

Par : Désiré Ename
« Croire que un chef d’Etat qui reçoit la lumière va devenir un maçon accompli, entre guillemets, c’est pas évident…Je le dis dans mon livre (La Franc-maçonnerie en Afrique Noire, 2004 NDR), nous avons des chefs d’Etat qui ont trahi l’esprit maçonnique. » La déclaration est de Joseph Badila, dans une interview à Mondafrique.com, publiée sur ce site le 6 février dernier. Cet ancien grand maître, très puissant souverain et grand commandeur de la franc-maçonnerie (FM), a décliné le but de la FM et les valeurs qui la sous-tendent. Si de vrais maçons existent en Afrique et mènent leurs activités selon les principes de l’institution maçonnique, il en serait difficilement ainsi pour les chefs d’Etat africains, très souvent « bombardés » grand maître sans avoir effectué le processus qui y conduit. « Un réel malentendu » dans cette façon de faire. Car « on ne fait pas un maçon en 5 ans. » D’où leur conduite aux antipodes de l’esprit maçonnique. Est-ce alors étonnant que sa petite majesté (SPM) tropicale, Ali Bongo, soit en train d’utiliser l’institution, non pas pour ses buts fondamentaux, mais plutôt pour asservir et maintenir sa position dominante. Qu’est-ce qu’être franc-maçon (FM) ?
Joseph Badila répond qu’un FM est un homme libre et disponible. Ce qui n’est pas le cas des chefs d’Etat. « On décèle chez ces derniers un déficit de culture maçonnique. » Et d’ajouter : « Nous avons des chefs d’Etat qui ont trahi l’esprit maçonnique. » Et pour cause. « Tout ce que fait un maçon doit refléter la beauté. Le maçon travaille à améliorer l’homme pour améliorer la société. » D’où sa question : « Qu’est-ce que nous maçon africains faisons pour améliorer la société à l’orée de ce 21e siècle ? » Il explique par ailleurs que la seule raison d’être FM c’est de « travailler à sa propre perfection », afin de rayonner dans la société et la niveler au sommet. Le FM ne l’est pas pour lui-même. Pas plus que la maçonnerie, en ce qu’elle est, ne peut pas être le tremplin pour l’ascension sociale. Joseph Badila, Africain de nationalité congolaise, explique qu’elle est « un lieu de veille ». Il parle de « veille sociale, culturelle, ou politique ». « Dans la loge, dira-t-il, les maçons travaillent pour que l’homme progresse vers la lumière philosophique. Les problèmes qui nous préoccupent sont ceux de la société. » Avec au centre l’Homme, en se préoccupant de son évolution personnelle concomitamment à celle de son environnement. Dans cet esprit, la démarche maçonnique appelle à une grande humilité. Mais appelle aussi à une grande conception de la liberté. Sa liberté à soi et la liberté des autres. Est-ce cet état d’esprit que l’on retrouve chez les chefs d’Etat africains maçons ? Notamment chez SPM tropicale ?
Joseph Badila répond : « On ne peut pas être FM et être dictateur. Il y a là une grande incompatibilité. Parce que le FM travaille pour que le monde devienne libre. La question lorsqu’on rentre en maçonnerie est : êtes-vous des hommes libres ? La FM est une institution philosophique, progressiste et philanthropique. La philanthropie revient à affirmer l’Amour de l’homme. Or, vous ne pouvez pas me convaincre que vous aimez les hommes alors que vous les martyrisez ; vous ne pouvez pas dire que vous aimez l’homme alors que vous n’êtes pas capable de créer des conditions qui font que la démocratie soit ce moyen qui permettent à nos Etats de devenir des Etats modernes. »
Quant à la valeur du dialogue, Joseph Badila affirme : « Les FM doivent être les vrais promoteurs et ouvreurs du débat. Créer des conditions pour que l’homme devienne l’homme qui puisse jouir de la nature, de la République, et des conditions qui permettent à l’homme de s’épanouir. » Sans conteste, la discussion, le débat ou le dialogue, fermentent la société, la propulsent et la dépouillent de toute obscurité.
Dès lors, nous demandons aux FM gabonais ce que leur « Maître des Lumières » a fait de ces valeurs. N’êtes-vous pas devant l’évidence de la conclusion cinglante de Joseph Badila qu’il subsiste en Afrique « des chefs d’Etat qui ont trahi l’esprit maçonnique » ?
Pour s’en convaincre, passons rapidement au tamis la gouvernance de SPM tropicale. Son règne est marqué par la confiscation des libertés, en bouchant au maximum tous les canaux d’expression. A l’humilité que Joseph Badila place au centre de l’exercice du FM, SPM tropicale oppose l’arrogance. A l’esprit philanthropique caractérisé par le partage, il est curieux de constater le décalage entre l’aisance démesurée des nouveaux apparatchiks autour de SPM tropicale, tous FM, leur égoïsme, et « l’Homme gabonais » vidé et meurtri par le chômage, la vie chère, aux besoins primaires non accomplis, englué dans la boue de nos cités obscures sans eau; entendant sans la vivre l’égalité des chances; pas d’habitat décent ; ni de routes dignes de ce nom pour sortir des taudis qu’il lègue à sa progéniture vouée d’avance à la misère, là, à Libreville. Que dire de sa gouvernance économique ? Qu’elle est décriée sinon, l’Etat ne serait pas incapable de payer ses dettes à ses minuscules PME. Le flou autour de la situation de ses documents d’état civil inquiète et est contraire aux usages qui exigent un dossier clair à l’adhésion à la FM.
SPM tropicale ne colle pas au tableau que peint Joseph Badila du maçon vrai. Les carences de ceux qui n’ont pas fait leurs classes transpercent de part en part sa conduite des affaires publiques. Aussi, son appel aux« frères » à retrouver le « temple Gabon » ne peut que sonner creux.
Le propos de Joseph Badila est de dire stop à cette maçonnerie tropicalisée. Ce propos ne peut-il ne pas vous interpeller ? Vous, les FM. Vous qui avez fait vos classes. Vous qui n’avez pas eu vos grades par procuration, à retrouver les valeurs humaines qui fondent votre Institution ?
Le propos de Joseph Badila vous appelle à un devoir d’ingratitude envers un seul homme, au nom des valeurs fondatrices de l’Institution. Au nom de l’honneur ! Au nom de la République.
Article publié le 08 Février 2016