
Par : Désiré Ename
Dans l’ordre protocolaire, le président de l’Assemblée nationale est certainement la quatrième personnalité de la République. Qui plus est, ces vingt-cinq dernières années, il a été une des personnalités les plus en vue de la République. Et certainement des plus puissantes. Ali Bongo le sait. Sa démission ne peut le laisser indifférent. Le faire croire, comme il l’a tenté sur les antennes de la Voix de l’Amérique, n’était que pouressayer de dissimuler, au-delà de la peine, un deuil sinon plus profond que celui de la perte du père de son gourou Maixent Accrombessi.
Ses dernières tentatives pour le ramener à de meilleurs sentiments ont été vaines. A celui qu’on veut aujourd’hui présenter comme un aigri, il a été tout proposé. ABO a offert sur un plateau la prérogative de désigner, à travers le Gabon et sur chaque siège, les députés PDG qui concourront en décembre prochain pour le renouvellement de l’Assemblée nationale. Nzouba Ndama, en guise de réponse, s’est contenté de caresser sa barbichette blanche. ABO lui a brandi un confort au-dessus l’actuel. Même attitude : une caresse sur la barbichette avec un sourire en coin pour appâter le chaland et le plier davantage. Parce qu’il sait Ali Bongo à genoux. Il est passé par une autonomie financière.En sage, il n’a fait qu’acquiescer. Les cinq doigts de la main droite farfouillant délicatement sa barbichette blanchie avant même que le poids de l’âge ne fit ses ravages. Sa petite majesté tropicale a été pris dans son propre piège. Dire oui, oui, oui ; et vlan ! Ramasser un NON à l’effet de massue.
Ali Bongo s’attendait certainement à tout, sauf à ce radicalisme. Nzouba Ndamaconnaît bienAli Bongo Ondimba. Un homme sans parole. Pour qui la vérité n’est pas qu’à demi-teinte, mais sans existence.
Le drame de sa petite majesté tropicale c’est l’absence de mémoire. Nzouba Ndama avait tout essuyé pour la montée d’un Ali Bongo qui, aux heures de 2009, manquait d’assurance. C’est cet homme qui circonscrira la sphère d’influence et de décision. Ce sera l’espace du « pied gauche, pied droit », les deux pieds du PDG qu’il disait être l’Ogooué-Lolo et le Haut-Ogooué. Il consolidera ces deux blocs en plus des relais dans d’autres zones pour lui apporter du soutien. Qu’on le veuille ou pas, la politique de « papa », sa petite majesté tropicale le sait, a été formatéeau cours de ces quarante-deux ans de pouvoir autour de la réalité tribale et clanique. Il en a été ainsi du mode de production et de redistribution. Dans le discours, il a toujours été question de « l’homme qu’il faut à la place qu’il faut ». Mais à la pratique, « l’homme qu’il faut » n’était jamais à sa place. OBO a mis en œuvre un modèle politique unique : diriger le Gabon non pas selon les canons de la gouvernance moderne, mais comme dans un grand village ou, après une partie de chasse, « le gibier est partagé à tous » sur les règles de la solidarité villageoise. Ce type de modèle ne s’efface pas sur un décret. Seulement à partir de la réforme consensuelle des règles.
Sa petite majesté tropicale n’a pas compris que tout système a ses codes et les gardiens de ces codes ; c’est-à-dire cette forme de gérontocratie, que l’on découvre lors des grandes palabres au corps de garde. C’est cette gérontocratie qui détient le secret des successions et souvent aussi des « choses cachées », comme aime à le redire Jacques Adiahénot. C’est ainsi qu’il est arrivé au pouvoir. Non pas par des voies démocratiques, mais par un jeu d’influence au centre duquel s’est trouvé un pilier :Guy Nzouba Ndama.
Nzouba Ndama, c’est le pays nzebi resté fidèle au PDG. Ainsi était la répartition d’Omar Bongo dans sa vision du jeu politique au Gabon. Zacharie Myboto passé à l’opposition, il deviendra son relais dans ce groupe. Conforté par son poste, il va vite comprendre ce rôle déterminant dans ce bloc. C’est lui que les autres sages de son rang écoutent et suivent. Tant au plan visible qu’invisible. Ainsi fonctionnent nos contrées. C’est cela la réalité gabonaise. Une myriade de lieux où se côtoient initiés, jeunes, femmes, vieillards et enfants. C’est cela aussi nos modes de vie, qui se fondent depuis quarante-deux ans autour des valeurs traditionnelles au cœur desquelles figure le dialogue, clé de voûte de notre vivre-ensemble. Voilà ce que Héritage et Modernité traduisait en faisant tinter la sonnette d’alarme. Voilà ce qu’Ali Bongo, la petite majesté tropicale, n’a pas compris. Et pourtant, il aurait pu se parer des conseils de Nicolas Sarkozy, lui rappelant, au cœur de ce palais international des congrès de la cité de la Démocratie qu’il a détruit, que les réformes sont une bonne chose, mais il faut aller progressivement avec elles.Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Ali Bongo avait souri durant l’allocution du président Sarkozy.
Tout comme aujourd’hui, il fait mine de sourire et de donner cette assurance qui habille le visage de celui qui veut cacher une lourde peine. Ali Bongo Ondimba sait que Nzouba Ndama n’est pas un aigri et qu’il valait mieux ne pas l’avoir en face de lui.
Article publié le 4 Avril 2016