INTERVIEW EXCLUSIVE DE BARRO CHAMBRIER: « C’est certain, tout plaide en faveur de Jean Ping »
« Echos du Nord » : La campagne a pris un tournant décisif avec l’union autour de Jean Ping.
: Alexandre Barro Chambrier : Effectivement, nous pou- vons considérer que l’opposition, avec la candidature unique de Jean Ping, vient de franchir un pallier supplémentaire qui, dans le cadre d’un scrutin à un seul tour, donne indéniable- ment plus de chance pour l’alternance. C’est donc un tournant important pour la dynamique de l’opposition et, comme vous le savez, c’était à la demande d’une très large majorité des Gabonaises et des Gabonais. C’était également le souhait de la communauté internationale qui nous l’a fait savoir, surtout nos compatriotes gabonais qui aspirent à ce changement. Ils voient maintenant leur exigence satisfaite. Il convient de saluer la maturité politique des hauts responsables qui étaient candidats, mais qui ont accepté de s’unir pour faire prévaloir l’intérêt général du pays et donner ainsi une chance très nette à l’alternance. Il y a donc maintenant de très fortes chances, de très fortes probabilités, pour que monsieur Jean
Ping, le 27 au soir, accède au palais du Bord de mer.
EDN: Vous avez sillonné le pays lors de la précam- pagne. Quel sentiment vous inspirent les populations ?
Un sentiment d’adhésion à un changement véritable dans la gestion du pays. Une adhésion totale en faveur des libertés fondamentales, en faveur d’une démocratie mieux enracinée, une démocratie véritable qui doit permettre de restaurer le scrutin à deux tours, qui doit nous conduire à la limitation des mandats. Les Gabonais ne veulent plus voir une famille s’éterniser pendant près d’un demi-siècle au pouvoir. Ils le disent très clairement. Les Gabonais veulent voir un renouvellement de la classe politique, même s’ils s’accordent
pour que les personnalités expérimentées, des personnes aguerries, puissent accompagner cette période de transition. Il est très clair que les aspirations de notre peuple vont dans le sens des réformes, de la satisfaction de leurs besoins de
base. Les attentes vont dans le sens de la justice sociale. Nous avons vu l’abandon d’une certaine localité depuis plusieurs années, nous avons vu des pistes d’éléphants dans nos voyages, qu’il s’agisse du Nord, du Sud, de l’Est ou de l’Ouest. La même désolation est partout : les dispensaires abandonnés, l’absence de médicaments. Dans les situations d’urgence voyez-vous, les risques sont énormes de ne pas pouvoir recevoir les soins nécessaires. Les Gabonais veulent d’une école de qualité, ils veulent accéder à des logements sociaux décents. Voilà les attentes des Gabonais. Ils veulent que leur pays recouvre sa dignité, que l’économie puisse redémarrer sur de bonnes bases et ils veulent être autonomes. Les efforts doivent tendre pour créer une classe moyenne véritablement au Gabon qui pourra effectivement faire face aux besoins de base et qui permettra aux Gabonais de se sentir mieux chez eux.
EDN: Le pouvoir en place parle du risque d’embrasement, voire de guerre civile que le candidat Jean Ping, dont vous êtes un des coordinateurs de la campagne, représenterait. Il a d’ailleurs été interpellé à Koula-Moutou par Ali Bongo. Quelle est votre réaction ?
Le risque d’embrasement, c’est de par l’obstination d’Ali Bongo à concourir coûte que coûte pour cette compétition dont nous savons qu’il aurait pu parfaitement renoncer, après avoir eu la chance d’avoir un mandat dans les conditions que nous savons. L’embrasement, c’est Ali Bongo qui le suscite par la brutalité, la violence de ses propos. Nous l’avons même vu, je crois, esquisser des pas de boxeur. Voilà le chef de l’Etat, la clé de voûte des institutions qui se transforme, le temps d’un meeting, en Mohamed Ali. Je ne sais pas si vous vous imaginez. On se demande où nous sommes. Le risque d’embrasement est dans cette posture agressive. Le risque d’embrasement, c’est cette saturation des Gabonais qui n’en veulent plus et qui voient l’effigie d’Ali Bongo tous les 10 mètres sur la route, au risque de susciter l’écœurement par la monopolisation de l’espace public. Le risque d’embrasement, c’est le refus de permettre l’expression des autres dans les medias publics. C’est le refus de favoriser un débat contradic- toire. C’est tous les préparatifs qui se déroulent aujourd’hui pour une fraude massive à travers des bureaux de vote pirates, à travers le retrait massif des cartes d’électeurs par nos frères et sœurs du PDG qui font des photocopies contre espèces son- nantes et trébuchantes. Le risque d’embrasement, c’est cette volonté de s’évertuer à fausser les résultats de l’élection. C’est enfin ce passage en force qui veut faire fi de la volonté pro- fonde et réelle du peuple gabonais qui aspire à choisir libre- ment son dirigeant, en l’occurrence Jean Ping.
EDN: La presse internationale qui couvre la campagne d’Ali Bongo Ondimba parle de sa capacité de mobilisation. Allant jusqu’à lui donner des chances de victoire. Quelle et la cartographie réelle des forces en présence après le tour- nant du 16 août ?
Voyez-vous, la capacité de mobilisation peut être trompeuse parce que nous savons que beaucoup de ceux qui viennent aux meetings d’Ali Bongo sont transportés. Ils sont incités, financièrement parlant. Nous savons que ce sont les mêmes qui se déplacent dans tous ses meetings à l’intérieur du pays. Il ne faut pas confondre la foule et le vote. Vous avez toujours dans ces rassemblements et c’est valable pour l’opposition comme pour le parti au pouvoir. Des gens qui viennent par curiosité ou parce qu’ils s’ennuient. Ils viennent pour avoir un tee-shirt, une casquette, etc. Le PDG, nous devons lui reconnaître ses capacités puisqu’ils ont à portée de main des ressources financières qui devraient normalement être dévolues pour résoudre les problèmes de base des habitants, mais qui sont aujourd’hui utilisées pour des besoins de propagande. Tout cela est trompeur et d’ailleurs la presse internationale a très bien compris depuis le 16 août que la donne a changé. Elle voit très bien que le rapport de force s’est très nettement inversé. Monsieur Ali Bongo qui déjà a été déclaré en 2009 vainqueur dans les conditions que nous savons, je ne le vois pas aujourd’hui, avec l’hémorragie des cadres et militants qui quittent le PDG. Il faudrait être myope pour comprendre qu’Ali Bongo et les partisans qui lui restent sont largement minoritaires depuis cette dynamique de l’opposition, cette union autour de Jean Ping. Au regroupement de Léon Paul Ngoulakia et d’autres person-nalités. Nous ne pouvons pas douter du patriotisme de la volonté de la population. Nous pouvons raisonnablement dire que Jean Ping, au soir du 27 août, dès 17 heures, sera déclaré vainqueur de cette élection. Cette fois, nous pouvons véritablement célébrer la première véritable alternance dans notre pays.
EDN: Que répondez-vous aux piques de vos adversaires qui vont jusqu’à vous accuser de corruption ?
Corruption ? Mais par rapport à quoi? Vous savez, il faudrait que chacun se regarde dans la glace. Si c’est en rapport avec la procédure de choix du candidat unique, je crois qu’il ne faudrait pas faire injure à ces valeureux compatriotes réunis autour de Zacharie Myboto, tels que le Premier ministre Ntoutoume Emane, Jacques Adiahenot et bien d’autres. Ce sont des personnalités d’un caractère très fort, ce sont des patriotes, des sages. Avec beaucoup d’autres personnes telles que Anaclet Bissielo et d’autres de la société civile. Il serait fastidieux de dénombrer tout le monde. Ce serait donc faire injure à la culture démocratique et au respect des valeurs que de penser que l’on pourrait nous acheter pour une cause qui nous dépassait tous individuellement. Le secret espoir de nos adversaires était de penser que nous n’y arriverions jamais. Hélas ! Nous remercions Dieu. Il y a eu cette convergence de ces personnalités qui étaient candidats et qui ont renoncé, qui se sont dépassées et ont accepté de se mettre derrière monsieur Jean Ping. Quel bel exemple de prise en compte de l’intérêt général ! Quelle belle leçon ! Et nous sommes tous fiers d’y avoir participé. Je ne voudrais pas passer trop de temps à m’expliquer sur des accusations qui ne sont pas fondées, mais qui visent à jeter le discrédit sur une initiative historique et qui est en voie de permettre au Gabon de rentrer dans l’histoire avec un grand H.
EDN:: Quelle analyse faites-vous de la situation sociale du Gabon? La CNAMGS a-t-elle contribué à combler la fracture sociale sur le plan de la santé ? Le panier de la ména- gère est-il mieux garni puisque le président sortant parle d’avoir procédé à une meilleure redistribution par le relèvement des revenus ?
La situation sociale du Gabon n’est pas bonne. Elle est même catastrophique, difficile pour beaucoup de nos compatriotes. La croissance de ces dernières années autour de 5,7 % a été largement induite par des termes de l’échange favorable du pétrole entre 2010 et le premier semestre 2014. C’est indu- bitable, la croissance a également été induite par le niveau d’investissements publics qui a été élevé pendant cette période, donc par la demande. Il n’en demeure pas moins que, entre ce qui a été annoncé en termes d’investissements et ce qui a été effectivement réalisé, il y a eu beaucoup de déperdition. Les ressources n’ont pas toujours été affectées à ce qui avait été envisagé. Nous l’avons dénoncé en son temps à l’Assemblée nationale. Nous nous sommes abstenus de voter le budget qui était anticipé, le budget 2015. Alors, la situation sociale, ce sont les difficultés, les souffrances des Gabonais qui sont de plus en plus nombreux au chômage. Le chiffre officiel de 30 % est très largement dépassé, parce qu’il s’agit d’une estimation. Vous avez pu voir les pertes d’emplois très importantes à Port-Gentil, dans la cité pétrolière. Toutes les autres activités parapétrolières souffrent effectivement de ce revirement des termes de l’échange avec ce choc pétrolier qui est défavorable aujourd’hui. C’est dire que la diversification n’a pas été suffisamment menée comme elle devait l’être parce que la réforme structurelle importante sur le climat des affaires n’a pas été faite par manque de volonté politique. Les problèmes de gouvernance sont entiers. Le clan qui accompagne Ali Bongo au sens étroit, parce qu’il y a le premier cercle et il y a les autres cercles qui se font beaucoup d’illusions mais qui ne participent réellement pas à la prise de décision. Ce clan constitué de personnes, de Gabonais récemment naturalisés et qui n’ont pas adhéré aux valeurs de notre pays, et qui ne sont pas véritablement mis à connaître les fondements de notre société. Ce clan qui est devenu de plus en plus riche, qui s’est approprié une partie non négligeable des ressources, ces gaspillages dans le train de vie de l’État ont conduit à une situation aujourd’hui où ces créations d’agences sans discernement, qui venaient se superposer à l’administration traditionnelle, a induit des dépenses supplémentaires. Ces recrute- ments dans les forces de défense qui ne se justifient que par la volonté de créer un climat de terreur, de peur, dans notre pays. Tout cela a fait que nous avons négligé un certain nombre de besoins de base de notre population. Au point qu’il y a des familles qui ne peuvent s’alimenter trois fois par jour. Nous voyons des gens autour des décharges publiques. C’est une honte pour notre pays d’assister à un tel spectacle pour un pays avec un tel potentiel. Beaucoup de nos compatriotes sont réduits à la mendicité, avec l’incapacité de se soigner. Cela m’amène à votre question sur la CNAMGS qui ne satisfait que 20 %, officiellement 16, mais 20% des besoins de ceux qui y sont affiliés, avec un ticket modérateur auquel les assurés doivent faire face. Cela pose le problème de la gestion régulière de la CNAMGS qui subit le contrecoup de la situation financière du pays. Il faut savoir que l’endettement du Gabon est passé entre 2006et 2016 à plus de 50 %. Ce qui constitue une hypothèque sur les générations futures. Il faudra faire face à tous ces arriérés, arriérés de TVA, arriérés sur la dette intérieure vis-à-vis des entreprises, parce qu’il n’y a pas eu suffisamment de rigueur sur le respect des échéanciers. Vous voyez qu’Ali Bongo nous laisse une situation extrêmement préjudiciable qui pèse déjà aujourd’hui sur le plan social.
Le relèvement des revenus ? Oui, vous savez que le relève- ment des revenus sans un effort de production supplémentaire est risqué. Au plan alimentaire par exemple. Pour le Gabon, quand nous savons que nous importons plus de 300 milliards de FCFA par an de produits alimentaires. Tous ces produits coûtent extrêmement cher. Donc si des mécanismes ne sont pas mis en place pour maîtriser les circuits de distribution, cela se traduit par des répercussions qui réduisent les portions de pouvoir d’achat des salariés. Tout cela nous amène à dire que ces décisions sont prises à la hâte, sans mesure d’accompagnement et ont l’effet inverse que celui recherché. La réalité est là aujourd’hui.
Nous avons les moyens de faire des logements sociaux,nous avons les moyens de permettre que chaque Gabonais et chaque Gabonaise puisse avoir l’eau et l’électricité. Cela ne devrait pas être un luxe. Mais avec tous les retards d’investissements liés à cette gestion
hétérodoxe de la manne pétrolière, les investissements dans le secteur de l’énergie n’ont pas pu être réalisés. Monsieur Ali Bongo avait promis de tripler d’ici à 2016 la production d’électricité afin d’alimenter tous les citoyens et d’en réduire le coût. Le résultatest fait de 0 % de réalisation. Au plan de la santé, doter le Gabon à l’horizon 2025 d’un système de santé performant et accessible.
Il est vrai qu’il y a eu trois nouveaux hôpitaux construits aux- quels on peut ajouter le renouvellement du CHL. Des infrastructures, mais sans suivi de médicaments, des moyens d’évacuation inexistants, des capacités d’hospitalisation faibles au regard de la population, ce qui fait que beaucoup de malades sont orientés vers des structures privées souvent onéreuses et faisant en sorte que l’apport de la CNAMGS devienne dérisoire, avec un faible pourcentage en couverture en médicaments. Des grèves récurrentes pour cause de prime. Vous vous souvenez de la promesse des 5 000 logements par an, nous en sommes à 3 500 logements. Si on parle de l’éducation, les projets pour la plupart n’ont pas démarré en termes de structures, d’équipement et de réhabilitation. Voilà un peu la réalité sociale de ce que nous vivons.
Aujourd’hui, nous avons une croissance autour de 3 %. Techniquement, nous ne sommes pas en récession, mais nous sommes en récession en pratique. Le Gabon vit à crédit, au- dessus de ses moyens, comme un ménage impécunieux du fait de l’incompétence de certaines personnes. Il est très clair que la vision du président Jean Ping qui est d’abord un économiste, il aura à cœur de réduire le train de vie de l’Etat à travers la réduction des dépenses publiques. Il aura à cœur de relancer le développement des PMI qui peuvent générer de l’emploi. Il aura à cœur d’avoir une politique cohérente sur le secteur agricole, une politique de sécurité alimentaire…
EDN:Quels sont les défis à court, moyen et long terme que votre candidat devra relever s’il est élu?
Le défi, c’est d’instaurer une véritable démocratie. Saisir cette période de transition pour faire en sorte que l’on ne revienne plus en arrière. Son projet politique qui effectivement vise la durée du mandat, il faudrait bien y revenir. Il faut qu’il y ait un accord effectif sur le nombre de mandats. Les réformes sur la Cour constitutionnelle, sur la justice pour qu’il y ait l’Etat de droit afin que le président de la République ne soit plus dans une position d’intrusion, la séparation des pouvoirs, la réforme des médias publics à travers le CNC et d’autres aspects majeurs avec la possibilité d’avoir un statut de l’opposition, la réforme du statut des partis politiques… D’autres réformes telle la lutte contre la corruption et une politique hardie de décentralisation et de déconcentration. Avec des réformes sociales. Une refonte du système éducatif. Une poli- tique d’accès à l’eau et à l’électricité, ça c’est le Gabon à l’abri du besoin et le Gabon à l’abri de la peur. Le Gabon à l’abri du besoin, c’est d’abord les besoins de base, la politique de l’habitat, la politique du droit foncier, la mise en place d’amortisseurs sociaux, la défense du patrimoine social et la promotion du sport et de la santé. Voilà la vision de notre candidat qui devra répondre au défi d’asseoir la démocratie et le défi de transformer l’économie de notre pays en faveur d’une véritable diversification qui permettra à chaque Gabonais d’être un acteur majeur.
EDN: Votre mot la de fin ?
Mon mot de la fin, c’est ma satisfaction de voir que les uns et les autres ont pu dépasser les intérêts égoïstes pour promouvoir les intérêts de la nation. Mon espoir, c’est que davantage de concitoyens prennent fait et cause pour monsieur Jean Ping de telle manière que cette élection pour laquelle la communauté internationale s’est mobilisée comme jamais, pour répondre au risque d’un hold-up électoral. Mon souhait est que les élections se passent bien. Que nous puissions accepter que le meilleur gagne et que nos adversaires acceptent le verdict des urnes. Nous n’avons pas d’autres pays de rechange et nous pourrons laver notre linge sale en famille, à condition que chacun puisse respecter les limites qu’il ne faudrait pas franchir pour respecter la souveraineté du peuple gabonais. Je lance donc un appel à tous ceux qui hésitent encore à rejoindre le camp de la raison, le camp du rassemblement. Il ne devrait pas avoir plusieurs camps quand il s’agit de penser Gabon d’abord. Je demande à tous ceux qui ont peur de nous rejoindre de telle manière que nous puissions tous ensemble nous rassembler pour redresser économiquement, financière- ment et socialement notre pays afin que sur l’échiquier régional, notre pays puisse avoir la place qu’il aurait dû avoir. Que nous puissions aller dans le sens d’un renouvellement de la classe politique, de l’égalité des droits, de la réduction des inégalités des chances. Et nous saurons le faire parce que nous serons entourés d’hommes et de femmes compétents, au service d’un Gabon uni.
Propos reccuillis par Aria Starck et Sophie Beuve Mery
publié le 25 Aout 2016