
Par : Stephen Jean Landry
Obumitri est un néologisme créé, comme nous le rappelle Pierre Franklin Tavares, par Ange Diawara dans les années 1970, et qui désigne au Congo une sorte d’oligarchie bureaucratique militaro-tribaliste.Philosophe, intelligent, avant-coureur, et même révolutionnaire par moment,P.F.Tavares, dans un article qu’il signe le 14 mars dernier, et où il analyse la situation au Congo, conjugue, quelque part, le Gabon au futur proche. De larges extraits de son écrit nous permettront de nous en convaincre. Commençons par celui-ci : « Lui [Denis Sassou Nguesso]… est à lui tout seul le véritable exécutif (gouvernement) ; sa famille ensuite, qui forme le parlement congolais ; enfin, son clan (les affidés), qui constitue le peuple.Tout le reste, et chacun le sait, n’est qu’apparence d’institution… Il est tout à la fois, lui-même, la loi et le peuple…Car chaque tyran croit être la constitution et le peuple… Et maints de ses conseillers, soucieux de leurs propres intérêts, ne l’engagent point à penser les faits mais, bien plutôt, lui assurent que le peuple fait corps avec sa personne et qu’en face c’est maïs, pour reprendre une expression célèbre. »
Des signes de faillite
Mais dans le Congo réel, pour Tavares, « c’est la quasi-faillite des institutions publiques : le système de santé a disparu. L’Éducation nationale s’est effondrée… L’armée est sous-équipée [sauf la Garde rapprochée comme au Gabon]. La Justice est aux ordres. L’économie est prisonnière d’un homme. La République est impossible, et pour cause. La démocratie, un leurre. La corruption gangrène tout l’édifice public. La tyrannie ne peut avoir de base éthique. Et le « plaisir » du tyran (Aristote) est la seule règle ».
Une diplomatie en faillite
« Le premier indice se révèle dans la série de défaites diplomatiques subies par Denis Sassou Nguesso et qui, de façon indubitable, donne à penser qu’il a définitivement perdu la bataille des chancelleries. Or, essentielles dans les relations internationales, ces batailles-là deviennent capitales lorsqu’il s’agit des jeunes États africains… »
Barils pétrole et monnaie de singe
« En effet, la forte chute du prix du baril de pétrole et la baisse des recettes fiscales qui en résulte annoncent (…) un second semestre 2016 marqué par le non-paiement des salaires des fonctionnaires, le ralentissement de l’activité, etc. Cette crise rendra insupportable le fait que Denis Sassou Nguesso et son clan détiennent 85% de l’économie congolaise, phénomène unique au monde. »
Pourtant, un Etat qui se maintient
Autant de faits qui, théoriquement, pour reprendre une analyse léniniste, ne devraient plus permettre au pouvoir Sassou de pouvoir continuer de gouverner comme avant. Or, Sassou vient de s’attribuer plus de 60% des suffrages. Il va donc continuer.
Raison pour laquelle le « révolutionnaire » P.F. Tavares écrit : « Un tyran ne sait pas quitter le pouvoir. Il doit y être contraint. L’épreuve de force est alors nécessaire et peut revêtir, selon les circonstances, une triple forme : douce (révolution de palais : changement de chef), brutale (coup d’Etat : suspension des institutions) ou générale (insurrection populaire : le peuple oriente les événements) ». Et de se poser la problématique de savoir « laquelle des trois formes prévaudra ».Ou seront-elles « concomitantes voire successives» ?
En conclusion, Tavares s’interdit de penser que nos États tyranniques puissent s’éteindre d’eux-mêmes. Il faut les y contraindre par la force populaire, notamment quand la voie des urnes, elle-même, loin d’être une promenade de santé dans nos pays, a échoué comme en 2009, au Gabon. Denis Sassou Nguesso, marxisant, sait que de ses classiquesqu’il y est énoncé que c’est seulement lorsque « ceux d’en bas » ne veulent plus et que « ceux d’en haut » ne peuvent plus continuer de vivre à l’ancienne manièreque le changement — la révolution ? — peut triompher.Au menu, il faut évidemment une crise nationale généralisée qui touche et ceux d’en bas et ceux d’en haut ainsiqu’une crise de gouvernement subie par ceux d’en haut telle qu’elle déverse dans la vie politique en marées humaines de mécontentstous ceux qui, jusque-là, demeurés apathiques, viendront ainsi multiplier à l’infini le nombre de combattants contre la tyrannie.
Mais, parce que l’Etat-Sassou et l’Etat-Bongo sont des réalités qui ne s’éteindront pas d’elles-mêmes, selon « la vague idée d’un changement lent, égal, graduel, sans bonds ni tempêtes… », il faut aussi, et là est peut-être l’essentiel, que la majorité des patriotes aient intégré et se nourrissent de la nécessité d’un changement radical et soient prêts à aller jusqu’au bout pour ce faire.

Sassou, qui vient de rempiler, comme il en a l’habitude, semble se dire que les Congolais n’en sont pas encore là. Sa petite majesté qui vient de vivre l’expérience congolaise comme une sorte de répétition, en live, de ce qu’il réserve aux Gabonais, en juin, en août, ou plus tard, le pense aussi.
Compaoré aussi, chez lui,mais il fut surpris par les Burkinabés. Les Duvalier, eux, par les Haïtiens.
Article publié le 29 Mars 2016