L’EDITORIAL: Hollande : le jeu d’ombre et de lumière ?

Désiré Ename

Par Désiré Ename

Quel bilan François Hollande voudra-t-il présenter dans quelques mois sur sa politique africaine ? Notamment dans le cas singulier de l’Afrique centrale ? Qu’en Centrafrique, après avoir peiné à éteindre
l’incendie dont les braises sont encore fumantes, il aura laissé un autre incendie prendre au Gabon ? Non pas que l’on veuille brandir tous azimuts le spectre des violences, seule la détermination des Gabonais y oblige. Ne serait-il pas politi- quement plus rentable, en ce qui le concerne, d’aligner un point de plus dans le rétablissement du processus démocratique en Afrique, après la Guinée Conakry, le Mali et le Burkina Faso ? Ces questions trouvent tout leur sens dans ce qui apparaît aux yeux de plus d’un comme une attitude des plus ambivalentes de la France sur la crise gabonaise.

Pour faits. Des informations auraient fuité sur des arrangements que tenteraient de mener en coulisses l’ex-puissance coloniale par sa mission diplomatique locale interposée, de telle sorte que, une fois le coup d’Etat électoral de Bongo Ondimba Ali (BOA) perpétré, il adouberait ce dernier. Ainsi, une certaine frange de personnes, incarnée par Dominique Renaux, installé par Fabius et Hélène Le Gal, aurait décidé d’obstruer la position officielle de la France, jusque-là noyée dans celle plutôt ferme et sans ambages de l’Union européenne. Position du reste reprise et relayée par le ministre des Affaires étrangères, Jean Marc Ayrault, en plus d’un communiqué du Parti socialiste (PS), au pouvoir. Cette frange entend-elle poursuivre, sans état d’âme, ce jeu d’ombre et de lumière qui a cours depuis 1993 ?

Rappelons tout de même la subtilité, la finesse et l’extrême discrétion de l’Elysée. A l’opposé du style direct de l’ancien occupant. Comme un chat, Hollande avance à pas feutrés. Mais quelle proie veut-il saisir ?
L’on se souviendra de sa fermeté de ton en 2012. Dans le communiqué de l’Elysée suite à sa rencontre avec BOA, Hollande tenait à « souligner les principes qu’il souhaite voir guider les relations entre la France et le Gabon…» A savoir le « dialogue exigeant sur les questions de gouvernance, de lutte contre la corruption et de pluralisme démocratique… ».

Puis tout à coup, BOA était l’invité de marque au salon du Bourget, le 15 juin 2015. Ce jour-là, François Hollande, coincé entre Serge Dassault, à sa gauche, et Marwan Lahoud, directeur de la stratégie à Airbus Group, à sa droite, et BOA assis à droite de ce dernier, ne s’était pas embarrassé d’un : « Comme prévu, ils vont te faire un prix. » Il tentait de refourguer à BOA deux Rafales.
Bien loin le « dialogue exigeant sur les questions de gouvernance
». Hollande était engagé sur un axe diplomatique rentable. Loin de se soucier des effectifs pléthoriques dans les salles de classe au Gabon ; ou encore de l’habitat précaire, et indifférent aux 30 % du chômage gabonais, toujours en croissance, et l’on en passe. « C’est bien le jeu politique dans sa forme la plus accomplie, les intérêts seuls, rien que les intérêts, voici ce qui définit les amours/amitiés france-afri- caine. » La formule cinglante est de la journaliste Nadège Alix Mbanda (In nadegealixmbanda.over-blog.com).

Voilà pourquoi il est illusoire de penser que certaines autorités de cette France, le clan Fabius-Le Gal, même sorti de l’exécutif, et d’autres au niveau le plus élevé, acoquinés à des hommes d’affaires véreux, Vincent Bolloré ne s’en cache d’ailleurs pas, au nom des intérêts, porteraient des gants lorsqu’il s’agit de les préserver, quitte à pactiser avec le diable. Et la France a souvent pactisé avec le diable. On conjugue précaution et mesure jusque dans le ton de la position officielle. Le tout ponctué de longs silences. Cela, le Gabonais avisé sait le décrypter. Surtout dans la période critique où les regards sont portés sur la Cour constitutionnelle. Nous persistons et signons, c’est d’elle que dépendra la paix au Gabon et donc de la poursuite en toute sérénité de l’activité des investisseurs français dans un climat d’affaires rassurant. A Hollande d’en juger. Pour que cela se passe, il lui appartient de retrouver toute la constance de son propos de départ porté par Jean-Marc Ayrault.

Cela passe aussi par un réel attachement à la ligne de l’Union européenne qui l’a réaffirmée hier, lors de la journée mondiale de la Démocratie. En ces termes : « Nous continuerons à contribuer à l’action mondiale visant à confronter les origines des conflits et de la pauvreté, qui obligent les populations à s’exposer à des risques migratoires périlleux. Le manque d’Etats démocratiques solides, aptes à répondre aux besoins des citoyens, est certainement une des causes majeures de ce phénomène. » La clé est là. C’est de faire entendre la voix des Gabonais lorsqu’ils se sont exprimés.

Mais il semble par-dessus tout que l’ambassadeur de France au Gabon, Dominique Renaux, n’a pas suffisamment mesuré une donnée fondamentale qui fait la différence entre 1993, 1998, 2005, 2009 et 2016 : la détermination des Gabonais, notamment de sa jeunesse. C’est un message essentiel à faire passer à l’Elysée. Le nombre de tués, 30, 40, 100, 1 000, 2 000 et plus, ne sonnera guère leur reddition.

publié le 16 Septembre 2016