Hommage à Katucia Dickobou : Une étoile s’est éteinte au milieu de la nuit
UN soir d’avril 2006, alors que je dînais dans un restaurant à Ancienne Sobraga, après une journée chargée à la rédaction du journal L’Union que je servais, une jeune fille s’est avancée vers moi. « Je suis Katucia Dickobou, étudiante à l’Université Omar Bongo. Je lis régulièrement vos articles. Je tenais à vous en féliciter pour votre pertinence. J’aimerais devenir comme vous après mes études », m’a-t-elle dit.
Nous avons échangé nos contacts. De temps à autre, Katucia me rendait visite au journal pour soit me donner une information, soit pour recueillir mes conseils sur le journalisme qui la passionnait. Un jour, je l’ai absentée au téléphone. Je lui ai laissé un message. Lorsqu’elle m’a rappelé, elle s’en est excusée, m’expliquant que c’était le réseau Libertis qui était défaillant. Je lui ai acheté une ligne Airtel (079858…) que je suis allé ensuite lui remettre devant le portail de l’Université Omar Bongo.
Les jours suivants, le volume de nos communications s’est accru. J’ai découvert une « cadette » très polie, partageant ma passion pour le journalisme. Plus tard, elle a intégré la rédaction de L’Union pour un stage. Elle n’hésitait pas de venir à mon bureau ovale de chef de Service Faits Divers et Justice, surnommé « Service des macchabées en raison des articles sur des découvertes macabres.
Katucia a fait le tour de principaux services de la rédaction. C’était une stagiaire dévouée et très réceptive. Son éclectisme lui permettait de faire des progrès notables. Même le rédacteur en chef, Léonard-Brice Mba Assoume et son adjoint, Véronique Nyangui appréciaient ses efforts. Lorsque j’ai démissionné de L’Union en 2013, elle était triste de me voir partir. Quelques mois plus tard, elle a intégré Echos du Nord où j’ai continué à guider ses pas. Elle avait embrassé mon combat, celui du directeur de Publication, Désiré Ename, et d’autres piliers de la rédaction.

Katucia, en compagnie de ses collègues de Nord Editions, et internée après avoir couvert les troubles enregistrés lors du départ du corps d’André Mba Obame.
COMBAT ET HUMILITE. Aujourd’hui, Katucia n’est plus. Elle est « retournée chez elle », endeuillant Echos du Nord et Faits Divers. Katucia Dickobou n’a jamais voulu être une icône, elle, dont les premiers mots à son arrivée à Nord Editions furent: «Je te suis partout, Ivounda (Grand, Ndlr). Tu ne peux pas m’échapper. Nous sommes ensemble pour le combat.» C’est pour honorer cette leçon de combat et d’humilité au service de la libération du Gabon que je lui rends cet hommage.
Aujourd’hui, je salue le combat d’une vie, qui fut le symbole de la presse libre. Celle d’une jeune Gabonaise déterminée, celle d’une journaliste talentueuse, celle d’une combattante qui a fait le choix de la lutte par la plume, quand la tyrannie du pouvoir ouvre toutes les portes de la violence, celle d’une cadette partageant la même matrice culturelle. Telle fut l’existence de Katucia, discrète, faite des peines les plus profondes comme des joies les plus grandes.
La dureté de sa lutte est indissociable de son ambition de participer à la libération du Gabon, fondée sur l’égalité de tous les Gabonais. Elle est devenue la figure de proue de ce combat au niveau de la gent féminine à Nord Editions. Le sourire de Katucia était une constellation de sourires, de ses sœurs et frères gabonais et de ses collègues. Elle était le visage réconfortant, familier de ceux qui n’abdiquent pas face aux tentatives de musèlement de la presse, la discrimination, l’exploitation, l’oppression, de ceux qui tendent la main, qui rassemblent autour de causes justes qui font l’essence de l’humanité.
Elle était le cœur de la rédaction du journal Echos du Nord en ligne, organisant les rubriques de la rédaction. Elle était l’expression de cet engagement du peuple gabonais uni que reflète le journal Echos du Nord aujourd’hui. Elle était le terreau, la synthèse des revendications sous-tendues par la lutte pour l’égalité et la démocratie. Elle fut ce que la force collective, le combat commun, le rassemblement peuvent produire de meilleur.
Alors, aujourd’hui, alors que Katucia n’est plus, que le Gabon poursuit son combat vers la libération, nous ne saurions mieux lui rendre hommage qu’en reconnaissant ses mérites. Une étoile s’est éteinte au milieu de la nuit. Elle laisse la jeune génération de journalistes avec quelques exemples héroïques de tâches accomplies. Mais elle nous laisse aussi avec d’énormes défis, avec des problèmes anciens et nouveaux. Nous refusons de succomber au désespoir.
Par Jonas MOULENDA