L’Éditorial de Désiré Emane : Ces politicards qui nous prennent pour des C…

Désiré Ename

Le professeur Pierre André Kombila souligne depuis des années que la meil- leure manière qui a été utilisée pour renforcer le pouvoir d’Omar Bongo (OB) a été de dialoguer avec lui. Il illustre le fait par la crise de 1993 qui a
débouché, quelques mois plus tard, sur les accords de Paris. Il y a eu dialogue, assorti de bonnes résolutions, voire d’une modification constitutionnelle ; avec en prime une nouvelle loi électorale (loi 15/96) ; le principe des élections à deux tours déjà contenu dans la Constitution de 1991 a été maintenu ; et tout cela a débouché sur un gouver- nement d’union nationale. OB avait désormais avec lui et sa majorité et son opposi- tion. Là, dans le même panier, devenu par la suite un parfait panier à… crabes.
Mais qu’a fait OB par la suite ? Après avoir obtenu la paix qu’il recherchait, accédé à quelques concessions, comme laisser prendre les mairies de Libreville, Port-Gentil, Oyem et Mouila par l’opposition, puis quelques sièges au Sénat, en échange de cette paix, et sachant l’opposition neutralisée, il ne va pas hésiter à remettre en cause tout le protocole des accords passés à Paris.

Dès 1998, il modifie la Constitution pour le retour du mandat présidentiel à sept ans ; renforce les institutions militaires, saborde la loi électorale et se taille parallèlement des dispositions spéciales pour l’élection présidentielle, qu’il ramène à un tour en 2003. Du « sur mesure » qui lui convenait. OB, ayant repris le contrôle de l’appareil, pouvait à nouveau redevenir le maître absolu du jeu. Et il l’a été jusqu’à sa fin.

Louis Gaston Mayila aura beau se défendre de ce qu’il ne dit pas oui à un dialogue convoqué par Bongo Ondimba Ali (BOA), mais sous le leadership de l’Unoca (repré- sentation des Nations unies en Afrique centrale), l’UE et autres, que cela ne change en rien la perspective qu’il s’est tracée, de renforcer le pouvoir du chef de la junte militaro-putschiste BOA. Question simple : que feront-ils, lui et sa clique, une fois assis sur la table avec le chef de la junte militaro-putschiste ? Juste contempler l’épaisseur des nez des uns et des autres ?
Comme il le dit, « il faut essuyer les larmes, le pays doit continuer… », il faut donc en déduire qu’à aucun moment il n’envisage plus le problème de fond qui est la restauration du choix des Gabonais. Il n’envisage pas de remettre en cause la junte militaro-putschiste.
Le dialogue prôné par Mayila n’est qu’une réponse léonine au chef de la junte. Car s’il tenait à un dialogue, sa démarche aurait été plus crédible en s’activant, durant son séjour en Europe, à contacter les organisations internationales dont il parle et à les convaincre de la nécessité de ce dialogue. Mais tout le monde constate bien qu’il n’a bougé qu’à l’appel de son ami BOA. En réalité, Mayila convie à une duperie. Le plus grave est de croire que dans ce jeu de la voltige où il est passé maître, il peut ainsi donner le tournis et embobiner tout le monde. Erreur ! Pour Mayila, il faut passer à une autre étape et faire d’une pierre deux coups : légitimer le pouvoir de BOA tant au plan interne qu’au plan international et adouber tranquillement son hold-up électoral. Tout ceci n’est qu’espièglerie et perfidie.
Les Gabonais doivent bien comprendre pourquoi il ne faut jamais dialoguer avec un pouvoir usurpateur et de surcroît affaibli. Gene Sharp, philosophe, en fait un décryptage dans son ouvrage « De la Dictature à la Démocratie ». Florilèges. « Confrontés aux graves problèmes d’une dictature (voir chapitre I), certains peuples s’installent dans une attitude de soumission passive. D’autres, ne voyant aucune pos- sibilité d’aller vers la démocratie, concluent qu’ils doivent composer avec cette dic- tature apparemment indestructible, en espérant que, grâce à la « conciliation », au « compromis » et aux « négociations », il sera possible de sauver quelques éléments positifs et de mettre fin aux brutalités. En apparence et faute d’alternatives réalistes, cette option en séduit beaucoup. » Ceci est le fond de la pensée des Mayila, Ndemezo’o et autres. Il poursuit : « Une lutte sérieuse contre une dictature brutale n’est pas une perspective agréable. Pourquoi faut-il l’envisager ? Ne pourrions-nous pas être raisonnables et trouver des moyens de discuter, de négocier des solutions pour supprimer graduellement la dictature ? » Souvenez-vous des propos de Ndemezo’o qui, dans le quotidien « L’Union », mettait en garde contre « l’aventurisme teinté de populisme, et qui consisterait à sous-estimer l’adversité du moment ». Gene Sharp déclinant le propos de ceux qui pensent qu’il faut dialoguer et négocier : « Il est dit parfois que la vérité n’est pas uniquement d’un seul côté. Les démocrates auraient peut-être mal compris les dictateurs qui, pour leur part, auraient peut-être agi pour de bons motifs dans des circonstances difficiles. » Que l’on se souvienne de Mayila qui dit qu’il faut se garder d’avoir une vision manichéenne de la situation du Gabon. En langage simple : les bons sont peut-être ceux qui on volé les élections.

Mais Gene Sharp enseigne qu’il ne faut pas négocier avec un pouvoir affaibli, pour les raisons évidentes suivantes : « Lorsque l’opposition est en position de force et que la dictature est menacée, les dictateurs peuvent chercher à négocier afin de sauver le maximum de leur pouvoir et de leur richesse. En aucun cas les démocrates ne doi- vent aider les dictateurs à atteindre leurs buts ». C’est cette posture et toute la déter- mination qui va avec qui libèreront le Gabon et pas des propositions à la sauce « mayilâchage ».