EDITORIAL : L’Union sacrée, rien qu’elle !

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Désiré Ename

Par : Désiré Ename

Lors de son discours du 5 avril dernier, Guy Nzouba Ndama a invité les Gabonais « à se lever comme un seul homme, pour répondre à l’appel que je lance ce jour en vu de sauver le Gabon… » Cet appel survient au moment où la classe politique, rejointe par la société civile, s’est mobilisée autour d’une Union sacrée, pour exiger le départ d’Ali Bongo Ondimba non pas par la voie des urnes, mais par une destitution en bonne et due forme.

L’Union sacrée répond d’abord à une aspiration populaire profonde et à une exigence populaire essentielle ensuite. Cette aspiration populaire profonde est un cri lancé déjà dès 2009 par un groupe de femmes où, en pionnières, Annie-Fore Batchiellilys et Annie-Léa Meye, à l’époque à la tête de l’association Cri de femmes, ne brassaient pas l’air quand elles appelaient les hommes de l’opposition à s’unir autour d’une candidature unique. Cette aspiration populaire profonde a eu un début de réponse cette année-là, quand, en effet, un nombre de candidats à l’élection s’était regroupés autour d’André Mba Obame. Le résultat, on le sait, a été la victoire. Cela a été reconnu par des réseaux françafricains dès novembre 2010 sur France 2, une des chaînes publiques de la télévision française. Ceux-là mêmes qui avaient organisé l’inversion des résultats. Puis par Pierre Péan dans son livre « Nouvelles Affaires africaines. Pillages et mensonges au Gabon ». Et reconnu récemment par le Premier ministre français, Manuel Valls, en déclarant qu’Ali Bongo a été élu, mais « pas comme on l’entend ». C’est dire ce que cette aspiration populaire a produit lorsqu’elle a été entendue.

Nous pouvons remonter plus loin et réaliser que chaque fois que les forces agissantes contre le système Bongo se sont coalisées, même autour des alliances fragiles comme le Front uni des associations et partis politiques de l’opposition (Fuapo) de 1990 ; ou la Coordination de l’opposition démocratique (Cod) de 1991, voire la tentative d’une Union républicaine (UR) de 1993 qui a malgré tout abouti à une charte, ou même le Haut conseil de la République devenu Haut conseil de la résistance (HCR) après la présidentielle de 1993, le pouvoir en face a toujours vacillé et n’a dû sa survie qu’aux atermoiements des individualités, non pas à dépasser les ego, car là n’est véritablement pas le problème, mais à comprendre la différence entre la contradiction fondamentale et la contradiction secondaire.

Au-delà de l’imperfection du FRONT, il y a eu à la base cette aspiration profonde des populations. Elle continue de se manifester. Et malgré les cassures, le peuple y croit. Et le peuple a le sens de la realpolitik. Ou de façon plus prosaïque le sens de ce que Machiavel appelait « la verità effetuale » (la vérité effective ou le sens politique pratique qui se fonde sur la réalité des choses et des circonstances du moment, et non pas sur la manifestation des leurres).

Pourquoi l’Union sacrée, rien qu’elle ? Simplement parce qu’elle s’inscrit dans la constance du peuple. C’est-à-dire qu’elle s’établit dans cette aspiration profonde des populations. A savoir, puiser dans ce qu’elle a imprimé depuis 1990 comme la seule possibilité pour arriver au but. Ces dernières n’ont pas, depuis le retour au multipartisme, bougé d’un iota de leurs appels, avec force détermination, à voir d’abord les hommes politiques qui s’élèvent tour à tour pour combattre le même système, à comprendre que non seulement l’Union fera la force, mais ensuite qu’au bout, seule l’Union aura raison du système. Que seule l’Union donnera raison à leur engagement. Que seule l’Union matérialisera l’aspiration profonde de chacun d’entre eux en donnant légitimité et légalité à leurs ambitions individuelles. Dans le cas contraire, il n’en sera rien.

L’autre aspect de la question, disions-nous, est l’exigence populaire essentielle. Rappelons que cette exigence est contenue comme une évidence dans le discours fondateur du FRONT, le19 juillet 2014. Elle consistait déjà à sommer l’actuel occupant du palais du Bord de mer de prouver aux Gabonais que sa situation d’état civil était bien conforme à l’article 10 de la Constitution gabonaise. Dans le cas contraire, le FRONT envisageait de le destituer. Et convaincu de l’impossible preuve au vu des contorsions sur son dossier de candidature antérieur, il incluait d’ores et déjà dans ses statuts la destitution de sa petite majesté (SPM) tropicale Ali Bongo Ondimba comme préalable à la tenue d’une quelconque élection présidentielle. Cette nécessité est plus tard ancrée dans l’opinion suite à la plainte de Jean de Dieu Moukagni Iwangou en novembre 2014. Puis, à César ce qui est à César, deux ouvriers se mettront en action autour de cette exigence : « Article 10, Ali bouge de là » et la CAPPO, une coalition d’associations en France, qui comprend, entre autres, le Mouvement des femmes commandos, OGARSEA, FREE Gabon et REAGIR. La destitution est exceptionnellement entretenue par la CAPPO et Article 10 par leurs actions. En France, la CAPPO jouera un rôle d’éveil. A telle enseigne que la conjonction des actes que ces groupes poseront va incruster dans la conscience collective l’exigence de la destitution d’Ali Bongo Ondimba. Ainsi, cette exigence est devenue l’exigence populaire essentielle aujourd’hui. C’est autour d’elle que naît l’Union sacrée.

« Comment aller à une élection avec un SPF », a demandé Chantal Myboto Gondjout le 19 mars 2016, invitant même ce dernier à un débat télévisé. Et c’est ce que Jean Ping fait bien de réaliser aujourd’hui en faisant marche arrière. Mais qu’il sache qu’il ne sera rehaussé que par cette seule démarche et non pas par celle qui consiste à venir bêcher un champ dont on connaît les laboureurs afin d’espérer passer pour « LE » laboureur.

Tout récemment, Nzouba Ndama a cristallisé toute l’attention des Gabonais. A « Echos du Nord », nous avons applaudi son courage et sa sage décision de se démarquer de SPM version tropicalisée. Mais a-t-il entendu le peuple gabonais qu’il appelle à se mobiliser autour de lui ?

Oui, il a des forces. Oui, il peut faire vaciller le « pied gauche ». Oui, il peut faire fléchir de nombreux indécis du PDG et redonner de la force à ceux qui ont peur de franchir la ligne de définitivement le faire. Oui, il a des réseaux et des bons, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Mais sa faiblesse sera de vouloir exister seul. Et d’exister avec la certitude qu’il vient de reconquérir une virginité politique en oubliant ce que Me Robert Bourgi a rappelé dans son interview à France 24 : « Intra muros et extra muros deux hommes ont opéré en 2009. » Il est l’un d’eux. Le peuple gabonais en est conscient. D’où la question que nous nous permettons de reposer : Nzouba Ndama a-t-il entendu le peuple dans son aspiration profonde et dans son exigence essentielle ?

Nous avions, par le passé, acté que Nzouba Ndama, comme Jean Ping, Jean-Pierre Lemboumba Lepandou et d’autres, avec certains de leurs lieutenants, étaient les membres de la « Firme » qui n’avait pour but que de conserver leurs acquis, le pouvoir étant l’un d’eux. Cette certitude est appelée aujourd’hui soit à être contredite, soit à être confirmée. Car trop de questions sont restées en suspens. Guy Nzouba Ndama n’a pas formellement démissionné du PDG version SPM tropicalisée. Pourquoi ? Sur l’Union sacrée, il n’a soufflé mot. Pourquoi ? Snobe-t-il cette aspiration profonde du peuple ? Ne complique-t-il pas l’équation au PDG-H&M qui apparaît dans la conscience populaire comme un de ses grands soutiens ? Ce bloc, que l’on sait entier dans sa détermination, va-t-il avoir un pied dehors et un pied dedans vu son engagement dans la création de l’Union sacrée au cas où il se prononcerait officiellement pour Nzouba Ndama ? Autant de questions qui méritent des réponses nettes, claires et précises.

Il est une vérité incontestable : tout changement réel au Gabon, quelle qu’en soit la forme, se fera avec l’apport des vrais patriotes qui sont aussi au sein du PDG. Ils pourraient même être invités à jouer le rôle le plus actif au sein d’une transition plus qu’inévitable aujourd’hui. Mais cela, incontestablement, ne se fera qu’au sein d’une Union sacrée. Quels que soient les leviers dont les uns et les autres disposent, c’est la conjugaison de tous ces leviers qui aboutira à la naissance d’une nouvelle République. C’est cela le sens de l’aspiration profonde du peuple et son exigence essentielle. C’est en cela que l’Union sacrée est capitale. Rien que l’Union sacrée pour la refondation du Gabon.

Article publié le 13 Avril 2016

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