
Par : Stephen Jean Landry
Beaucoup pensent que les contradictions au sein de l’opposition gabonaise sont de même nature que celles qui opposent les formations de l’opposition au pouvoir en place. Les contradictions au sein de l’opposition ne sont pas nouvelles. Dès 1990, le FUAPO rivalisa avec le Morena des Bûcherons, sans compter le nombre important des autres partis opposés à Omar Bongo. En 1993, 12 candidats de l’opposition se sont opposés à Omar Bongo. En 1998, 7. En 2005, 4. Et en 2009, près de 20 contre Ali Bongo.
Leurs rivalités entre formations et personnalités de l’opposition sont rarement programmatiques. Leurs projets de société portent en eux les mêmes préoccupations de démocratisation, d’alternance, de progrès économique, social et culturel. Mais ils ferraillent ailleurs et systématiquement. Le plus souvent, lorsque la magistrature suprême est en jeu. La question de la détention ou de la proximité du pouvoir est transcendante à celle de savoir ce que l’on va y faire. Elle est en fait une sorte de garantie de survie politique pour les élites. Et, pour ce faire, ces dernières sont contraintes, dans l’état de sous-développement actuel du Gabon et pour tenir un rôle de poids, de s’appuyer d’abord et avant tout sur leur communauté ethnolinguistique qui est la première force avec laquelle, tout naturellement, elles peuvent prendre langue et qu’elles ne manqueront pas d’exhiber dans le rapport de forces permanent qui fonde toute vie politique. Ce n’est pas un fait du hasard si les non-dits assourdissants assimilent, au Gabon, les responsables de parti à leur communauté ethnique. Dans les années 90, Mba Abessole et son « Morena des Fangs », Agondjo Okawe et son « PGP des Myènès », Mamboundou et son « UPG des Punus », etc. Aujourd’hui, le Gabon toujours « puzzlé » par ses ethnies, les choses n’ont pas fondamentalement évolué. Des caractéristiques et des considérations identitaires, souvent voilées parce que politiquement incorrectes, guident régulièrement motivations, analyses et prises de position politiques.
Historiquement, ce fond ethnique a encore de beaux jours devant lui. La fin des replis identitaires n’est envisageable qu’avec les acquis que sont l’instauration d’une alternance politique légitimée par tous, le progrès économique et leur corollaire : le brassage national des forces de production que sont les hommes, les femmes et les jeunes. Toutes choses que la tyrannie bongoïste n’a pas accomplies en près d’un demi-siècle. Bien au contraire, elle a entretenu l’illusion de l’unité nationale mais, dans les faits, le diktat et l’absence de vision bongoïstes et, bien évidemment cette fameuse géopolitique – que l’on devrait qualifier plus justement d’ethnopolitique – ont eu plutôt tendance à institutionnaliser les replis identitaires au Gabon.
L’opposition n’échappe pas aux pesanteurs identitaires. Elle en est traversée, elle également. Notamment par des débats qu’elle refoule, mais qui s’y rattachent, masqués par des non-dits. Des débats dont elle souffre dans son cheminement sans cesse renouvelé vers son unité. Des débats qu’elle ne peut ni éliminer ni éternellement ignorer.
Ce sont, toutefois, des questions qui sont consubstantielles de celles liées à l’évolution démocratique, au déclenchement d’une économie de production, au bien-être social, et à l’épanouissement culturel. Autant de chapitres dont les aboutissements se déclinent en plusieurs quinquennats, parce que nous avons affaire à des mutations, à du long terme. Malheureusement, l’opposition gabonaise, hâtée par la multiplication et la proximité des contextes électoraux, tout particulièrement ceux qui touchent à la magistrature suprême, est bien souvent prisonnière des débats à court terme dont, bien souvent les ambitions et les prétentions procèdent, quant au fond, de la géopolitique, de l’ethnopolitique. Elles se traduisent le plus souvent par des tiraillements autour des postes à occuper dans l’exécutif, dans les institutions. Des ambitions et des prétentions géopoliticiennes exprimées rarement au nom d’une communauté ethnique bien précise – ce qui serait considéré comme politiquement indécent – mais plutôt au nom de principes jugés politiquement corrects. Et comme le nombre de postes dans l’exécutif et dans les institutions est nettement insuffisant, les motifs de contradictions sont, proportionnellement aux insatisfaits, encore plus nombreux.
Des contradictions, comme noté plus haut, qui ne sauraient être ni ignorées, ni tues. Elles s’imposent à tous et méritent d’être examinées plus sous l’angle de ce qu’il y aura à faire demain en matière de relations interethniques dans le cadre d’un Gabon débarrassé d’Ali Bongo, lorsque l’alternance sera réalisée, que sous l’angle du partage immédiat des confettis du système Bongo.
C’est à ce titre que les contradictions interethniques qui ont, quant au fond, toujours agité les relations entre organisations de l’opposition sont à classer au rang de contradictions secondaires. Elles peuvent être traitées par la patience, la discussion, la persuasion d’autant qu’elles ne trouveront de solutions définitives qu’après l’alternance et l’entrée du pays dans les mutations qui conduiront à sa refondation.
Les contradictions interethniques ont un caractère fondamental. Leurs résolutions dépendent de la construction de la nation. Elles auront tendance à se désactiver en fonction des succès que le Gabon accumulera dans sa marche vers sa modernisation. C’est pourquoi aujourd’hui, elles doivent être comprises comme des contradictions secondaires même si elles conservent un caractère fondamental. La présence de sa petite majesté au pouvoir étant la contradiction principale.
Ce qui devrait pouvoir tempérer les contradictions entre fractions de l’opposition qui, après avoir défini leur ennemi principal, se sont neutralisées, une nouvelle fois, en hissant au même niveau, et sans le dire expressément, une contradiction, certes fondamentale, mais encore secondaire : la place des ethnies dans le cadre du développement économique et du champ politique citoyen dans le Gabon de demain. Il serait, par exemple, curieux pour l’opposition de penser réformer l’économie sans avoir, au préalable, avoir résolu la question de l’accession au pouvoir.
Article publié le 23 Mars 2016