : LA QUESTION DE L’ÉLIGIBILITE DES CANDIDATS DE L’OPPOSITION. Cet universitaire, au service de spm, nous explique qu’il pourrait y avoir dans l’opposition des candidats mais à qui il manque toujours quelque chose, sans préciser exactement quoi, pour prétendre remplacer un Bongo. « Paul Mba Abessole, selon Énongoue, peut être considéré, a posteriori [donc après 1993] comme l’unique candidat éligible dans l’opposition d’alors ». Quels sont les critères choisis par ce théoricien du bord de mer pour expliquer l’éligibilité du père du bucheronnisme en 1993 ? D’abord sa « notoriété… [forgée] durant la longue période d’exil politique en France (1976-1989) et son parti implanté « sur l’ensemble du territoire national ». Mais alors, qu’est-ce qui fit qu’il ne devînt pas Président de la République en 1993 ? Réponse du Maître-assistant de philosophie politique : « lui faisait défaut à cette époque, une expérience de la gestion des affaires publiques ; d’où la mise en doute de ses capacités d’homme d’Etat par…les acteurs au pouvoir (???) ». Un argument que le cas d’André Mba Obame fait voler en éclats. D’ailleurs, l’auteur s’auto-flagelle en rappelant que : « 25 ans durant, il [AMO] se fera progressivement une place importante au sein de l’appareil d’Etat » reconnaissant par là même que cette longévité dans le système Bongo ne lui a pas permis d’être proclamé vainqueur, en 2009. Perdu dans les méandres contradictoires de ses explications, F. Énongoue tente alors la « géo-ethnie » sans trop nous dire d’ailleurs là où il veut en venir. Il tente de préciser les choses, s’inspirant de Patrick Quantin dont il évoque le concept de « dimension communautaire des préférences » qui lui permet d’évaluer pour chaque candidat politiquement éligible ce que représente le poids électoral de ses suffrages dans son fief, dans l’Estuaire et dans le reste du pays. C’est ainsi que son analyse des « résultats électoraux des trois candidats politiquement éligibles » aboutit à ceci : « le Nord-fang pour Paul Mba Abessole en 1993 et pour André Mba Obame, et le Sud-mériè pour Pierre Mamboundou en 2009 ». Notons que les N et S majuscules, à forte connotation ethno-régionaliste, sont de l’auteur. Et « Tout compte fait, conclut-il, la dimension communautaire des préférences apparaît comme la matrice aussi bien des facteurs les plus prédictifs – qui permettent de prévoir- du vote que de la popularité des candidats éligibles…cependant que la notoriété se révèle relativement nécessaire et les capacités ou non d’homme d’Etat, pratiquement sans conséquence électorale »
Mais alors, si « la dimension communautaire des préférences », ou plus simplement le réflexe identitaire, ou encore l’ethno-arithmétique, est « la matrice » de nos fonctionnements électoraux, comment notre Maître-assistant de Philosophie politique de l’UOB peut-il nous expliquer que la supériorité démographique des communautés ethnolinguistiques dont sont issus les Mba Abessole, Mba Obame, ou encore Mamboundou, ne leur ait pas permis d’accéder au pouvoir depuis 1990 ?
Si, comme nous l’admettons tous depuis 1990, sauf notre cher Professeur de métaphysique, l’opposition l’a toujours emporté dans les urnes et que « la dimension communautaire des préférences » disqualifie les Bongo de toute légitimité, comme le sous-entend – peut-être à son corps défendant- le raisonnement de F. Énongoue, lui-même, il faut bien dégager les raisons qui expliquent les mécanismes de la longévité politique des Bongo au sommet de l’Etat. N’est-ce pas justement la menace que fait planer cette « dimension communautaire des préférences » qui, toutes les fois que cette dernière est stimulée, notamment en période d’élection présidentielle, déclenche par réflexe la répression politique, administrative et militaire, et nous reprenons là l’expression de F. Énongoue, des « acteurs au pouvoir » – ceux qui votent et ceux qui ne votent pas- que nous pourrions désigner comme les cerbères de l’Etat-Bongo.
L’assassinat de Mboulou Beka et la centaine d’arrestations du 20 décembre 2014 ne sont que la suite d’une longue série. Près d’une vingtaine de morts et plus de 74 arrestations en 1994 au cours de la période de résistance qui a suivi le coup d’Etat électoral de 1993. Des dizaines de tués à Port-Gentil pour éteindre la contestation populaire contre le maintien des Bongo à la tête de l’Etat après le décès de leur patriarche, en 2009.
Hier, le 20 décembre 2015 était la fête des armes que l’on a lustrées et relustrées pour la circonstance de la 14ème Journée de la Défense. Parmi elles, certainement celle qui a tué Mboulou Beka. Au moment où un dialogue national risque de s’engager, nous ne saurions oublier à quel type d’Etat nous avons affaire.
Article publié le 21 Décembre 2015