Par Désiré Ename
Le préambule de chaque Constitution au monde consacre l’Homme. Un des plus bels exemple est la Constitution américaine, qui commence par : « We The People… ». Traduction : « Nous, le peuple… » Parce que tout commence par le Peuple qui n’est rien d’autre que la somme des femmes et des hommes qui ont décidé ensemble de forger un Etat. C’est ainsi qu’au cœur de cette réalité, ce bloc de femmes et d’hommes va édicter les valeurs fondatrices de cet Etat. Au premier rang desquelles la valeur de liberté. Toutes les autres lui sont subséquentes.
Incontestablement, la liberté est en réalité la valeur qui régit le vivre ensemble et forge la communauté des hommes et des femmes autour d’un contrat social, comme le soutient Jean-Jacques Rousseau. Notre Constitution, malgré ses nombreuses scories, n’est pas moins porteuse de cette réalité.
Aucune Constitution dans les Etats modernes, ceux du monde dit développé, de l’Occident à l’Asie, ne dispose que la valeur de liberté, qui intègre la liberté de choix, de circulation, d’expression, etc., peut être tantôt relativisée, tantôt appliquée dans sa plénitude, et qu’elle est soumise au gré des humeurs des gouvernants d’une part, et au gré de leur volonté de conservation du pouvoir d’autre part. Et lorsque ce cap est franchi, les gouvernants qui en sont à l’origine instaurent de fait une dictature. C’est ce qui s’est produit au Gabon.
Bongo Ondimba Ali (BOA) n’a pas été élu. L’Occident le sait. Cela lui a été signifié par les mêmes Occidentaux. D’autres, comme le candidat à la primaire des Républicains, parti de droite, François Fillon, l’ont clairement reconnu et déclaré. Le Parti socialiste français a été clair sur la question. Les observateurs de l’Union européenne avaient tranché avant tout le monde en déclarant que l’élection n’était pas transparente et qu’il fallait procéder à un recomptage des voix. Recomptage contenu dans la loi électorale. La communauté des nations, l’ONU, a exigé ce recomptage. Le pouvoir établi n’en a eu cure. Toutefois, sur recommandation de la même communauté internationale, le candidat à la présidentielle Jean Ping, qui a eu la faveur des urnes, consentira à respecter les lois de son pays en se soumettant à l’arbitrage de la Cour constitutionnelle. Non sans avoir averti de la qualité des hommes et des femmes qui dirigent cette institution. L’Occident cherchait-elle une échappatoire pour se débarrasser de la question gabonaise devenue certainement très encombrante ? Car il est étonnant qu’après le round de la Cour constitutionnelle gabonaise, dont les gouvernements français et américains, et le secrétariat général des Nations unies, ont bien noté le manque d’impartialité et l’inaptitude à dire le droit, on demande à Jean Ping de préparer la prochaine étape. A savoir, répondre au dialogue que BOA appelait et, de la façon la plus naturelle, de prévoir les élections législatives du mois de décembre.
Nous évoquerons une récente conversation avec un groupe de Français rencontrés au cours d’une marche à Paris. Pour bien mettre dans l’esprit de nos interlocuteurs les raisons de ce mouvement, nous leur avons dit d’imaginer une élection qui oppose François Hollande à un candidat des Républicains ; et que le premier, au sortir des urnes est clairement battu ; mais que, par des artifices, il réussit à se faire proclamer vainqueur de l’élection. Les Français, qui ont des preuves que François Hollande a bien été laminé, seront-ils prêts à le regarder accaparer le pouvoir ? Nos interlocuteurs ont répondu : « Cela ne peut pas se passer ici, parce qu’on le dégagera manu militari. » Bien. On présenterait le même cas de figure à un Américain, à Japonais, ou à un Britannique, qu’ils objecteraient de la même manière. Alors question simple : pourquoi ce qui ne peut pas se passer dans un seul Etat occidental, les mêmes Occidentaux, à travers leurs derniers communiqués, veulent que les Gabonais l’admettent chez eux ?
La démocratie comme socle des valeurs est universelle. C’est le droit qu’ont tous les peuples à disposer d’eux-mêmes. Ils l’expriment dans le choix des hommes qui leur paraissent capables de diriger leur destinée commune. Le « one man one vote » en est le déterminant et le dénominateur commun. Lorsqu’on laisse signifier que cette valeur, qui a été édictée dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen, peut être exercée à géométrie variable, on est devant un déni de droit. Lorsqu’on laisse transparaître que le lot des élections truquées est une tradition en Afrique et qu’on doit l’admettre comme tel, c’est imposer l’idée qu’en définitive la démocratie reste « un luxe » pour les Africains, comme l’avait dit Jacques Chirac. Cela les Gabonais ne sont pas prêts à l’accepter. Parce que ce qui se passe au Gabon interpelle les démocrates du monde libre. En appelle à leur courage à se mettre à leurs côtés, car ils ont décidé de libérer leurs votes du 27 août dernier. On sera étonné qu’il n’en soit pas ainsi après avoir jaugé le degré de détermination des Gabonais.
Voilà aussi pourquoi il n’y aura ni dialogue avec l’usurpateur, ni compromis de quelque nature que ce soit. Au nom des valeurs universelles.
publié le 19 Octobre 2016