
Par Stephen Jean Landry
Qui aurait pu imaginer, dans les années 60, 70, 80, et même post-90, un Premier ministre français s’autoriser le type de sortie abrupte et … contrôlée que s’est permis Manuel Vals ? Surtout pour oser soupeser la légitimité d’un chef d’Etat de ce qui est entendu encore comme le pré-carré français sur le continent africain. Tout particulièrement en ce qui concerne le Gabon de Jacques Foccart. Les choses semblent avoir changé. C’est vrai que des années 60 à la fin des années 80, les monopartismes, prudents, savaient s’épargner le luxe de tels débats. Assassinats, au Gabon ou sur le territoire français, emprisonnements, tortures, et autres atteintes aux droits de l’homme étaient à mettre au compte des pertes et profits de la lutte anti-communiste mondiale contre les menées « subversives et expansionnistes » du camp socialiste dirigé par l’URSS. De nombreux observateurs constatent que de Pompidou à Sarkozy, en passant par Giscard, Mitterrand, et, tout particulièrement Chirac, Omar Bongo traversera les époques sans accroc notable et, même, un moment « Inquiet de l’arrivée au pouvoir des socialistes, en 1981 », grâce à de « solides liens [établis] à gauche grâce à son adhésion à la franc-maçonnerie, dès 1965, le président gabonais [obtiendra] le renvoi du trop critique ministre de la coopération Jean-Pierre Cot et son propre adoubement par le pouvoir mitterrandien ». Dans les années post-90, l’éviction du ministre français de la Coopération limogé, Jean Marie Bockel, en 2008, est un signe que, le parrain mourant, demeurait écouté à Paris. Et que, finalement, il avait toujours le dernier mot.
Peut-on penser que la petite phrase assassine de Manuel Valls lui réservera le même sort qu’à Cot et à Bockel ? Il faut croire que non. Même avec lenteurs et résistances, la situation n’est plus la même, la Françafrique semble perdre du terrain, même si elle a encore de beaux jour devant elle. Dans son ouvrage « Trajectoire plurielle, aux éditions Alpharès, Bockel, lui-même, fait comprendre qu’il ne parlerait plus aujourd’hui «(…) de vouloir signer l’acte de décès de la Françafrique, parce que la Françafrique (…) c’est vraiment en fin de vie. Je ne dis pas que ça n’existe pas ici ou là, mais c’est une page qui s’est quand même un peu tournée. On est passé à autre chose, heureusement ! ».
L’histoire de la fin des années 50 du continent francophone est rythmée par deux étapes. D’abord, par la fin de la colonisation française, puis par celle des monopartismes. La première visait surtout à atténuer les radicalismes probables des nationalismes naissants sur le continent, sous l’œil attentif et bienveillant de Moscou. Comme avec le FNL algérien. Ou l’UPC au Cameroun. Pour ne laisser émerger que des nationalismes contrôlables, à la Léon Mba, Ahidjo, Youlou, Bokassa, etc, qui ne donneraient pas l’occasion au fameux camp socialiste de pouvoir s’y accrocher pour déstabiliser les différents ancrages de l’Occident. Qui, en retour, n’avait d’autre objectif que d’empêcher le continent africain de passer à l’Est. Guerre froide oblige. Les années 90, quant à elles, avec l’instauration du multipartisme, ont « libéralisé » l’espace entre dirigeants et dirigés, légalement et strictement sous contrôle pendant plus de 20 ans. Les seconds pouvaient désormais contester les premiers aux plans politique et syndical. Au Gabon, durant ces années de braise, le parti de Mba Abessole et le syndicat de Samuel Ngoua Ngou ont su, sans toutefois mettre le pouvoir à genoux, pousser la contestation politique et sociale au point de contraindre Omar Bongo Ondimba à procéder au coup d’Etat électoral de 1993. C’est le fait que Paris continue de battre la mesure, comme dit la chanson de Jacques Brel, malgré la libéralisation de cet espace en 1990, qu’OBO put se maintenir. Les propos de Manuel Valls sur l’irrégularité démocratique de l’élection de sa petite majesté, en 2009, dénotent une évolution. Apparemment, l’intervention du Premier ministre français, tout comme le rappel, via d’officiels communiqués, des vieilles traditions d’amitié entre le Gabon et la France, en guise de rattrapage diplomatique, confirment bien que c’est toujours Paris qui bat la mesure de cette interminable valse dédiée à la stabilité franco-gabonaise. Il n’en demeure pas moins que c’est bien la première fois, en 55 ans, que Paris écorne, par la voix de son Premier ministre, la légitimité d’un chef d’Etat… gabonais. Qu’en dire ? L’impensable serait-il pensable ? Par exemple, qu’en 1993 ou en 2009, avec Hollande et Valls à la tête du pays, les choses auraient pu se………. ?
Sans toutefois rêver, il est permis d’envisager un avenir radieux. La voie de la contestation défrichée, depuis les années 1990, est là. Il faut s’y engouffrer, afin de faire rendre gorge à ce pouvoir, qu’il plie un genou, puis les deux, et n’espère rien de Paris.
Les mots de Manuel Valls sont un rayon de lumière dans l’incertain gabonais. Ils peuvent conforter l’idée selon laquelle la sortie progressive des vieux réseaux, de l’Afrique-France, de l’interférence dans les vies politiques de la France par certains chefs d’Etat, sera désormais antinomique des choix des dirigeants africains depuis Paris. Ces mots ne signifient-ils pas tout simplement que, depuis 1990, la contestation des dirigés face à leurs dirigeants, ainsi que leur destitution éventuelle, sont désormais rentrées dans les normes internationales de bonne gouvernance politique et qu’il faut s’y faire ?
Cot a parlé. Court-circuité. Bockel a parlé. Disjoncté. Valls vient de parler. Il est toujours en place. Un signe. Un bon signe. Omar Bongo avait transformé le Gabon pour reprendre l’expression de Philippe Bernard du « Monde » : « en centre névralgique de la politique de Paris en Afrique. » Manifestement, sa petite majesté n’en a ni la stature, ni la perspicacité. Mieux, la France de Hollande se débongoïse. Profitons-en !
Article publié le 24 Janvier 2016