FORUM : La « peste ethnique » sévit au Burundi. Attention à la contagion !

Burundi
Arrêt sur les heurts entre policiers et populations au Burundi, contre la candidature controversée à la présidentielle de Pierre Nkurunziza

Par : Jean Stephen Landry  

Les Africains seraient-ils finalement incapables de construire des nations ? L’effroyable univers fait de cadavres, de sang, et de déplacés dans lequel se réinstalle le Burundi aujourd’hui peut le laisser penser. Il y a douze ans, des rebelles hutus canonnaient sur Bujumbura alors que Pierre Buyoya, Tutsi, devait céder la présidence à son Vice-président, Hutu, Domitien Ndayizeze. Une alternance qui obéissait plus à une logique de partage politico-ethnique, comme décidé à Arusha en l’an 2000, sous l’égide de Nelson Mandela. Une logique appréciée diversement par les uns et les autres. Le député Pascal Nyabenda, président du CNDD-FDD, le parti présidentiel, vient, par exemple, le 14 décembre dernier, de la condamner en l’assimilant à « la mort de la démocratie ». C’est vrai que, à son avantage, les Hutu représentent 84% de la population, les Tutsi 15%, et les Twa (pygmées) 1%. Une situation hégémonique dénoncée par un certain nombre de Tutsi pour qui les Hutu sont en permanente situation de «coup d’Etat démographique». D’où le fait que certaines voix, toujours tutsi, préconisent cette alternance ethnique au sommet de l’État comme une solution de stabilité politique au Burundi. C’est ainsi que Richard Ciramunda, éditorialiste à Radio Bujumbura Internationale, n’a pas hésité, le 22 août 2015, à déclarer sur les antennes : « Demain donc, que les négociateurs sachent qu’il faut remettre la question sur l’alternance au sommet de l’État au centre des débats. C’est-à-dire cinq ans pour un hutu (ou parti d’obédience hutu) et cinq ans pour un tutsi (ou parti d’obédience tutsi) ainsi de suite. Il est quand même bizarre de voir que ceux qui disent défendre les accords d’Arusha oublient sciemment cette clause pour laquelle nous avons tant mis d’énergie lors des sessions du G7 à Moshi et du G8 à Arusha en 1999 en Tanzanie. »

Sans prétendre vouloir prendre position dans un débat dont l’actualité historique ramène ce peuple frère à l’urgence de trouver des solutions immédiates et durables pour son futur proche, il n’en demeure pas moins que les zones chamito-sémitiques, nilo-sahariennes, nigéro-congolaises, et bantoues, pour ne citer que celles là, indiquent que les États qui y ont vu le jour sont tous, sans exception, des mosaïques ethniques.

Les négociateurs d’Arusha, en 2000, ont pris cette donnée en considération. C’est ainsi que dans ces Accords, il est stipulé, au chapitre premier des principes constitutionnels de la constitution de la période post-transition, au niveau des valeurs fondamentales ce qui suit : «  Le Burundi est une nation indépendante souveraine, unie mais respectant sa diversité ethnique et religieuse. Il reconnaît les Bahutu, les Batutsi et les Batwa qui constituent la nation burundaise. » Sans complaisance, l’administration coloniale y est mise à l’index, les Allemands, les Belges, la Société des Nations et même la tutelle des Nations unies, tous accusés d’avoir contribué à renforcer « des frustrations chez les Bahutu, les Batutsi et les Batwa [ainsi que] les divisions qui ont conduit à des tensions ethniques », en promouvant «  une vision raciste et caricaturale de la société burundaise (…) portant sur des considérations morphologiques destinées à opposer les différentes composantes de la population burundaise sur la base des traits physiques et des traits de caractère ». Si les parties en présence à Arusha ont qualifié le conflit burundais comme « fondamentalement politique », elles ne se sont pas empêchées d’en souligner les « dimensions ethniques extrêmement importantes » (Article 4/Nature du conflit burundais). Et, à cet effet, au titre des mesures de politique générale, elles ont appelé, à l’article 5 des Accords, à « L’instauration d’un nouvel ordre politique, économique, social, culturel et judiciaire au Burundi, dans le cadre d’une nouvelle constitution inspirée des réalités du Burundi et fondée sur les valeurs (…) de tolérance entre les différentes composantes politiques et ethniques du peuple burundais. »

En matière d’épidémiologie, il est vrai qu’au Gabon le pourcentage de prévalence de ce que nous désignons sous le terme de « peste ethnique » est certainement moins élevé qu’au Burundi que deux guerres civiles interethniques ont traversé. Toutefois, comme pour les accidents de voiture, il faut éviter de penser qu’ils n’arrivent qu’aux autres. Sa petite majesté, depuis son Conseil des ministres délocalisé, à Mouila, et au cours de son intervention devant le Parlement en congrès, a plutôt tendance à nier l’existence des ethnies. Comme si le Gabon n’en avait pas. Comme si Bongo, le 1er, avait procédé, en 42 ans, à des mutations sociales telles qu’en auraient émergé des classes moyennes, comme ce fut le cas au Brésil. Au Gabon, cela se saurait, tout de même. Nous qui en sommes encore aux cloisonnements ethno-provinciaux, aux ghettos ethniques dans des villes comme Libreville ou Port-Gentil. C’est le développement, le progrès qui fait que les portes des prisons identitaires s’écroulent. Comme l’écrivait, dans les années 1980, « Le Livre Blanc du Morena », au Gabon, chacun se dit d’abord Fang, Punu, Nzebi, Teke, Myènè…et, seulement ensuite, Gabonais. Les choses ont-elles vraiment évolué depuis ?

Le dialogue dont bruit Libreville, ces jours-ci, est attendu. Et les Gabonais attendent de savoir ce qu’il va sortir de la bouche de sa petite majesté, au cours de cette semaine. L’acceptera-t-il ? Se rendra-t-il à l’évidence qu’il le faut « national, inclusif et sans tabou » ? Ou alors fera-t-il l’impasse de cette voie de sortie honorable pour lui pour préférer la pêche au gros dans les eaux de l’opposition ?

Les Gabonais n’ont pas le souvenir d’une guerre fratricide sur leur sol. Mais le dernier des Bongo au pouvoir, qui n’est pas un partisan du dialogue, pourrait les y entraîner. Le Gabon, ce « havre de paix et de stabilité » pourrait arpenter les voies aventureuses des déchirures socio-ethniques et, même, religieuses qui sont en train de dépecer le Burundi et la Centrafrique. Car, comme eux, notre pays est détenteur de tous les ingrédients qui peuvent le faire basculer vers l’inconnu. Les Accord d’Arusha ont du mal à se faire respecter au Burundi. La guerre civile y reprend ses droits. Un Gabon, sans un véritable dialogue souverain, pourrait-il alors échapper à cette épidémie de peste ethnique ?

Article publié le 28 Décembre 2015

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