TRIBUNE LIBRE : Lettre au ministre de la justice

jonas Moulenda
Jonas MOULENDA

Par : Jonas MOULENDA

Monsieur le Ministre,

Si vous montez encore sur vos ergots, tel un coq dans la basse-cour, et m’affublez de tous les noms d’oiseau parce que je vous dis, sans fioriture, ce que j’ai sur le cœur à travers cette philippique, je n’en serai pas du tout étonné. Car c’est une réaction propre aux personnes qui ont des choses à se reprocher. « La vache qui a une plaie au dos craint que le corbeau s’y pose », disait d’ailleurs mon grand-père.

Aujourd’hui, votre système judiciaire bancal est l’unique objet de ma tristesse, l’unique objet de mon ressentiment pendant mon lointain exil, l’unique objet de ma faiblesse. Avec votre justice à deux vitesses, vous opprimez de nombreux citoyens et leur donnez ce sentiment d’étouffement. Quoi qu’il survienne, je reste solidaire de ces milliers de Gabonais meurtris. Nombreux sont ceux qui en souffrent terriblement sans mot dire. Cela se ressent par leur attitude. « Si tu frappes quelqu’un et qu’il se tord la bouche, c’est qu’il a mal », m’expliquait mon papy, grand pugiliste de son époque.

Dans les pays sérieux, dirigés par des gens sérieux, la justice est un outil indispensable pour le développement. Mais tel n’est pas notre apanage dans la République bananière que vous avez bâtie minutieusement, brique par brique. Il faut redonner ses lettres de noblesse à notre système judiciaire pour renforcer son indépendance, reconstruire sa crédibilité et son efficacité. Notre justice doit respecter la personne humaine, en tenant compte des normes internationales. Elle s’attarde plus sur des vétilles que sur ses missions. C’est ce qui lui vaut ce discrédit. Mon grand-père disait : « L’éléphant qui mange les termites se fait un mauvais renom. »

Des organes de contrôle pour le respect des règles et lois en vigueur doivent être créés. Car la torture est devenue systématique dans les lieux de détention. Les gardes à vue y sont désormais la règle et non l’exception. Le parquet de la République, la brigade de gendarmerie et le commissariat de police sont devenus des bras armés du dictateur Ali Bongo, connu pour son esprit vindicatif. Il s’en sert pour régler les comptes à ses contradicteurs. Finalement, Al Mutanabbi avait raison, lui qui a dit : « Chaque fois que le temps à fait croître un bâton, au bout du bâton, l’homme a mis une lance. »

Si vos magistrats rendent justice au nom du peuple, qu’ils commencent d’abord par arrêter Ali Bongo pour faux usage de faux. Car tous ses documents d’état civil qu’il a fournis sont des faux. Qu’ils arrêtent aussi son ami très personnel Maixant Accrombessi et toute l’oligarchie qu’il a mise en place pour pomper les finances publiques de notre pays. C’est à partir de ce moment que notre justice se réconciliera avec le peuple qu’elle opprime au quotidien. Malheureusement, vos magistrats n’arrêtent que de menus fretins et laissent les grosses légumes. « L’hyène n’est pas une proie facile pour le chacal », observait mon aïeul.

Aujourd’hui, il suffit qu’un membre du Parti démocratique gabonais (PDG) décide de rallier l’opposition pour que votre justice affirme qu’il a détourné des deniers publics dans un passé lointain. C’est ce qui s’est passé avec Serge Maurice Mabiala, Paulette Missambo, Léon-Paul Ngoulakia et bien d’autres citoyens en rupture de ban avec votre régime. Vous avez créé la justice des gouvernants, au détriment de la justice républicaine. Cette même justice se retournera contre vous lorsque vous ne serez plus aux affaires. « Quand l’oiseau vit, il se nourrit des fourmis. Quand il meurt, les fourmis se nourrissent de sa chair », disait mon pépé.

La justice doit être rendue au nom du peuple gabonais. Les procureurs et auxiliaires de justice sont supposés être des mandataires, chargés de rendre justice au nom du peuple. Ils sont supposés se soucier de l’opinion du peuple qui est leur mandant. Les procureurs et auxiliaires de justice doivent se conformer aux lois de la République votées par les représentants du peuple siégeant au Parlement. Ils doivent également être en harmonie avec les valeurs morales et sociétales. Posez les bases d’une justice républicaine ne serait-ce que pour le bien de votre progéniture. Mon aïeul m’expliquait que « c’est pour ses petits que l’éléphant déblaie les brousses ».

Monsieur le Ministre, je vous demande donc en toute citoyenneté de sévir contre cette manière de rendre justice qui n’honore pas notre pays. L’indépendance à l’égard des justiciables doit être réelle. Le renforcement de cette indépendance doit s’analyser à ce niveau en la répression systématique de la corruption dont la sanction serait la révocation pure et simple pour tout magistrat confondu, sans préjudice des poursuites pénales. Ne pas sévir serait un moyen d’encourager ces velléités. « Quand le singe tombe d’un arbre, s’il ne se blesse pas, il reprend à jouer », disait mon grand-père.

Article publié le 25 Avril 2016                                                                    

Copyright@echosdunord.com