TRIBUNE LIBRE : lettre au ministre de la justice
Par : Jonas MOULENDA
Monsieur le Ministre,
Comme tous les Gabonais attachés à leur pays, je m’inquiète de vos projets de loi capillotractés, qui touchent non seulement au respect des libertés individuelles, mais aussi au sens que nous entendons conférer à la construction du vivre ensemble dans notre pays. C’est la raison pour laquelle je vous écris aujourd’hui. « Quand on coupe le tibia, la cuisse s’en inquiète», m’expliquait mon grand-père.
Dans les ordonnances portant sur la réforme de la justice et du Code pénal que vous avez inspirées et qui ont été annulées par la Cour constitutionnelle, un régime d’exception se profilait assez nettement dans notre pays. Ce régime visait à légaliser des moyens exceptionnels de conquête et de conservation du pouvoir, en les faisant accepter par l’opinion publique. Ce sont des manœuvres dignes de gouvernants aux abois et en quête de survie politique. Mon aïeul disait : « L’homme qui se noie s’accroche à tout, même à un serpent.»
Le régime dominant que vous voulez instaurer par le biais du fameux article 425 du Code pénal serait celui d’une défiance qui ne serait plus simplement destinée à lutter contre la xénophobie, puisqu’il s’agit, selon le texte, de prévenir des atteintes contre la cohésion sociale et la discrimination. Ce n’est pas en procédant de la sorte que vous amènerez les Gabonais à accepter d’être dirigés par des personnes qui n’ont pas d’attache avec la patrie, ni avec nos ancêtres. Mon grand-père disait : « Le chien qu’on amène de force à la chasse n’attrape pas le gibier.»
Les critères de dangerosité s’étendent ici au point de devenir très flous, en créant un risque grave de perte de l’identité nationale, voire d’apatriation. L’urgence de l’adoption de la loi sur la xénophobie était très suspecte. Elle renvoyait à un besoin personnel du président de la République de taire les ambigüités sur son état civil. « C’est le voleur de miel qui a les doigts cachés derrière le dos », m’expliquait mon grand-père.
Pourtant, il existe des textes réprimant les discriminations. La seule différence était que votre fameuse loi devait permettre au pouvoir exécutif de devenir purement autocratique quant à la décision de promouvoir des expatriés dans les domaines de souveraineté. Vous êtes en train de brader le pays, à cause de votre égoïsme rampant. Ce sont des choses à ne pas faire, même si vous êtes empégué par les friandises du pouvoir. Mon aïeul disait : « Quel que soit le goût du repas, n’avale pas ta langue. »
Votre fameuse loi devait légitimer certaines pratiques illégales du pouvoir. Or, ces pratiques ne concerneront pas seulement l’actuel gouvernement, mais tous ceux qui pourront arriver au pouvoir après l’élection présidentielle de 2016. Il y a de quoi trembler. Brader l’identité nationale à un tel degré serait une erreur très lourde de conséquences. Si vous ne souffriez pas de la myopie politique, vous auriez dû vous en rendre compte. « La poule qui a les yeux ne mange pas la graine d’arachide pourrie », observait mon papy.
Etait-il nécessaire de vouloir adopter une telle loi dans un pays où l’immigration a dépassé le seuil du tolérable et qui demeure le lieu des flux migratoires ? Avez-vous pensé aux dérives que son application allait entraîner sous des régimes politiques moins scrupuleux ? Vous avez un champ de vision aussi réduit que l’idée que vous vous faites de la République. Cela prouve à suffisance que vous n’êtes pas à la hauteur de votre tâche. Mon grand-père disait : « Si tu entends dire que la pipe est courte, c’est que celui qui doit la fumer est de petite taille. »
Si vous instituez la répression, vous entraverez la libération des imaginaires sociaux dont toute société démocratique a besoin pour se redéfinir sans cesse. Ce qui constituerait ni plus ni moins qu’une hérésie à l’heure où les citoyens sont sommés de faire preuve de sens de responsabilité et de discernement. Ceux qui vous ont suggéré une telle ordonnance vous ont rendu un très mauvais service, parce que son annulation par la Cour constitutionnelle est votre échec personnel. « Le vin de maïs nuit à celui qui le boit et non à celui qui le prépare », m’expliquait encore mon aïeul.
A nous donc de nous interroger sur le pays que nous voulons continuer à bâtir, en fonction de quelles valeurs. La valeur de progrès social, qui fut jadis portée par nos ancêtres, devrait plus que jamais nous servir de critère pour nous permettre de conserver un juste équilibre entre le besoin de sécurité dont toute société civile a besoin et l’aspiration à la liberté, que chaque citoyen devrait pouvoir éprouver au plus intime de lui-même. Il est nécessaire de préserver nos valeurs ataviques et de marcher dans le sillage de nos devanciers. Mon papy me faisait remarquer que « les chameaux suivent les traces de ceux qui les précèdent ».
Monsieur le Ministre, il est essentiel de prendre la mesure des conséquences induites par le divorce entre les gouvernants et les gouvernés. Le monde attend du Gabon une tout autre politique judiciaire à même d’en faire un véritable Etat de droit souhaité par tous les justiciables. C’est pathétique de constater que vous voulez transformer la justice en bras armé de votre régime en décrépitude. Venant de vous, je n’en suis pas étonné. « Si tu donnes un livre à une chèvre, il en fait un gros tas d’excréments», disait mon grand-père.
Article publié le 7 Décembre 2015