
Par : Stephen Jean Landry
Qui aurait pu imaginer que Me Ndaot, placé à la tête du Conseil national de la démocratie (CND) par Ali Bongo Ondimba, signifierait son insatisfaction avec autant de netteté suite à la communication de sa petite majesté ? Ce dernier qui n’a pas fait le déplacement du CND qu’il a pourtant, lui-même, convoqué en session extraordinaire. Qui aurait pu imaginer que certains confrères de « l’Union » du pouvoir » auraient la plume plutôt incisive à l’endroit de la communication de son « distingué présida » présentée par Léon Nzouba ? Lisons plutôt : « En réponse aux recommandations émises par l’ensemble des conseillers, lors de la précédente assemblée plénière en novembre dernier, la communication du président de la République a suscité beaucoup d’intérêt chez les membres du CND, lesquels n’ont pas tardé à fustiger le contenu qui, selon eux, ne répond pas à leurs attentes ». Cette prose est parue dans « l’Union » de Lin-Joël Ndembet, le vendredi 19 février 2016. A sa décharge, il était également absent, parti pour Le Caire avec qui vous savez. Ce ne sera donc pas de sa faute, mais celle des journalistes SM et Ondoubah’Ntsibah qui ont signé leurs articles sur la tenue de la plénière extraordinaire du CND, et, bien évidemment, du rédacteur en chef éditorial, Léonard Brice Mba Assoume, qui a visé le bon à tirer (BAT). Et, poursuivant sur leur lancée, ils ne s’arrêtent pas en si bon chemin : « C’est dans cet esprit d’insatisfaction que Me Ndaot a rappelé les attentes qui étaient les leurs vis-à-vis de cette communication qui avait été annoncée. « Il arrive, a-t-il déclaré, que l’affrontement politique démocratique entre le pouvoir et l’opposition génère des dissensions que le combat politique dégénère en crise que la polémique habituelle se traduise en violente discorde et que le débat républicain déserte les espaces appropriés pour déraper dans la rue (…) C’est dans cette optique que le CND avait proposé dans sa 7ème recommandation, la voie du dialogue encadré, l’organisation d’une concertation nationale à l’initiative du chef de l’Etat » Et de poursuivre : « Le Gabon étant par la tradition un pays de dialogue, cette suggestion nous semblait aller de soi dans le contexte de tension sociopolitique aigu.» Toujours dans le même quotidien de Lin-Joël Ndembet parti au Caire. Ondoubah’Ntsibah élèvera même l’outrecuidance jusqu’à relever que certains ont perçu comme « une sorte « d’ambigüité » dans « cette communication du chef de l’Etat ». Tiens, tiens ! Vraiment, quand le chat n’est pas là…
Au-delà de cette liberté de ton à laquelle nous a très rarement habitués « l’Union » du pouvoir –– sauf un temps, sous Albert Yangari –, la divergence ouverte entre Me Ndaot et sa petite majesté sur la tenue ou non d’ « une concertation nationale à l’initiative du chef de l’Etat» pose plusieurs problèmes. Un qui est central : celui de la crédibilité du CND qui, jusqu’à présent, ne réunit pas tout le monde, ni l’essentiel de la classe politique gabonaise qui se trouve toujours en dehors. Ce qui argumente et crédibilise la crainte de Séraphin Ndaot de voir le combat politique dégénérer « en crise… pour déraper dans la rue » d’autant que pour le président du CND, le Gabon connaît un « contexte de tension sociopolitique aigu ». Son refus de tout dialogue national élargi à toutes les forces vives de la nation révèle, chez sa petite majesté, « rejeton » d’une famille qui a passé plus de temps non pas à accéder au pouvoir, mais à s’y maintenir par la force depuis cinquante ans, une volonté de s’y éterniser aux forceps. Ali Bongo Ondimba est parfaitement conscient que s’il s’engage dans le moindre dialogue, la moindre concertation, le plus petit début de discussion, même la moindre interview, sa situation administrative s’invitera au centre des débats. Et c’est ce qu’il doit et croit pouvoir éviter comme la peste. Crédibilité du CND, certes, mais également de Me Ndaot. Ira-t-il jusqu’au bout de cette divergence avec sa petite majesté ? Désaccord qui implique pour le président de cette institution de faire de sa « concertation nationale » une conditionnalité incontournable pour accepter de demeurer à la tête du CND. Certaines indiscrétions lui font confiance, elles laissent, en fait, entendre non seulement que le président du CND savait qu’ABO ne lirait pas sa communication dont il aurait même eu connaissance du contenu bien avant, mais également que l’insatisfaction de Me Ndaot ne serait que l’un des maillons d’une chaîne de tractations discrètes autour des conditions de la tenue d’un dialogue national. Entre la communauté internationale, sa petite majesté et sa cour, et certains acteurs politiques gabonais. Caricaturons à souhait l’état d’esprit qui guiderait ces discussions : nous tombons d’accord sur le fait que tu quittes les choses maintenant, nous sortons de notre chapeau un acte d’adoption qui fait de toi un héritier d’Omar Bongo et tu convoques une dialogue national à la Kerekou ; ou alors, le Gabon, en roue libre, descend la pente dangereuse d’une « centrafricanisation » et tu perds tout. Un peu fumeux ? Peut-être bien, mais, comme on dit, il n’y a pas de fumée sans feu.
Une inconnue demeure, ce que va vraiment faire sa petite majesté. ABO ressemble à ces seigneurs de guerre qui sévissaient en Chine. Les institutions républicaines n’étaient qu’une façade pour eux. Le pouvoir réel appartenait aux militaires. Avec eux le phénomène du militarisme atteignit son apogée. Et c’est eux que reconnaissaient diplomatiquement les Occidentaux à la fin du 19e et au début du 20e siècle. Si, l’insatisfaction officielle de Me Ndaot permet de supputer, même audacieuse, elle n’est en rien une garantie que sa petite majesté aurait opté, sous la pression des tractations, pour une sortie pacifique par la grande porte. Son absence, jeudi dernier, aurait tendance à confirmer tout le mépris qu’un « seigneur de guerre » comme lui voue à ses propres institutions et à un débat démocratique qui entamerait la perpétuation du système Bongo-PDG.
Article publié le 22 Février 2016