FORUM :« 2016, ce sera lui ou nous»

ali dgPar : Stephen Jean Landry

 Pas de dialogue national inclusif et sans tabou et aux décisions exécutoires. Un premier grand discours était prévu le 28 décembre 2015 au Conseil national de la démocratie (CND).D’aucuns prétendent que son ajournement est dû à une mauvaise redistribution de fonds remis à l’institution qui auraient été mal répartis au sein du CND. Symptomatique du Gabon des Bongo. Mais, d’autres estiment plutôt que c’est l’amendement de l’article 2 du décret portant création et organisation du CND qui est en question. En effet, sa petite majesté (SPM), qui était justement attendu sur la question cruciale d’un dialogue national, inclusif et sans tabou dont les décisions seraient exécutoires, comme exigée par l’opposition, n’a manifestement pas accédé à cette requête et s’est plutôt recroquevillé et muré dans son CND, sur mesure, qui, assène-t-il, « a été mis en place pour servir d’espace institutionnel du dialogue politique, en rassemblant les acteurs politiques de tous bords dans un échange permanent ».En clair, tout dialogue ne se fera qu’au sein du CND qui demeure une institution consultative. Ce qui donne à supposer que SPM incline plus à faire son petit marché des avis et recommandations qui pourraient émaner d’une simple causerie nationale au sein de cette institution consultative plutôt que de se soumettre à des injonctions. En prendre et en laisser. Selon ce bon vouloir du prince qu’à l’époque des accords de Paris, on dissimulait officiellement derrière le «fait majoritaire ». Un journal proche du pouvoir, certainement dans le secret des dieux, paru le matin même du jour de l’allocution de sa petite majesté, livrait, prémonitoire : « Une réalité est là : le CND est ce qu’il est, et c’est avec lui qu’il faudrait aller au dialogue national, le cas échéant. La présence personnelle du chef de l’Etat n’est ni indispensable ni gage de respect des recommandations qui en sortiront. Seuls compteront, en fin de compte, la force sociologique des acteurs qui y prendront part. »Confirmation de ce que devait effectivement nous servir ABO le soir à 20 heures sur Gabon Télévision. C’est donc une main de fer dans un gant de velours que vient de tendre SPM à l’opposition.

Le fer pour prévenir, prioritairement les opposants, que toute remise « en cause de la paix et de la sécurité » sera réprimée. ABO y veillera « personnellement », menace-t-il dans son discours. Et, il a déjà montré de quoi il est capable : Mboulou Beka, arrestations massives, intimidations physiques, interdiction de manifester, menaces sur la presse indépendante du pouvoir, etc.la liste des actions répressives de l’Etat-Bongo n’est pas, ici, exhaustive.

Le velours pour dire poliment à la communauté internationale qu’il s’offre au dialogue, mais qu’en tant qu’Etat souverain, au Gabon, tout dialogue entre le pouvoir et l’opposition ne pourra se faire que dans le cadre de ses institutions.

 Pourtant, le Gabon, pour de nombreux observateurs,

est un pays qui, 50 ans de bongoïsme après, est en crise aiguë.

Sinon pourquoi la communauté internationale encouragerait-elle un dialogue national ? Les mots de SPM, le 31 décembre au soir, avouent pourtant que « beaucoup reste à faire […] contre le chômage, la pauvreté, l’insécurité, l’impunité, la dilapidation des deniers publics, pour offrir un habitat digne et décent, pour renforcer l’Etat de droit, la justice et la démocratie », etc. « Beaucoup » est un euphémisme. Il serait plus juste de dire : tout reste à faire.

Personne n’est dupe que, dans un pays où il y a encore tant de choses basiques absentes, c’est qu’elles n’ont pas été réalisées, en près de 50 ans. Même si, pour en atténuer l’importance, sa petite majesté pense que, l’espace du discours rituel de fin d’année, l’échec des Bongo peut être masqué par une rhétorique que la réalité contredit. Ecoutons ABO : « Connaissant le caractère aléatoire d’une économie de rente, nous avons, très tôt, mis en application un principe… : « Gouverner, c’est prévoir ». Suit une apologie de la diversification de l’économie dans laquelle le Gabon, prévoyant, se serait engagé notamment par « la transformation locale du bois » qui aurait, à en croire ABO, généré près de 7000 emplois. Mais il ne dit pas combien la décision d’arrêter l’exportation des grumes en avait d’abord supprimé. Et, l’avis de la Banque mondiale dans tout çà ? Cette institution, en septembre 2014, au cours d’un séminaire à Libreville, a qualifié l’arrêt de l’exportation des grumes pour leur transformation locale, sans qualification et ni infrastructures locales, de décision précipitée et de prise de risques par les « autorités gabonaises ». Elle a souligné et surligné l’échec de la Zone économique spéciale de Nkok dont le succès, selon elle, « dépend  d’une part de conditions … qui sont loin d’être optimales, c’est-à-dire : « port, transport jusqu’au port, énergie… » et, d’autre part, d’une main-d’œuvre moins coûteuse. Ce séminaire de la Banque mondiale, auquel participaient le Premier ministre, Daniel Ona Ondo, et son représentant pour la circonstance, le ministre de l’Economie et de la Prospective, Christophe Akagha Mba, et de hauts cadres de l’administration centrale, a brossé un tableau plutôt sombre du Gabon. Nous avons ainsi appris que 92% de scolarisés de l’enseignement général sont inadaptés aux besoins d’une économie en quête de diversification et de compétitivité, contre seulement 8%de la formation professionnelle et de l’enseignement technique ;que le climat des affaires est insuffisamment équitable et transparent ; les difficultés d’accès à l’eau et à l’électricité ; l’« absence d’entretien des infrastructures existantes au plan du transport aérien…, insuffisances d’entretien du réseau routier existant… , faible offre de transports en eaux intérieures…, dégradation avancée de la voie ferrée… ». Quant au réseau routier, les cadres du ministère de la Promotion des investissements, des Infrastructures, de l’Habitat et de l’Aménagement du territoire présents à ce séminaire se sont plutôt lâchés, en ce mercredi 10 septembre 2014 : « Le réseau routier actuel est insuffisant. De plus, ce réseau n’est pas structurant et de nombreuses routes ne sont pas justifiées par les besoins de l’économie et de la population… ». Un séminaire aux conclusions sans complaisance. Il y a tout juste un an.

Cette année, ABO, morose, n’annonce, une nouvelle fois encore, que des chantiers de ce qu’il n’a pu réaliser en six ans. Il nous parle en fait de moins de 600 km de route non terminées depuis 2009. Au plan de la santé, nous comprenons aisément qu’il ne s’est jamais rendu en ces lieux appelés hôpitaux où des dizaines de Gabonaises accouchent à même le sol ou bien dans ces centres de santé sans médecins et sans médicaments. En matière de logements, six ans après, il « demande au gouvernement de procéder dans les meilleurs délais (???)à la livraison » de logements. Et, quant à ces écoles sans enseignants, il…promet « la mise à disposition des personnels enseignants dans les établissements scolaires… ».

Et on voit mal comment sa petite majesté, démagogique, qui annonce, à l’adresse des agents de l’Etat qui se plaignent de « l’inconséquence de leurs soldes », que « quelles que soient les difficultés du moment, le pacte social demeure pour moi la priorité », pourra tenir ce mensonge alors que le FMI, tout récemment au Gabon, conditionne un hypothétique redressement du budget de cette année, plombé par la chute des cours du baril, à une maîtrise de la masse salariale.

Au plan politique, le pouvoir de Libreville ne cesse, depuis 2009, de se disséquer en cadres qui rompent les amarres et d’autres qui déclenchent des luttes de clans au sein même de l’appareil. D’André Mba Obame à Léon-Paul Ngoulakia, en passant par Ping, Ndemezo’o Obiang, Barro Chambrier, Ntoutoume Emane ;en insistant sur les cas de Nguetsara et de Ngoulakia, deux hommes des services de renseignements qui, pour le premier, vient d’alerter l’opinion publique, à deux reprises, sur la délicate question de l’immigration, et, pour le second, ancien secrétaire général du Conseil national de sécurité, trois ans durant, de tourner le dos à ABO…au péril de sa vie.

Crise économique, crise sociale, et crise politique. Il est à craindre que sans véritable dialogue, « 2016 [qui] sera, comme chacun sait, une année électorale », rappelle ABO, se déroule justement sur fond de ces crises multiples.

En fermant la porte à un dialogue national inclusif et sans tabou, il ouvre immanquablement celle des conflits prévisibles. Qui vis pacem, paratbellum ? (« qui veut la paix, prépare la guerre ») Apparemment, SPM, lui, s’y prépare. Mais aucune armée au monde n’a jamais vaincu un peuple mobilisé.

 Article publié le 04 Décembre 2015

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